Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Retraites : « Le doute développe l’anxiété, tout le monde se dit qu’il y a un loup »
Par Public Sénat
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Nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Le rapport de force continue, à la veille des annonces du premier ministre qui donnera les détails attendus. Hier, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a confirmé l’idée d’une réforme coupée en deux : d’un côté « les jeunes générations » qui entrerait dans le nouveau système par points, « si possible rapidement », et de l’autre, une entrée dans le régime à partir d’une génération à définir. Selon Les Echos, la génération retenue ne serait plus 1973 mais celle de 1975, qui serait la première concernée. Reste la question d’un âge pivot, à 64 ans a priori, et bien sûr des régimes spéciaux : quelle transition et à partir de quand ?
Les questions sont encore nombreuses, comme les débats. « Il y a eu tellement de tergiversations qu’on ne sait plus quelle est la colonne vertébrale. Quand vous êtes dans le doute, ça développe l’anxiété et l’anxiété est contagieuse. Donc tout le monde se dit qu’il y a un loup… » pointe du doigt le sénateur LR de la Marne, René-Paul Savary. Il ne croit pas pour autant à un recul du gouvernement. « Reculer maintenant, c’est un peu tard. Je ne le vois pas le faire ». D’autant que l’exécutif répète depuis des semaines sa volonté de mener la réforme.
Jean-Marie Vanlerenberghe (Modem) : « Il faut dire qu’il n’y aura pas de perdant et ça coûtera ce que ça coûtera »
Pour le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, Jean-Marie Vanlerenberghe, qui a transmis ses recommandations à Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Jean-Paul Delevoye, « il faut dire qu’il n’y aura pas de perdant. Et ça coûtera ce que ça coûtera. On peut amortir sur 20 ou 30 ans la réforme » selon le sénateur Modem, parti membre de la majorité présidentielle. Il pointe du doigt « les gens de Bercy, qui ont joué un rôle néfaste dans cette affaire, en mettant trop l’accent sur l’équilibre financier ». Le sénateur du Pas-de-Calais, défenseur du système par points, explique « que chaque heure travaillée donne des points. Et la valeur du point ne baissera pas. Le point sera indexé sur l’inflation ». Reste qu’en cas de grave crise économique, comme en 2008, le point risque bien de baisser. « Il faudra le compenser » répond Jean-Marie Vanlerenberghe.
Pour l’heure, pour sortir de la crise et du face-à-face, le sénateur Modem préconise un geste fort envers les régimes spéciaux : « La clause du grand-père (pour appliquer la réforme aux seuls nouveaux entrants, ndlr). Je crois qu’il n’y a plus le choix aujourd’hui. C’est du bon sens. Si vous voulez avoir encore des trains et métros bloqués un mois, continuons… » Un coup de Canadair pour stopper l’incendie en somme. D’autant que « les régimes spéciaux, c’est 3% des dépenses de retraites. Ça ne représente rien. Pourquoi se focaliser ? A l’évidence, ce n’est pas le problème » ajoute Jean-Marie Vanlerenberghe. Selon le sénateur, le gouvernement ne perdrait pas la face, car « on ne se souviendra que d’une chose, qu’on a mis en place une retraite par points ».
« Cadeau fait aux assurances privées avec la retraite par capitalisation » dénonce Fabien Gay (PCF)
Pour le sénateur communiste Fabien Gay, toutes concessions seraient insuffisantes. « Les gens ne veulent pas d’un aménagement. Ils ne veulent pas de cette réforme. Ils veulent garder un système de solidarité, le système par répartition. Car avec la réforme, en réalité, vous serez obligé de travailler jusque 68 ou 69 ans. Et en prenant en compte toute la carrière, les CDD mal payés au début, forcément la pension baisse ».
Autre crainte du sénateur PCF de Seine-Saint-Denis : le développement des retraites par capitalisation. Fabien Gay pense que la réforme y mènera : « C’est un cadeau fait aux assurances privées, évidemment. SI vous savez que votre pension sera une retraite de misère, ceux qui en auront les moyens vont capitaliser. Mais s’il y a un krach boursier… »
Comme pour donner du grain à moudre au sénateur communiste, ce matin, sur Public Sénat, la député LREM Olivia Grégoire a justement défendu les retraites par capitalisation. « On peut envisager d’épargner pour sa retraite ce n’est pas grave, ce n’est pas un péché. On peut envisager de renforcer le système par répartition, tout en laissant la liberté de compléter la répartition avec une partie par capitalisation » explique la députée LREM (voir la vidéo ci-dessous), qui ajoute :
« Le système par répartition assure moyennement une pension à tous, c’est pour ça qu’il faut le consolider, et que certains souhaitent épargner en plus par capitalisation, ça se passe déjà comme ça »
René-Paul Savary (LR) confirme les propos de François Fillon sur la retraite par points
Pour compliquer les choses pour le gouvernement, une déclaration passée de François Fillon, lors de la primaire de la droite, en 2016, a refait surface. « Il y a trop d’hommes politiques qui jouent avec l’affaire des retraites et font miroiter des réformes formidable » avait-il dit devant la Fondation Concorde. Et d’ajouter, au sujet du système de retraite par points : « Il permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue. Ça permet de baisser chaque année le montant, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions ». Public Sénat avait diffusé son discours. Regardez les propos de François Fillon :
Aujourd’hui, René-Paul Savary confirme les propos de l’ancien premier ministre, en termes moins directs. « C’est vrai qu’un système par points, c’est par définition un système à rendement défini. C’est-à-dire que les dépenses sont égales aux recettes. Si vous consacrez 14% de votre PIB pour les retraites, soit 320 milliards, il faut que les cotisations vous ramènent 320 milliards d’euros pour les retraites. S’il y a moins de cotisants, comment on équilibre ? Soit on baisse les pensions, soit on met plus de sous, donc ce sont les impôts qui compensent. On baisse le pouvoir d’achat dans ce cas. Donc ce sont toujours les gens qui paieront. Si vous n’avez pas les recettes correspondantes, ça peut amener à baisser les pensions, comme c’est un système qui doit être équilibré » explique le sénateur LR, spécialiste des questions de retraite pour son groupe. Pour René-Paul Savary, il faut en conséquence « prendre ses responsabilités » et dire que « ça paraît difficilement contournable de ne pas dire qu’on va travailler plus longtemps ».
Pour le communiste Fabien Gay, la solution est simple, du moins sur le papier. « 100.000 personnes de plus au travail, c’est un milliard de plus pour les caisses de retraite par les cotisations. Un million de plus au travail, c’est 10 milliards et il n’y a plus de problème. L’égalité homme-femme, c’est 9 milliards d’euros dans les caisses. Et si on veut faire cotiser les revenus du capital au même niveau que les salariés, c’est 31 milliards d’euros » lance le sénateur PCF. Pas sûr qu’Emmanuel Macron en prenne le chemin.