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Concentration des médias, fake news, Gafam : que proposent les Etats généraux de l’information ?

Lancés par le chef de l’Etat, les Etats généraux de l’information mettent sur la table une taxe des Gafam pour l’information, une meilleure définition de la concentration, l’importance de l’éducation aux médias ou des mesures sur la gouvernance. Mais face aux difficultés et menaces qui pèsent sur le secteur, notamment en matière de pluralisme, certains restent sur leur faim.
François Vignal

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Près d’un an après leur lancement par Emmanuel Macron, les Etats généraux de l’information (EGI) ont présenté leurs conclusions, ce jeudi, au Conseil économique social et environnemental. Le sujet est suffisamment vaste et complexe pour ne pas satisfaire tout le monde. Surtout avec une sélection de 15 propositions, issue de plus de 200 pistes mises sur la table par cinq groupes de travail. Elles ont été remises au chef de l’Etat, avec l’espérance « d’un droit de suite ». Libre au futur gouvernement et au ministre de la Culture – la ministre démissionnaire, Rachida Dati, était dans la salle – de puiser dans le rapport.

« Fragilisation de l’information, voire même menace d’un chaos informationnel », souligne Bruno Patinot

Bouleversés par la mort brutale de Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans Frontières et délégué général des EGI, les travaux n’en ont pas moins été riches : 22 consultations citoyennes, 4000 participants à la consultation en ligne, plus de 500 propositions reçues et 174 personnalités auditionnées. Cinq groupes de travail, menés par Sébastien Soriano, directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière, Pascal Ruffenach, PDG du groupe Bayard, Christopher Baldelli, PDG de Public Sénat, Arancha Gonzalez Laya, doyenne de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po Paris et Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’Autorité nationale des jeux, ont planché sur les innovations technologiques, l’avenir des médias, les ingérences, citoyenneté et démocratie ou la régulation.

« Le constat que faisait Christophe Deloire, c’était celui d’une fragilisation de l’information, voire même de la menace d’un chaos informationnel. Fragilisation pour le citoyen de s’informer de façon pluraliste, pour le journaliste, dans sa capacité d’exercer son métier à l’abri de pressions et pour celui dont c’est l’activité économique, de vivre de son activité d’information », explique Bruno Patinot, président d’Arte, qui a dirigé le comité de pilotage des EGI. Regardez (images d’Aurélien Romano) :

Il en ressort « un ensemble de mesures générales pour rétablir, ou au moins sauvegarder l’espace informationnel » face à une « situation d’urgence démocratique » où « l’information est considérablement fragilisée ». Bruno Patinot précise : « Ce n’est pas à prendre ou à laisser, encore moins un ensemble de formules magiques ».

Périls multiples pour l’information

Un espace informationnel bousculé, mis à mal voire attaqué de toute part : IA génératives, détentions des médias par une poignées de milliardaires, enjeu des revenus publicitaires menacés par les plateformes, désinformation, polarisation, paupérisation de la profession… Les périls sont multiples.

De ce rapport de 349 pages et des quinze propositions qui en découlent, on retient notamment l’idée de redistribuer une partie de la richesse captée par les Gafam, en faveur de l’information. Un nouvel impôt, qui serait une « nouvelle taxe internationale, en cours de discussion ». Les recettes serviraient notamment à des allégements de charges pour l’emploi de journalistes.

« Ouvrir le capot » des algorithmes

Toujours pour les plateformes, vient l’idée d’instaurer une obligation d’affichage pour les empêcher de déréférencer des sites d’information. Les participants ont aussi cherché à « ouvrir le capot » des algorithmes, comme dit Sébastien Soriano, pointant les « biais phénoménaux qui promeuvent des contenus haineux, car ça crée de l’engagement ». « Les grandes plateformes nous imposent leurs algorithmes et il n’est pas possible de les paramétrer », pointe-t-il. Dans un monde algorithmique idéal, il conviendrait « d’imposer un pluralisme aux algorithmes ». Côté publicité, est avancée l’idée de formaliser un engagement des annonceurs à soutenir, à travers de leurs dépenses publicitaires, les médias d’informations.

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Prospective : « Âge d’or » ou « monde obscure où l’information est morte » en 2050 ?

Au premier abord plus léger, mais au final pas forcément plus réjouissant, les EGI se sont aussi essayés à un petit exercice de prospective. A quoi ressemblera l’information en 2050 ? Difficile à dire. Comme le relève Antoine Bueno, essayiste et conseiller au Sénat, « Mark Zuckerberg avait 14 ans en 1998 » et personne n’imaginait alors le monde de 2024 sous influence des GAFAM. Alors savoir ce qu’il se passera en 2050…

On peut cependant émettre quelques hypothèses, entre un scénario d’« âge d’or de l’information », avance Agnès Chauveau, directrice générale déléguée de l’INA, où les citoyens financent les médias et où la publicité a disparu. A l’opposé, on peut imaginer « un monde obscur où l’information est morte », « l’information indépendante des grandes firmes n’existe plus », « distinguer le vrai du faux est devenu impossible » avec des « IA génératives qui multiplient les fausses informations ». Au passage, le service public a disparu… Une troisième voie médiane serait « l’information éclatée », avec des IA génératives qui mettent à mal à l’info, mais où « la population se protège ». On ferait en revanche face à une information devenue « confortable, qui ne heurte pas ». Le futur ne manque pas décidément pas d’avenir…

Les EGI insistent aussi sur la nécessité de renforcer l’enseignement à l’éducation à l’esprit critique et aux faits, et de généraliser l’éducation aux médias. Des mesures consensuelles déjà connues. Sur des sujets plus sensibles, le rapport propose d’inscrire dans la loi la définition précise de procédure-bâillon, procédures judiciaires qui visent à intimider et limiter la liberté d’information. L’un des groupes de travail préconise aussi de renforcer la protection du droit à l’information par rapport au secret des affaires.

Débat sur le droit d’engagement et le droit de véto pour les rédactions

Pour la gouvernance des médias, le rapport préconise la création de comités d’éthique à l’ensemble des médias, et pas seulement à ceux de l’audiovisuel, la rédaction d’une charte déontologique ou que les présidents des sociétés de journalistes bénéficient du statut de salarié protégé, ce qui serait une avancée.

Rien, en revanche, concernant un droit d’agrément ou un droit de véto, lors de l’arrivée d’un nouveau directeur de la rédaction. « Les sujets ont été très débattus. Il n’y a pas eu de consensus », a reconnu Christopher Baldelli. S’il n’est pas retenu dans les propositions finales, un groupe de travail a néanmoins proposé le droit de véto, aux deux tiers de la rédaction.

Concentration : mise en place d’un seuil limite

A noter que les EGI proposent également d’étendre la qualité de société à mission aux entreprises d’information. Ce qui nécessiterait « d’inclure des éléments relatifs à la participation des lecteurs, ou des abonnés, ainsi que des journalistes à la gouvernance de la société, d’associer la rédaction au changement de direction décidé par l’actionnaire », explique le rapport.

Reste une question essentielle, celle de la concentration, alors que 2023 avait été marquée par une grève dure au JDD pour dénoncer la mainmise du groupe Bolloré sur le journal. Le milliardaire Breton a étendu, petit à petit, son empire médiatique dans une optique très politique. « Il y a un risque qu’un nombre limité d’acteurs contrôle les médias », relève Isabelle Falque-Pierrotin, avec des citoyens « inquiets » de ces situations monopolistiques. Pour y répondre, les Etats généraux de l’information proposent de revoir le mode de calcul de la concentration par la mise en place d’un seuil unique et plurimédia. Charge au législateur de définir ce seuil « d’empreinte médiatique maximal ». « En Allemagne, il est fixé à 30 % », en cumulant télé, radio, podcast, etc. Mais en France, aucun groupe n’atteindrait ce seuil aujourd’hui. « Peut-être que le Parlement souhaiterait avoir un seuil à 25 ? » glisse Isabelle Falque-Pierrotin.

« Propositions extrêmement timides », pointe François Bonnet

Ces travaux des Etats généraux, s’ils touchent l’essentiel des problématiques, à l’exception volontairement du service public, n’en laissent pas moins certains sur leur faim. A l’image de François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre et ancien directeur éditorial de Mediapart, qui avait lancé en parallèle les Etats généraux de la presse indépendante. Présent dans l’hémicycle du CESE, il a tenu a dire sa « déception quant aux 15 propositions qui sont extrêmement timides ». « Vous comptez sur la bonne volonté des acteurs », pointe François Bonnet, qui regrette aussi l’absence de proposition sur « la question du monopole de la presse régionale » et celle « des aides publiques ».

« C’est vrai, nous n’avons pas été à 100 % coercitifs », assume Bruno Patinot. « Il est très hasardeux voire dangereux de vouloir soumettre tout le monde à la même organisation. Ce sont les acteurs qui choisissent eux-mêmes les obligations qu’ils vont soumettre à eux-mêmes », défend Anne Perrot, membre du comité de pilotage. Reste à voir si le bon vouloir est dans tous les cas la solution la plus efficiente.

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