Depuis la reprise de l’examen du projet de la loi de finances au Sénat, il ne se passe pas un jour sans que les esprits s’échauffent autour d’une coupe budgétaire inscrite dans des amendements du gouvernement, déposés, souvent, à la dernière minute. Les élus de la France Insoumise y voient l’illustration d’un fourvoiement du PS qui n’a pas voté la censure la semaine dernière. Les socialistes misent, eux, sur la commission mixte paritaire pour continuer à faire pression.
[Série] 2007, « travailler plus pour gagner plus » : quand Sarko muscle son jeu (3/5)
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Après être arrivé en tête du 1er tour du congrès LR le jeudi 2 décembre dernier, Éric Ciotti en était convaincu, « cette campagne se gagnera en rassemblant tout le peuple de droite, comme avait su le faire Nicolas Sarkozy en 2007. » Pour la droite « forte », « dure » ou « décomplexée » – selon les noms qu’a pu prendre le sarkozysme – la campagne de 2007 s’est imposée comme un modèle de communication clivante, mais ayant réussi à mobiliser largement, à la fois l’électorat aisé de la droite libérale ainsi que celui de la droite populaire.
Seulement, entre les fantasmes d’Éric Ciotti et la réalité historique d’une campagne électorale, il y a quinze ans et trois quinquennats qui ont fait exploser le paysage politique.
En 2007, malgré la percée de François Bayrou, la droite n’est pas autant écartelée entre le centre et l’extrême-droite, qui piochent aujourd’hui allégrement dans ces deux composantes de la droite sarkozyste. Dans un paysage politique bien plus bipolarisé qu’aujourd’hui se profile donc assez vite un duel opposant Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal.
Cela va donner une campagne âpre, dure, mais mobilisatrice, et notamment pour Nicolas Sarkozy qui inaugure alors la ligne politique de la « droite décomplexée » qui va profondément transformer la droite de l’échiquier politique français.
Nicolas Sarkozy impose ses thèmes
2007 est donc la première campagne où le 2nd tour était connu d’avance et où aucun des deux candidats ne briguait un second mandat. Pas de bilan à défendre, pas de qualification au 2nd tour à aller chercher, mais une bataille entre la droite et la gauche, simple et brutale. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’opposent pied à pied sur pratiquement tous les sujets, même si c’est le candidat de l’UMP qui semble imposer ses thématiques.
Nicolas Sarkozy arrive en effet par sa communication à mettre à l’agenda, non seulement les thèmes de la campagne présidentielle, mais plus largement les thèmes qui vont définir la droite française pour les années à venir, en misant notamment sur la valeur "travail" et les problématiques sécuritaires.
En effet, Nicolas Sarkozy lance en octobre 2006 son fameux slogan « travailler plus pour gagner plus », qui – devant le succès – devient finalement son slogan de campagne. Face à lui, Ségolène Royal soutient les 35 heures mises en place par les socialistes quelques années auparavant, tout en voulant en corriger certains effets pervers : du « en même temps » avant l’heure, mais moins assumé.
D’autant plus que le contraste est saisissant avec le ministre de l’Intérieur, désormais candidat, qui avait promis de « nettoyer les cités au karcher. »
Nicolas Sarkozy sait où il va : à droite toute. Défiscalisation des heures supplémentaires, autonomie des universités, alignement du secteur public sur le privé, suppression de postes de fonctionnaires, et « immigration choisie » : voilà entre autres les positions prises par le futur président de la République pendant sa campagne.
Une des propositions emblématiques de la ligne fixée par Nicolas Sarkozy en 2007 reste sa promesse de créer un sulfureux ministère de « l’Identité nationale. » L’idée vient de Patrick Buisson, l’un des plus proches conseillers de Nicolas Sarkozy pendant la campagne, et s’insère plus largement dans la ligne de la droite « décomplexée » imaginée par l’essayiste, qui va durablement fixer le cap de la droite pour les années suivantes.
Cliver sans se décrédibiliser
En face, Ségolène Royal, elle aussi, tente de se recentrer sur son cœur de métier, en parlant d’éducation, d’écologie et surtout de questions dites sociétales, avec un accent mis sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Lors du débat, la candidate socialiste, réagissant à une interpellation de Nicolas Sarkozy sur le viol d’une policière qui rentrait chez elle, était même allée jusqu’à faire la proposition remarquée de faire raccompagner les policières à leur domicile.
Les marqueurs de la gauche sont là, mais la communication semble brouillée par d'autres positions qu’a pu prendre la candidate, en décalage parfois avec son propre parti. Sur les problématiques sécuritaires par exemple, la candidate du Parti socialiste propose « un service à encadrement militaire à vocation humanitaire » pour apprendre un métier après le premier acte de délinquance.
Un peu moins libre de sa communication parce que plus tributaire de son propre camp, Ségolène Royal mène une campagne moins offensive que Nicolas Sarkozy, mais leur affrontement a tout de même donné lieu à une mobilisation électorale exceptionnelle depuis 1974, avec près de 84 % de participation au second tour.
Ce qui est paradoxal, c’est qu’après une communication aussi agressive de Nicolas Sarkozy pendant la campagne, on retient souvent du débat d’entre-deux-tours la « colère saine » assumée par Ségolène Royale, qui avait été accusée par son concurrent – pourtant unanimement reconnu pour sa verve et sa combativité – de « perdre ses nerfs. »
Rétrospectivement, cela peut paraître étonnant, puisque même les plus fervents admirateurs du président Sarkozy ne feraient probablement pas du calme sa qualité la plus saillante. Mais, c’est la force du sarkozysme, arriver à cliver et à se démarquer, tout en réussissant à rassembler un électorat assez divers. En 2007, Nicolas Sarkozy a réussi à tenir ensemble les principes de deux coachs mythiques du sport français, Aimé Jacquet et Bernard Laporte, son futur ministre des Sports : muscler son jeu, mais sans faire de fautes.