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« On cherche à enjamber le Parlement » : au Sénat, la réécriture du projet de loi sur la souveraineté énergétique ne passe pas

Attendu au Parlement en 2024, le projet de loi sur la souveraineté énergétique a la lourde tâche de fixer le cap de la France pour sortir des énergies fossiles. Mais le texte, mis en consultation au début de l’année, a été amputé du volet qui définissait des objectifs chiffrés en matière de déploiement du nucléaire. Privés d’un débat sur le mix énergétique, plusieurs sénateurs dénoncent un contournement du Parlement.
Rose-Amélie Bécel

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Le transfert des questions énergétiques du ministère de la Transition écologique vers le ministère de l’Économie, survenu lors du remaniement, a fait une première victime : le projet de loi sur la souveraineté énergétique. À peine posé sur le bureau de Bruno Le Maire, le texte, qui doit être présenté en Conseil des ministres d’ici début février et au Parlement courant 2024, a été amputé d’une large partie de son contenu.

Le projet de loi a pour ambition de mettre en œuvre la stratégie française en matière d’énergie et de climat pour les cinq années à venir, avec l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2030 et de diminuer la consommation d’énergies fossiles de 60 % d’ici 2035. Pour y parvenir, le projet de loi fixait initialement des objectifs précis en matière de production d’électricité d’origine nucléaire (maintenir une puissance installée d’ « au moins 63 gigawatts), dans le cadre d’un volet intitulé « programmation énergétique ».

Un volet entièrement supprimé de la nouvelle version du texte par Bercy, Bruno Le Maire assurant vouloir « prendre davantage de temps » pour étudier le sujet, selon l’AFP. La loi sur la souveraineté énergétique, initialement chargée de la lourde tâche de définir un mix énergétique entre nucléaire et renouvelables pour les prochaines années, portera donc seulement sur les questions de régulation des prix et de protection des consommateurs.

La programmation énergétique : une demande de longue date

« Débattre de souveraineté énergétique au Parlement, sans pouvoir parler d’objectifs chiffrés, c’est complètement insensé », fustige le sénateur LR Daniel Gremillet. D’autant plus, rappelle celui qui sera le rapporteur du texte au nom de la commission des affaires économiques, que ce débat a été « rendu obligatoire par la loi Energie-Climat de 2019, à la demande du Sénat ».

En effet, le code de l’énergie stipule désormais que, tous les cinq ans, une loi doit « déterminer les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique nationale ». La promulgation de la première d’entre-elles aurait dû intervenir avant le 1er juillet 2023. « On attendait ce projet de loi sur la souveraineté énergétique dans le courant de l’année dernière et maintenant qu’il arrive enfin, on apprend que tout son volet programmatique a été supprimé », constate la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone, désabusée.

« Naviguer à vue serait inadmissible »

Impatients de pouvoir s’emparer du sujet du mix énergétique, les sénateurs ne cachent pas leur déception face au maigre contenu du texte sur lequel ils devront finalement débattre. « Le dossier énergétique est stratégique, il va tracer le chemin de la France pour le demi-siècle à venir. Il concerne aussi bien nos concitoyens que les collectivités, ou encore les industries », estime Daniel Gremillet.

Pour le sénateur écologiste Daniel Salmon, l’absence de débat parlementaire sur le mix énergétique interroge d’autant plus au regard des ambitions du gouvernement en matière de relance du nucléaire. Il y a deux ans, Emmanuel Macron annonçait depuis Belfort son souhait de construire six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR. Le projet de loi sur la souveraineté énergétique ambitionne d’en installer huit de plus, d’ici 2050. « C’est gravissime, on ne peut pas engager la France sur la dangereuse voie du nucléaire pour les siècles à venir sans consulter la représentation nationale », dénonce Daniel Salmon.

Critiqué dans sa version initiale, car il ne présentait aucun objectif chiffré en matière de déploiement des énergies renouvelables, le texte est d’autant plus dénoncé par les associations écologistes. Dans un communiqué commun, six associations dont France Nature Environnement et le Réseau Action Climat, s’inquiètent : « Naviguer à vue, sans engagement explicite, serait inadmissible et ne pourrait que retarder l’accélération nécessaire de la transition écologique, en laissant les acteurs sans visibilité sur les orientations à prendre. »

« Le gouvernement ne devrait pas avoir peur du débat »

Pour le moment, le ministère de l’Economie n’a pas précisé la manière dont il comptait mettre en œuvre ce volet « programmation énergétique », amputé de la loi sur la souveraineté énergétique. Pourrait-il passer par la voie règlementaire, confirmant le souhait exprimé par Emmanuel Macron devant les parlementaires de la majorité en début de semaine d’avoir « le moins de lois possibles » ? « Depuis plusieurs années, le gouvernement s’affranchit des questions démocratiques sur le sujet du nucléaire. L’objectif, c’est de mettre les Français devant le fait accompli en leur disant qu’il n’y a que le nucléaire qui puisse nous sauver », estime Daniel Salmon.

Devant l’AFP, le ministère de l’Economie se défend en expliquant que l’examen de la question de la programmation énergétique est simplement reporté, le temps de « trouver de nouveaux consensus » sur ce sujet sensible et clivant. « Ils se moquent de nous », répond Dominique Estrosi Sassone : « Nous savons que ce sujet nourrit énormément de débats, mais qu’on ne me fasse pas croire que le processus de consultation sur le sujet n’a pas abouti. Depuis le début de la crise énergétique, cela fait un moment que tous les acteurs concernés échangent, se concertent et travaillent sur le sujet ».

Pour la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, ce sont davantage des calculs politiques qui expliquent la réécriture du projet de loi. « Sans majorité au Parlement, le gouvernement pense que la meilleure manière de s’en sortir pour faire passer des textes avec autant d’enjeux, c’est de les saucissonner. Ils ne devraient pas avoir peur du débat », juge Dominique Estrosi Sassone.

Devant la frilosité du gouvernement, le Sénat pourrait bien prendre le taureau par les cornes, dans le cadre de la commission d’enquête qu’il vient d’ouvrir au sujet des prix de l’électricité. « Cette commission compte brosser un panorama exhaustif du sujet de l’électricité en France, notamment de la question de sa production. Le Sénat va donc montrer ses capacités à débattre du sujet », annonce Daniel Salmon.

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