Biens culturels : la restitution d’une couronne à Madagascar passe très mal au Sénat

Biens culturels : la restitution d’une couronne à Madagascar passe très mal au Sénat

Quelques heures après le vote d’une loi d’exception visant à restituer des biens culturels au Bénin et au Sénégal, les sénateurs ont appris le transfert « en catimini » à Madagascar, d’une couronne appartenant à la reine Ranavalona III, un objet jusqu’à présent conservé au musée de l’Armée. « Un mépris du Parlement », « une rupture de confiance » pour les membres de la commission de la culture de la Haute assemblée.
Public Sénat

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

« On est très fâchés » confirme Pierre Ouzoulias, vice-président communiste de la commission de la culture du Sénat. Les sénateurs avaient déjà eu du mal à accepter les conditions dans lesquelles, un projet de loi d’exception visant à restituer des biens culturels au Sénégal et au Bénin a été adopté mercredi soir. Un communiqué du ministère de la Défense tombé quelques heures plus tard, n’a fait que confirmer leurs inquiétudes.

« Conformément aux engagements pris entre les Présidents Emmanuel Macron et Andry Tajoelina en 2020, la France remet à Madagascar, dans le cadre d’une convention signée entre les deux pays, cette pièce royale qui ornait le dôme du dais royal de la reine Ranavalona III (...) Cette convention s’inscrit dans le processus de restitution à Madagascar de ce bien culturel, symbole de l’histoire malgache » peut-on lire.

Le principe d’inaliénabilité des collections françaises impose de passer par le Parlement, via une loi d’exception, pour restituer un bien culturel à un pays qui en fait la demande. Mais « des œuvres peuvent sortir du territoire temporairement via une convention de dépôt passé entre deux pays » explique la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, par ailleurs auteure d’une loi en 2009 à l’origine de la restitution à la Nouvelle-Zélande de têtes maories momifiées.

« On est une caisse enregistreuse »

C’est ce principe du recours aux conventions de dépôt qui était justement au cœur des débats mercredi soir lors de l’examen du projet de loi sur le retour des biens culturels au Bénin et au Sénégal. Un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXe siècle, détenu par le Musée de l'Armée à Paris, étaient déjà exposés à Dakar dans le cadre d'une convention de dépôt.

Une méthode dénoncée par les sénateurs. Pour Catherine Morin-Desailly « la décision politique a prévalu sur toutes les formes de débat ». « On est une caisse enregistreuse. L’exécutif décide et demande au Parlement d’entériner la décision.

« Ce sont des objets qui appartiennent à des collections nationales ce qui nécessite que le peuple, au travers le Parlement, soit au cœur du processus. Le chef de l’État puise dans les collections nationales pour des raisons diplomatiques » estime Pierre Ouzoulias.

Mercredi soir, le sénateur LR, Max Brisson s’était inquiété de voir « cette loi d'exception en appeler d'autres au rythme des demandes qui vont se multiplier ». À peine quelques heures plus tard ses craintes se réalisaient.

« Ce retour précipité et en catimini, effectué au mépris de toute consultation de la représentation nationale »

Après avoir appris le retour de la couronne à Madagascar, la commission de la culture du Sénat fustige dans un communiqué « Ce retour précipité et en catimini, effectué au mépris de toute consultation de la représentation nationale, seule autorité compétente pour autoriser la sortie de ces biens des inventaires nationaux » (Ce retour) « illustre de nouveau la tentation du gouvernement de faire systématiquement prévaloir les enjeux diplomatiques sur l’intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises. Ces biens, juridiquement inaliénables, ne sont pourtant pas cessibles au gré de l’évolution des relations internationales ». 

« Le Parlement a été pris à revers. C’est une rupture de confiance avec le gouvernement » appuie, ce vendredi, Catherine Morin-Desailly. La commission mixte paritaire sur le projet de loi d’exception entourant le retour des biens culturels au Bénin et au Sénégal s’annonce sportive.

Le Sénat adopte un « garde-fou nécessaire »

Le Sénat a substitué aux termes « restitution » et « remettre », utilisés dans le texte initial, les termes « retour » et « transférer ». « Au sens juridique, le terme restitution n’est pas le bon car ces œuvres appartiennent à la France » avait expliqué Catherine Morin Desailly a publicsenat.fr en début de semaine. Mais surtout, afin de « mieux encadrer scientifiquement », dans le futur, ce type de procédures, le Sénat a introduit dans le projet de loi, la création d'un Conseil national chargé de réfléchir aux questions de circulation et de retour de biens culturels extra-européens.

« Ce Conseil constitue plus que jamais un garde-fou nécessaire permettant de garantir un examen scientifique des demandes émanant des pays tiers et d’éclairer, avant l’engagement de toute négociation diplomatique, la décision des autorités politiques » fait valoir la commission de la culture du Sénat.

Ce conseil a, néanmoins, peu de chances de survivre à la navette parlementaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la même thématique

Paris: Weekly session of questions to the government at the french senate
6min

Politique

Budget : les sénateurs écologistes accusent la majorité du Sénat de « lâcher les collectivités »

Alors que la majorité sénatoriale veut réduire l’effort demandé aux collectivités de 5 à 2 milliards d’euros dans le budget, c’est encore trop, aux yeux du groupe écologiste du Sénat. « Il y a un changement de pied de la majorité sénatoriale », pointe le sénateur Thomas Dossus. Avec le groupe PS et communiste, ils vont présenter onze amendements identiques « pour faire front commun ».

Le

Biens culturels : la restitution d’une couronne à Madagascar passe très mal au Sénat
2min

Politique

Retrait de la plainte de Noël Le Graët : « une décision sage et prudente » réagit Amelie Oudéa-Castera

A quelques jours de l’audience qui devait avoir devant la cour de justice de le République, Noël Le Graët, par la voix de son avocat a annoncé retirer sa plainte pour diffamation contre l’ancienne ministre des Sports. Invitée dans l’émission Sport etc, Amélie Oudéa-Castéra réagit en exclusivité à cette annonce au micro d’Anne-Laure Bonnet.

Le

G7 summit in Borgo Egnazia
6min

Politique

Nomination des commissaires européens : « On constate qu’Ursula von der Leyen ne peut pas se passer du soutien de Giorgia Meloni », note un spécialiste des partis européens 

La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.

Le

Biens culturels : la restitution d’une couronne à Madagascar passe très mal au Sénat
2min

Politique

Face au « désarroi » des collectivités, Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen, « appelle à la prise de conscience du premier ministre »

Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.

Le