Elle manque toujours à l’appel. L’ambitieuse réforme, censée prendre à bras-le-corps tous les enjeux liés à la perte d’autonomie pour les personnes âgées et au vieillissement de la population, n’a pas eu lieu. À défaut de cette loi du « grand âge » sur laquelle s’était engagé Emmanuel Macron en 2018, des premières réponses sont posées sur la table par le biais d’un texte d’origine parlementaire. Issue de la majorité présidentielle, la proposition de loi « pour bâtir la société du bien-vieillir en France » poursuit son parcours législatif au Sénat ce janvier, après avoir été examinée en deux temps par les députés en avril, puis en novembre.
Débattu en commission des affaires sociales et en commission des lois du Sénat ce 17 janvier, le contenu n’a pas soulevé un enthousiasme débordant. « La proposition de loi n’entraînera pas de bouleversements des politiques de soutien à l’autonomie », résume la commission des affaires sociales. Les sénateurs, tout comme les acteurs du secteur, attendent surtout de la part du gouvernement une loi de programmation financière, qui doit fixer les financements pour cette politique pour les cinq prochaines années. Promise par Élisabeth Borne et la ministre des Solidarités Aurore Bergé, celle-ci doit intervenir avant la fin de l’année, comme le rappelle d’ailleurs la proposition sur le bien vieillir.
Premier enseignement, la proposition de loi est ressortie nettement amincie des travaux de commission. Après une inflation notable du nombre d’articles à l’Assemblée nationale – il a presque quintuplé – les rapporteurs du texte au Sénat, Jean Sol (LR) et Jocelyne Guidez (Union centriste) ont souhaité « recentrer le texte sur son contenu utile », reprécisant certaines choses, et élaguant au passage des passages jugés superflus, « inopérants », ou déjà satisfaits par le droit actuel. Voici les principales mesures contenues dans le texte amendé ce mercredi.
Consécration d’un droit de visite pour les résidents
On compte tout d’abord un volet important sur la promotion de la bientraitance envers les aînés. La proposition de loi inscrit un droit pour les personnes âgées ou les personnes handicapées dans les établissements d’accueils, ou les patients des établissements de santé, d’accueillir le visiteur de leur choix à au sein de ces différentes structures. Craignant une « application variable » au travers de la rédaction des députés, les rapporteurs du Sénat ont intégré dans cet article les dispositions de la proposition de loi de Bruno Retailleau adoptée en 2021.
Ils défendent le principe d’un « droit absolu, même en période de crise sanitaire, de visiter quotidiennement un malade ou un résident en fin de vie ». Le traumatisme de la crise sanitaire de 2020-2022 est passé par là.
À d’autres articles, la commission a reconnu les « intentions vertueuses » de leurs collègues députés, notamment la tentative de consacrer dans la loi « l’intégrité psychique du résident, ainsi que son droit à une vie affective et sexuelle ». Ces droits seraient à définir dans une annexe au contrat de séjour signé avec l’établissement, mais les sénateurs ont estimé que la procédure était « très contraignante » et laissant « peu de place à l’intimité ». Ils ont préféré supprimer la disposition, espérant des avancées avec un guide de recommandations de bonnes pratiques à l’usage des personnels des Ehpad, que doit livrer prochainement la Haute autorité de Santé.
Retiré également le droit opposable pour les résidents à voir leur animal accueilli eu sein de l’établissement. Si les sénateurs se « réjouissent » de voir ce sujet abordé, ils considèrent qu’un tel article peut être source de risques. Ils préfèrent, en remplacement, exiger des établissements que les conditions d’accueil d’un animal soient précisées dans le règlement de fonctionnement.
Renforcement du contrôle des Ehpad
En réaction au scandale Orpea provoqué par le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, début 2022, la proposition vient renforcer un peu plus le contrôle des établissements, en complément les nouvelles obligations prises par décret il y a deux ans. La commission approuve par exemple les sanctions administratives aux Ehpad lorsque ces derniers ne respectent pas leurs obligations en matière d’information sur les conditions d’accueil. Au sujet des prises de contrôle par des groupes privés, la commission sénatoriale demande que les autorités de tutelle soient informées dans les deux mois précédant un changement dans les modalités de contrôle du gestionnaire d’un établissement.
À noter que les sénateurs n’ont pas retenu l’ajout de l’Assemblée nationale, qui impose aux Ehpad privés lucratifs de réserver une part de leurs bénéfices en vue d’améliorer les conditions d’hébergement et d’accueil des résidents. La commission a évoqué les risques constitutionnels d’une telle disposition. Les rapporteurs précisent, de plus, que les Ehpad privés lucratifs auditionnés « indiquent tous consacrer plus de 10% de leurs bénéfices à de telles actions ».
Une instance territoriale pour recueillir les signalements de maltraitance
En matière de cas de maltraitances commises sur des personnes en situation de dépendance, la commission a revu le circuit de traitement des signalements. Plutôt qu’un signalement à une instance placée auprès de l’ARS (Agence régionale de santé), les sénateurs préfèrent créer une cellule départementale, sous l’autorité conjointe de l’ARS et du président du conseil départemental. Cette cellule regrouperait également les centres d’écoute contre la maltraitance des majeurs vulnérables (numéro d’urgence 3977).
Conformément à une recommandation émise dans un rapport du Sénat, la commission a inscrit le principe d’une information de la personne à l’origine d’un signalement.
Création d’une carte professionnelle pour intervenants à domicile
Pour les aides à domicile, une mesure symbolique en termes de reconnaissance est prévue : celle de la création d’une carte professionnelle de l’accompagnement, qui devra faciliter l’exercice ses missions. C’était une demande de longue date de la profession, notamment depuis la crise sanitaire. Rappelant que de nombreux professionnels n’ont ni titres ni diplômes, la commission des affaires sociales du Sénat a ouvert le bénéficie de cette mesure aux personnes qui justifient de deux années d’exercice dans cette activité. Elle souhaite, en outre, que les facilités offertes par cette future carte soient précisées dans un décret. Les parlementaires rappellent toutefois que la reconnaissance de la profession « passe avant tout par des conditions de travail respectueuses des professionnels et des usagers, et par une revalorisation des rémunérations ».
Le coût des déplacements d’un domicile à un autre est d’ailleurs l’une des contraintes fortes qui pèsent sur ces professionnels mal rémunérés, des femmes pour la plupart. Pour y répondre, la proposition de loi ouvre la possibilité pour la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie d’accompagner financièrement les départements qui s’engagent dans le soutien à la mobilité des aides à domicile. Le gouvernement a promis 100 millions d’euros pour cette action. Les sénateurs ont intégré le financement du permis de conduire dans cette mesure.
Un nouveau mode de financement des professionnels de l’aide à domicile
Toujours sur l’aide à domicile, la proposition de loi ouvre la possibilité aux départements volontaires de mettre en place des expérimentations relatives à un financement des services autonomie à domicile (SAD) par des dotations forfaitaires, les services à domicile étant actuellement facturées à l’heure. Les députés ont fixé le terme d’expérience à fin 2027, mais les sénateurs souhaitent la clore dès 2025. « L’heure n’est plus à une nouvelle expérimentation sur quatre ans compte tenu de la situation économique du secteur », insistent-ils.
Création d’un guichet unique pour informer et orienter les personnes âgées
La commission sénatoriale a également donné son feu vert à la création du service public départemental de l’autonomie (SPDA). Ce qu’on pourrait appeler un « guichet unique », même si ce terme n’apparaît pas explicitement dans le texte, aura pour mission d’accueillir, d’informer, ou encore d’orienter les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou encore leurs proches, sur toute question relative à la perte d’autonomie. Il devra aussi s’assurer du bon suivi des dossiers par les services compétents. Ce SPDA jouera donc le rôle d’interface avec les professionnels et aura également une mission de sensibilisation. Le dispositif va être expérimenté dans 18 départements.
Les rapporteurs considèrent que ce dispositif sera « loin de bouleverser » la gouvernance territoriale des politiques d’autonomie et que ce service pourrait même ajouter une couche supplémentaire à ce qui existe déjà. Ils reconnaissent néanmoins que le texte permet de le rendre souple et facilement adaptable aux spécificités de chaque territoire. Sensible à faire respecter une « logique de parcours », la commission des affaires sociales a souhaité ajouter le maintien à domicile au sein des objectifs du futur SPDA ainsi que le « suivi dans la durée » des personnes en situation de dépendance.
Au niveau national, en revanche, les sénateurs n’ont pas du tout été convaincus par la création d’une conférence nationale de l’autonomie. Inscrite à l’article 1 de la proposition de loi, elle est chargée de piloter la politique de prévention de perte d’autonomie. La commission a estimé que cette nouvelle instance « ne trouverait pas sa place dans le paysage actuel » et l’a donc supprimée.
Détection des personnes vulnérables isolées
Dans le but de lutter contre l’isolement social, la proposition de loi prévoit d’élargir l’utilisation des registres tenus par les mairies en période de canicule. Le texte entend transmettre aux maires les données qui concernent les bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) ou de la PCH (prestation de compensation du handicap), afin de les repérer, et fine, de prendre contact avec eux plus facilement, dans l’optique de les informer sur les dispositifs d’aide par exemple. Les sénateurs ont veillé à ce que les centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS) soient habilités à utiliser les données de ces registres.
La proposition de loi sera examinée en séance du 30 janvier au 1er février.