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Drogues : « Un adulte sur deux a déjà expérimenté le cannabis, alors qu’ils n’étaient que 12 % il y a 20 ans »
Par Jules Fresard
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La pandémie, avec ses effets délétères sur la santé mentale des Français, a-t-elle pu engendrer une hausse de la consommation des stupéfiants ? C’est du moins ce que pense Jean-Michel Delile, président de la Fédération addiction, qui estime que le confinement et la « crise économique et sociale qui s’ensuit ont eu un impact dépressogène qui a pu être mesuré au niveau national. […] On imagine bien que pour les personnes qui présentent des problèmes d’addiction, qui ont généralement aussi des vulnérabilités psychologiques et sociales, elles ont pu rechercher l’apaisement par rapport aux tensions intérieures ». Conséquence ? « On est aux alentours de plus de 10 %-15 % de décès supplémentaires par overdose durant cette période », continue-t-il.
Ce psychiatre était invité en audition mercredi 9 juin au Sénat, aux côtés de Julien Morel d’Arleux, directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), par la commission des Affaires sociales. L’objectif ? Échanger sur les conséquences de la pandémie concernant la consommation de stupéfiants, et dresser plus largement un portrait des nouveaux comportements des Français en la matière, ainsi que les nouvelles problématiques qui émergent.
Des modes de consommation qui évoluent en France
Et en attendant la publication d’études scientifiques évaluant précisément l’impact de la pandémie dans le domaine des addictions, Julien Morel d’Arleux juge qu’après plusieurs périodes de confinements stricts, « nous nous trouvons dans un deuxième temps qui a des effets, et qui va en avoir sur le moyen et le long terme. […] Effets qu’il faudra mesurer dans plusieurs années ».
Avec cependant un premier constat qui vient nuancer le tableau. « Il n’y a pas eu de diminution dans l’accessibilité aux traitements de substitution, y compris pendant le confinement, il y a même eu une légère augmentation de l’accès » note Jean-Michel Delile.
Mais pour analyser plus largement l’évolution des addictions en France, les intervenants jugent nécessaire d’évaluer des tendances plus longues, bien antérieures à l’arrivée de la crise. Avec d’abord une division par deux de la consommation quotidienne d’alcool, « on est passé de 24 % des adultes qui consommaient quotidiennement de l’alcool dans les années 1990 à 11 % aujourd’hui », note Julien Morel d’Arleux. Des évolutions qui traduisent un changement générationnel, « puisque les niveaux de consommation sont plus élevés chez les personnes plus âgées ». Concernant le tabagisme, « on est à un Français sur quatre qui continue à fumer tous les jours, ce qui fait dire au directeur de l’OFDT que « le combat n’est pas gagné » continue-t-il.
Mais l’évolution la plus marquante concerne le cannabis. « Un adulte sur deux a déjà expérimenté le cannabis, alors qu’ils n’étaient que 12 % il y a 20 ans ». « On a donc un produit qui s’est diffusé », conclut Julien Morel d’Arleux, avec des éléments de vigilance particuliers, notamment concernant les taux de THC – la substance psychoactive du cannabis – toujours plus élevés.
« Tempérer l’enthousiasme des personnes naïves » sur le cannabis
Face à ce constat, les sénateurs présents n’ont pas hésité à interroger les deux spécialistes sur la légalisation, ou la dépénalisation du cannabis, alors que le sujet monte, parmi les parlementaires eux-mêmes.
Brigitte Micouleau, sénatrice LR de la Haute-Garonne, s’est ainsi fait l’écho de la « mission de l’Assemblée Nationale, qui fait le constat de l’échec de la politique répressive, en termes de sécurité et de santé publique ».
Pour Jean-Michel Delile, « on voit bien toutes les limites de la prohibition, les parlementaires l’ont mis en évidence, je n’y reviens pas ». Sa fédération avait d’ailleurs déjà pris position en faveur de la légalisation dès 1994. « Notre rôle, en termes d’acteurs de santé publique, c’est plutôt de tempérer l’enthousiasme des personnes naïves qui vont être sous pression de lobbies, bien souvent liés à l’industrie du tabac » a-t-il tempéré.
La situation des « salles de shoot »
Autre fait d’actualité évoqué pendant l’audition, la situation des fameuses salles de consommation à moindre risque, ou « salles de shoot », qui visent à accueillir des personnes dépendantes à des drogues telles que l’héroïne, pour leur offrir des conditions d’injections optimales, et réduire les risques de transmission du VIH par exemple. En France, elles sont, depuis 2016, en phase d’expérimentation à Paris et à Strasbourg, appelées à être pérennisées par le gouvernement.
Frédérique Puissat, sénatrice LR de l’Isère, a tenu à exprimer ses inquiétudes concernant ces lieux, et notamment sur les risques qu’elles pourraient avoir sur la tranquillité des quartiers où elles sont implantées. « Concernant les salles de consommation, nous avons des témoignages qui font froid dans le dos. On a l’impression que l’on a sacrifié la sécurité d’une partie de la population ».
Pour Julien Morel d’Arleux, « les expérimentations en cours montrent qu’un des objectifs principaux, celui de réduire les risques pour les usagers, fonctionne. Il y a moins d’expositions, moins d’infections au VIH… » juge-t-elle. « On a des résultats qui sont encourageants en la matière, même si le volet de l’acceptabilité sociale reste un sujet de tensions. Mais la majorité des Français y est favorable ».
Un premier bilan positif donc, partagé par Jean-Michel Delile, « ça confirme les bénéfices en termes de santé par rapport à une réduction du nombre d’overdoses, de problèmes infectieux ». Le psychiatre appelle au développement de ces salles de consommation « de manière beaucoup plus intégrée par rapport au dispositif général de soins dans le domaine des addictions, […] ce qui nous permettrait de réduire les difficultés liées à la tranquillité et au voisinage ».