Dissolution : « Pari fou », « coup de poker », risque de « chaos » ou « façon de reprendre la main » pour Emmanuel Macron ?
L’annonce surprise de la dissolution, après des élections européennes qui ont placé l’extrême droite au plus haut, va certainement politiquement chambouler le pays. Entre « risque politique majeur », selon Pascal Perrineau, « calcul de l’Elysée » qu’explore Philippe Moreau Chevrolet ou « aveu de défaite terrible de l’exécutif », souligne Bruno Cautrès, éléments d’analyse sur ce coup de tonnerre.
Un drôle de coup. Coup de tonnerre, coup de dés, coup de génie ou coup de folie ? L’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l’Assemblée nationale, dans la foulée d’européennes historiques, où le RN (31,5 %) fait le double du score de la majorité présidentielle (14,5 %), a fait l’effet d’une déflagration.
Face à la surprise, plusieurs pistes d’explications peuvent être avancées, pour tenter de comprendre la décision d’Emmanuel Macron. « C’est évidemment un pari fou, un coup de poker. Et en même temps, un aveu de défaite terrible de l’exécutif. On retient d’abord, avant tout, un Président qui est obligé de dissoudre », analyse le politologue Bruno Cautrès. « L’exécutif avait expliqué que l’Europe était en danger de mort. Dans ce cas, il doit poser une sorte de question de confiance aux Français, en disant stop ou encore Emmanuel Macron », ajoute le chercheur du Cevipof.
« Le Président lance un défi aux Français qui est de mettre le RN au pouvoir »
Alors que les électeurs placent au plus haut l’extrême droite, le Président leur dit en quelque sorte « chiche ». « Le Président lance un défi aux Français qui est de mettre le RN au pouvoir. Il leur dit vous avez placé le RN en tête, voté pour l’extrême droite à 40 %, allez-y ! C’est le défi lancé par Emmanuel Macron aux Français. C’est une façon de reprendre la main, politiquement. Ça a cet avantage pour lui », estime de son côté Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste de communication politique.
Mais « l’inconvénient, c’est une énorme prise de risque, pour lui, comme pour le pays », ajoute le dirigeant de MCBG Conseil. « Le calcul de l’Elysée, d’après ce qu’on comprend, c’est qu’une fois au pouvoir, le RN se ridiculisera, et l’expérience s’arrêtera là, les Français constatant qu’ils sont incapables d’exercer le pouvoir et ils reviendront vers leurs élites traditionnelles », continue Philippe Moreau Chevrolet.
La dissolution annoncée ce soir consisterait-elle à la stratégie du pire ? « Le RN pourrait fortement progresser aux législatives, aucun doute, mais ça ne veut pas dire qu’il aura la majorité absolue. Si le RN est le groupe le plus important, le Président serait obligé de proposer au RN de prendre Matignon, sauf à inventer une sorte de coalition du centre droite et du centre gauche, au lendemain des législatives », avance Bruno Cautrès, qui met en garde contre les calculs :
S’il est à Matignon, « le RN fera sûrement très attention à montrer qu’il est capable de gouverner, comme Giorgia Meloni »
« L’autre calcul, c’est penser que le RN n’arrivera pas à avoir une majorité au Parlement. Il y aura un Parlement ingouvernable et dans ces conditions, le RN sera discrédité aussi », ajoute Philippe Moreau Chevrolet.
Le communicant évoque aussi une autre hypothèse : en cas d’arrivée du RN à Matignon, cela pourrait lui ouvrir les portes de l’Elysée. « Il est tout à fait possible que Jordan Bardella prépare le terrain pour l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen en 2027. Et les Français diront que le RN, ce n’est pas plus mal qu’autre chose. Le RN fera sûrement très attention à ne pas conforter ses opposants, montrer qu’il est capable de gouverner, comme Giorgia Meloni, en Italie, qu’il est respectable, et s’en servir comme d’un tremplin en 2027 », pense Philippe Moreau Chevrolet.
Risque d’une « France qui sera dans une situation de blocage »
Cette décision, si elle crée la surprise, peut aussi s’expliquer au regard du rapport à la politique du chef de l’Etat. « C’est quelque chose qu’on retrouve très souvent chez Emmanuel Macron, qui disait « il faut prendre son risque ». Lui le prend vraiment. C’est un risque politique majeur. Il a choisi cette stratégie à haut risque », réagit le politologue de Science Po, Pascal Perrineau, sur le plateau de Public Sénat/France 24. Regardez :
Lui aussi pense que l’Assemblée pourrait rester dans une situation peu lisible. « Il peut y avoir aussi un chaos qui sera dû au fait que le RN peut bien s’en sortir aux législatives, mais est-ce qu’il y aura la majorité absolue ? Ce n’est pas sûr du tout. Donc on aura un RN en majorité relative, qui sera dans les mêmes difficultés que Renaissance pour accoucher d’une majorité. Là, on aura une France qui sera dans une situation de blocage. Et je rappelle que quand on a dissous, on ne peut pas dissoudre pendant un an », souligne le politologue de Science Po.
« Il y a des anciens premiers ministres qui sont devenus d’excellents Présidents, regardez Pompidou. On ne se grille pas forcément à Matignon. Surtout là, que le RN va acquérir, s’il est habile, la culture de gouvernement. Peut-être que dans quelques semaines, nous aurons des ministres de l’Economie, de l’Education et de l’Enseignement supérieur qui seront des ministres RN. […] Ils n’ont pas que des bras cassés. […] Ils auront les moyens de faire la preuve sur leur « gouvernementabilité » et d’ajouter une pierre à l’édifice », pense Pascal Perrineau.
« Rachida Dati ou Stanislas Guerini, c’était walking dead »
En appelant les Français de nouveau aux urnes, le président de la République risque d’envoyer aussi au casse-pipe les députés de sa majorité. « Il y a fort à parier qu’il y aura pas mal de victimes sur les rangs des députés de la majorité », pense Bruno Cautrès.
« Les ministres en plateau dimanche soir, Rachida Dati ou Stanislas Guerini, c’était walking dead. C’est très dur pour son propre camp. C’est d’une violence inouïe », lance Philippe Moreau Chevrolet, qui ajoute :
« On ne sait pas encore si ça va être du Mitterrand ou du Chirac, si ça va être une réussite ou un désastre »
Le communicant ne voit en tout cas rien de gaullien dans cette décision de s’en remettre aux peuples. « Il y a plutôt un côté Mitterrand. Enfin on ne sait pas encore si ça va être du Mitterrand ou du Chirac, si ça va être une réussite ou un désastre », avance Philippe Moreau Chevrolet. Il rappelle que « François Mitterrand avait changé de mode de scrutin, permettant à la droite de l’emporter et au FN d’avoir des députés. Une stratégie qui lui avait permis de revenir au pouvoir, en 1988, après les législatives de 1986 et la cohabitation ».
Quant à la dissolution de Jacques Chirac, en 1997, elle s’était traduite par l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, avec la gauche plurielle. Juillet 2024 verra peut-être, pour la première fois de l’histoire de la Ve République, l’extrême droite s’installer à Matignon.
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