Les quelques chanceux qui monteront à bord du Paris Nice ce soir auront le privilège de passer une nuit aux côtés… du Premier ministre. Jean Castex, qui multiplie actuellement ses déplacements, se prépare en effet à voyager à bord du train de nuit, dont l’exploitation avait cessé en décembre 2017. Trois ans après, la ligne reprend donc du service, avec un départ prévu ce jeudi soir à 20 h 52, gare d’Austerlitz à Paris, pour une arrivée le lendemain matin à 9 h 11 en gare de Nice. Soit un peu plus de douze heures de trajet, contre moitié moins pour le même trajet en TGV.
Car au fil des années, face à l’hégémonie grandissante du TGV et la diminution de l’affluence des trains de nuit, ces derniers ont progressivement été délaissés. Avec la réouverture de la ligne Paris Nice, la France ne compte en effet plus que trois lignes de nuit, Paris Briançon et Paris Rodez, Cerbère (Pyrénées-Orientales) et Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales).
Mais le gouvernement entend bien renouer avec cette pratique. En plus de la réouverture de la ligne Paris Nice ce jeudi 20 mai, la ligne Paris Tarbes devrait rouvrir à la fin de l’année. « Mon ambition, c’est une dizaine de trains de nuit en 2030 » avait d’ailleurs déclaré en janvier Jean-Baptiste Djebbari, ministre en charge des Transports. Et l’actuel plan de relance gouvernemental, qui dédie 5,3 milliards d’euros au secteur ferroviaire, prévoit d’investir à hauteur de 100 millions d’euros dans les lignes de nuit.
Le Sénat mobilisé de longue date sur la question
Au Palais du Luxembourg, la question des trains de nuit a trouvé depuis plusieurs années ses défenseurs, tous bords politiques confondus. « Les annonces de réouverture du gouvernement sont une bonne nouvelle. Il y a une réelle volonté chez les Français de renouer avec ce mode de transport » se réjouit Éliane Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat.
La sénatrice de Seine-Saint-Denis avait d’ailleurs, en 2019, organisé avec son groupe politique un débat à la Haute Assemblée, intitulé « pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les autotrains et les Intercités de nuit ». Dans l’hémicycle, le sénateur socialiste Olivier Jacquin avait notamment avancé que « pour permettre de réduire les prix unitaires, le rail a besoin de circuler au maximum le jour et la nuit », quand l’ancien sénateur indépendant Jérôme Bignon estimait que « le prix des voyages doit refléter l’impact écologique afin que les moins polluants soient les moins chers ».
Les tarifs proposés pour le Paris Nice entendent d’ailleurs répondre à cette exigence. Le billet en siège inclinable coûtera 19 euros, 29 en couchette seconde classe et 39 en couchette première. « Les trains de nuit sont un parfait exemple où les impératifs écologiques rejoignent les besoins économiques des usagers. Mettez-vous à la place d’un étudiant, ces offres sont particulièrement attractives » explique le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson, lui aussi fortement mobilisé sur la question du ferroviaire nocturne.
Éliane Assassi, avant l’annonce des 100 millions d’euros débloqués pour les trains de nuit, avait déposé le 12 mars 2019 aux côtés de Guillaume Gontard, sénateur écologiste de l’Isère, un amendement lors de l’examen du projet de loi Orientations et mobilités « permettant de développer l’offre des trains de nuit au regard de leur intérêt pour la réponse aux besoins et leur faible empreinte écologique ».
De nouveaux publics à conquérir
Mais pour relancer les trains de nuit, encore faut-il que le public soit au rendez-vous. Car les fermetures successives des dernières années se sont toutes justifiées par un prétendu désengouement des Français pour ce mode de transport. Les nouvelles problématiques qui ont émergé ces dernières années, notamment concernant les impératifs écologiques, pourraient cependant avoir changé la donne.
Stéphane Sautarel, sénateur LR du Cantal, qui dirige avec Hervé Maurey une mission de contrôle sur « la situation et les perspectives financières de la SNCF », est clair quant au redéploiement de ces nouvelles lignes. « Leur objectif premier n’est pas de résorber le déficit de la SNCF qui s’est aggravé avec la crise, mais c’est de proposer une offre nouvelle, et de partir à la conquête d’un nouveau public de voyageurs ». « Je suis convaincu qu’aujourd’hui, il y a une demande, qui correspond à une nouvelle conscience environnementale. Le train présente l’avantage d’être 50 fois moins polluant que la voiture, et il y a un vrai marché à conquérir concernant le déplacement de nuit » continue-t-il.
Un constat partagé par Éliane Assassi, qui estime que « oui, il y a une envie chez les Français, dans toutes les catégories, chez les plus jeunes, qui sont sensibles à la question du réchauffement climatique, et chez les personnes âgées, pour qui ce mode de transport apparaît comme rassurant. Ça peut donc répondre à beaucoup d’aspirations ».
Max Brisson lui voit même plus loin, en jugeant les trains de nuit attrayants pour les déplacements professionnels. « Le fait de passer une nuit de voyage permet d’offrir des journées de travail entières, et ça permet également de limiter les horaires d’hébergement ».
Des doutes sur la stratégie gouvernementale
Malgré la volonté affichée par gouvernement, qui va rouvrir deux lignes de nuit cette année, les sénateurs mobilisés sur le sujet attendent un engagement encore plus fort de l’exécutif sur le sujet, pour ce mode de transport qui nécessite des investissements constants et importants.
« En plus de rouvrir des lignes, il ne faut également pas ménager nos efforts pour moderniser les wagons, il faut que le wifi soit à disposition en bonne qualité pour ces grands trajets », avertit Éliane Assassi. Car certains des wagons sont vieillissants. Les wagons des lignes encore en circulation doivent donc être entièrement rénovés d’ici 2023, pour un montant de 44 millions d’euros.
Des sommes importantes, qui font dire à Stéphane Sautarel que les 100 millions d’euros du plan de relance dédiés au projet « correspondent uniquement à l’expérimentation sur les deux réouvertures de lignes. Mais par la suite, il faut un effort de l’Etat, et on veillera que dans le projet de loi de finances de 2022, des crédits complémentaires soient alloués, pour aller au-delà et notamment sur la très grande distance et les destinations étrangères, ce qui fait l’attrait de ces lignes ».
Quant au tracé de la future ligne Paris Tarbes, annoncée elle à la fin de l’année, elle ne convainc pas les élus locaux. « J’ai une divergence avec le gouvernement concernant la ligne Paris Tarbes. Le tracé passe par Toulouse et Limoges, c’est très bien pour Tarbes, mais Lourdes n’est pas desservi, et pour la desserte des Landes, l’arrivée se ferait autour de 11 heures, ce qui ne rend plus l’aspect train de nuit intéressant », regrette Max Brisson. Le sénateur des Pyrénées-Atlantiques milite ainsi pour le rétablissement originel de la ligne, la « Palombe bleue », desservant Bordeaux, Dax, puis Tarbes, Hendaye et Bayonne, et qui nécessiterait des investissements majeurs avec la réouverture complète d’une nouvelle ligne. Une lettre transpartisane sur le sujet a déjà été envoyée à Jean-Baptiste Djebbari, et plus récemment à Jean Castex.
Car avec le tracé pour l’instant annoncé passant par Toulouse, le gouvernement n’aurait qu’à rouvrir une nouvelle ligne a minima, entre Toulouse et Tarbes, la ville rose étant déjà desservie par la ligne existante reliant Paris à Latour-de-Carol/Cerbère. Ce qui fait dire à Max Brisson que les ambitions gouvernementales sont encore pour l’instant « minimales ».
Mais pour les élus du sud-ouest, la lueur d’espoir pourrait venir de l’Elysée. Alerté de la mobilisation des élus locaux pour le rétablissement de la « Palombe bleue », Emmanuel Macron lui-même aurait déclaré : « La Palombe Bleue, je la prenais pour aller voir ma grand-mère. Il faut la rétablir ».