Aides aux entreprises : STMicroelectronics bousculé au Sénat sur la faiblesse de son impôt sur les sociétés

Un échange « animé » a opposé début avril la commission d’enquête sénatoriale sur les aides versées aux grandes entreprises et le PDG de la multinationale franco-italienne STM, spécialisée dans les semi-conducteurs. Interrogatifs sur le « retour sur investissement », les parlementaires ont regretté le niveau réduit de l’impôt sur les sociétés acquitté en France (100 000 euros en 2023), alors que l’entreprise a bénéficié de 487 millions d’euros de soutien public.
Guillaume Jacquot

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Les points de vue s’entrechoquent dans la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation des aides publiques versées aux entreprises. Une nouvelle illustration en a été donnée le mardi 1er avril, lors de l’audition des dirigeants du fabricant franco-italien de composants électroniques et de semi-conducteurs STMicroelectronics (STM). La séance a été qualifiée « d’animée » par le président de la commission, Olivier Rietmann (LR).

Les sénateurs enquêtent depuis plusieurs semaines sur l’utilité, le contrôle ou encore le bon ciblage des aides publiques, à un moment où les finances de l’Etat et des collectivités locales sont très dégradées et où le niveau d’emploi tangue. L’audition s’est crispée lorsque le rapporteur Fabien Gay (communiste) a commencé à mettre en parallèle le niveau de l’impôt sur les sociétés, versé par STM, et le niveau important des subventions publiques accordées au numéro 2 en Europe du secteur des semi-conducteurs.

« Les aides publiques sont faites aussi pour que vous créiez de la richesse pour notre pays »

En 2023, STMicroelectronics précise avoir reçu 487 millions d’euros d’aides publiques, dont 68 % de subventions dans le soutien aux investissements et à l’innovation, 25 % au titre du crédit impôt recherche, et 7 % sous forme d’allègements de cotisations sociales. Après avoir regretté le manque d’accessibilité des données fiscales du groupe, le sénateur Fabien Gay a indiqué que le groupe avait payé « moins de 100 000 euros » en France en impôt sur les sociétés, contre 616 millions d’euros à l’échelle du monde. « On collectionne des aides à tous les niveaux, régional, de l’Etat, européen, je vous le dis, si on met en rapport cela, le niveau d’imposition en France est marginal […] Finalement, on doit subventionner à gogo et ne jamais se poser la question du taux d’imposition ? » Sur les exercices 2017 et 2018, l’impôt sur les sociétés était même nul.

« Les aides publiques ne sont pas faites pour que vous alliez payer des impôts ailleurs. Elles sont faites aussi pour que vous créiez de la richesse pour notre pays. Je trouve que la France ne s’y retrouve pas », a également estimé le président (LR) Olivier Rietmann.

Un ton du rapporteur jugé « un peu agressif »

En réponse au rapporteur, le président-directeur général Jean-Marc Chéry, a qualifié le ton de la question « un peu agressif », avant de finalement retirer son propos. Le dirigeant a d’abord expliqué que les sites français ne produisaient pas de produits finis et que des flux s’opéraient avec d’autres sociétés du groupe international. Il a également souligné que STMicroelectronics France payait des impôts de production « de l’ordre de 30 millions d’euros » et des « charges sociales de l’ordre de 540 ou 500 millions d’euros ». « Donc il y a une rétribution au niveau de l’Etat », a-t-il insisté. Sur les aides déterminantes pour certains projets, le groupe précise que figurent des clauses de retour à meilleure fortune, qui consiste à redonner les aides si le projet dégage finalement plus de revenus que prévu.

Le PDG a également assuré que l’entreprise en France était « irréprochable » au niveau du respect des paramètres et des critères requis pour l’obtention des aides. « Si vous me dites, M. Chéry, est-ce qu’il serait souhaitable qu’effectivement le paiement de l’impôt d’une société dans le pays qui octroie l’aide soit une nouvelle règle, c’est la responsabilité de l’Etat de le décider, je n’ai pas à me positionner dessus. »

Autre argument mis en avant par le dirigeant de STM : la France en tire l’avantage de conserver sur son sol une capacité de production de semi-conducteurs, qui plus est l’un des rares intégrés puisqu’il maîtrise 80 % de sa chaîne de valeur. Les responsables politiques ont d’ailleurs poussé ce sujet depuis la crise sanitaire, en rappelant l’importance de la préservation des chaînes d’approvisionnement et la notion de souveraineté. « Combien y a-t-il de sociétés de semi-conducteurs qui restent en France et qui emploient 12 000 personnes ? » a ainsi demandé le numéro 1 du groupe.

Les éléments mis en avant n’ont toutefois pas levé la déception des responsables de la commission d’enquête, sur le niveau de la contribution fiscale. Fabien Gay a d’ores et déjà indiqué que la question du lien entre imposition et aides publiques nourrirait « la réflexion » de la commission d’enquête au niveau des propositions qu’elle pourrait être amenée à formuler au début de l’été. Le président LR a également confirmé que ce sujet devrait être étudié. « Essayez de payer un peu d’impôts en France », a-t-il lancé au PDG du groupe et à la présidente France de STM, avant de conclure l’audition.

« Une société comme STMicroelectronics se bat contre des acteurs du monde »

Au cours de l’audition, STM a, de son côté, insisté sur l’aspect extrêmement concurrentiel de son segment d’activité, dominé par des géants américains ou asiatiques. L’an dernier, le groupe se situait au 13e rang mondial. « Une société comme STMicroelectronics se bat contre des acteurs du monde, la France et l’Italie représentent moins de 4 % de nos ventes. Nous devons espérer que la France et l’Italie nous mettent dans des conditions pour pouvoir garantir la pérennité des usines en France en Italie, à des niveaux à peu près équivalents de compétitivité par rapport à nos compétiteurs, sinon ce n’est pas soutenable, mon point de vue c’est juste celui-ci », a remis en perspective Jean-Marc Chéry.

Le PDG a d’ailleurs rappelé que son marché était par ailleurs fortement exposé aux cycles économiques, en particulier l’automobile, cette branche européenne vivant actuellement une « période profonde de mutations ». Le bras de fer commercial entre les Etats-Unis et le reste du monde complique d’ailleurs un peu plus l’équation pour l’industrie européenne.

Dans cet environnement incertain, l’entreprise engage malgré tout ses investissements pour s’adapter aux grandes demandes du marché dans les prochaines années. L’un de projets stratégiques est l’extension de son site de Crolles en périphérie de Grenoble (Isère), en collaboration avec l’Américain GlobalFoundries. Le site actuel a d’ailleurs embauché 3 900 personnes ces quatre dernières années. Sur les 7,5 milliards de ce chantier, l’Etat a décidé en 2023 de participer à hauteur de 2,9 milliards d’euros, soit un soutien public de plus d’un tiers.

« Il n’y aura aucun site de fermé, et aucun licenciement sec »

Cette nouvelle méga-usine est stratégique pour le fabricant de semi-conducteurs, puisqu’il repose sur un standard de puces en pleine croissance, et beaucoup plus compétitif pour ses clients. Le rapporteur de la commission a alors demandé quelles seraient les conséquences pour les trois sites de production de STM en France, actuellement sur d’autres formats de production. « S’il s’avérait qu’à un moment donné, un site a des lignes de fabrication qui, dans deux, trois, cinq ans, ne sont plus compétitives, nous allons faire évoluer la mission du site pour le rendre durable, socialement et en compétitivité », a indiqué le PDG du groupe. Il a précisé que le plan était en voie d’être finalisé et qu’il serait bientôt ouvert à la discussion avec les partenaires sociaux.

Le PDG a d’ailleurs été invité à réagir aux informations de l’agence Bloomberg, qui affirmait en janvier que le fabricant envisagerait de supprimer entre 2 000 et 3 000 emplois, en France et en Italie, sous l’effet d’une demande en berne. « Ces chiffres sont faux », a fait valoir le PDG, qui a refusé de commenter ces données, qui doivent faire l’objet de discussions avec les partenaires sociaux. « Il n’y aura aucun site de fermé, et aucun licenciement sec », a-t-il cependant assuré. Il a précisé que cela pouvait être un « plan de départs volontaires ».

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