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Sport, culture et travaux pratiques : comment en 1936 Jean Zay inventa l’école d’aujourd’hui
Par Public Sénat
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Roger Karoutchi, est sénateur Les Républicains des Hauts-de-Seine, et auteur d’une biographie de Jean Zay, Jean-Pierre Sueur lui, est sénateur socialiste du Loiret, département d’élection du ministre de l’Education nationale de Léon Blum. S’ils appartiennent tous les deux à des familles politiques différentes, ils rendent hommage à l’homme qui démocratisa, et transforma durablement l’Education nationale. Entretien croisé.
On pense à Jules Ferry quand on parle d’ouverture au plus grand nombre de l’instruction publique, mais le rôle de Jean Zay a été déterminant dans la démocratisation de l’enseignement pourquoi selon vous ?
Roger Karoutchi : Le rôle de Jean Zay dans la démocratisation de l’école publique est déterminant, autant que Jules Ferry mais pas sur les mêmes segments. Jules Ferry c’est l’école pour tous, l’ouverture au plus grand nombre. Jean Zay lui démocratise l’accès aux classes supérieures. Jules Ferry c’est l’instauration d’une école laïque et républicaine, Jean Zay lui ouvre l’enseignement secondaire jusqu’alors réservé aux familles les plus privilégiées.
C’est lui qui introduit aussi le sport, les travaux pratiques, la culture à l’école ?
Roger Karoutchi : Mais c’est aussi et surtout l’ouverture à d’autres méthodes d’enseignement. Dans les années 1930 il y a une forte réflexion pédagogique. On tire les leçons de l’enseignement académique. Dans son ministère Jean Zay a, à ses côtés, quelqu’un comme Léo Lagrange qui défend l’idée aussi que le sport, l’activité physique fait partie intégrante de l’éducation. Tout comme les travaux manuels. Il n’y a pas que les cours, l’objectif n’est plus de faire des enfants avec des têtes bien pleines. C’est au même moment que les sorties scolaires sont encouragées, les élèves vont au musée, au théâtre. Avant on était dans une éducation livresque : dans la copie, l’apprentissage, la récitation. Au centre du projet de Jean Zay, il y a l’émancipation, le développement du sens critique. On développe les capacités d’analyse plus que le pur apprentissage.
« Les classes vertes c’est lui ! Les classes à la mer c’est lui ! »
Jean-Pierre Sueur : Jean Zay a été élu très jeune député du Loiret, et fut un ministre emblématique du Front populaire. C’est un grand réformateur de l’enseignement, et surtout promoteur de nouvelles pédagogies comme celles du mouvement Freinet. Il voulait une école ouverte sur la société, il tenait au sport, à l’éducation physique, aux travaux manuels, mais en même temps il défendait l’idée de l’exigence en termes de savoirs pour que jeunes aillent le plus loin possible dans l’instruction.
Les classes vertes c’est lui ! les classes à la mer c’est lui !
Il était novateur dans les pédagogies et exigeant sur les savoirs.
Une réforme des enseignements voulue par un ministre de gauche, mais qui laisse aux enseignants une liberté d’organisation, il ne passe pas par la loi, comment mène-t-il à bien ces changements ?
Roger Karoutchi : Il fait le pari de l’individu. Il est Franc-Maçon, c’est un libre penseur. Il est fils de journaliste, élu député très tôt. Ce n’est pas un marxiste. Son analyse est basée sur l’individu, pas sur l’organisation autoritaire et étatique des savoirs. D’ailleurs à gauche il ne fait pas l’unanimité. Notamment chez les communistes.
Son action ne se limite pas à l’Education nationale ?
Jean-Pierre Sueur : Il y a d’autres volets importants dans son action dans l’accès aux savoirs et à la culture pour tous. Je pense à son action dans le domaine de la recherche avec la création du CNRS, la création avec Jean Perrin du Palais de la Découverte, ou encore comme ministre des Beaux-Arts, la création du Festival de Cannes en 1939 en réaction à la mise sous tutelle du régime fasciste de la Mostra de Venise.
Roger Karoutchi : Avec le festival international du film de Cannes il voulait mettre en valeur le cinéma d’auteur. Quand Venise célébrait « les dieux du Stade » de Leni Riefenstahl, lui, il ambitionnait de célébrer un cinéma indépendant des pouvoirs.
Jean-Pierre Sueur : En 1939, le festival de Cannes n’aura pas lieu à cause de la guerre, mais une association du Loiret a, en 2019, rejoué cette première édition avortée. Mais de-là de son rôle joué dans le domaine des arts, il est pour moi le ministre de l’intelligence.
Mis en cause dans l’affaire du « Massilia » (du nom du bateau dans lequel il embarque avec d’autres parlementaires depuis Marseille pour poursuivre le combat depuis l’Afrique du Nord), il est incarcéré, puis tué par des représentants de la milice qui se sont fait passer pour des résistants. C’était juste qu’il entre au Panthéon en 2015, comme l’a voulu François Hollande.
Jean-Pierre Sueur, dans votre vie politique vous avez connu ses filles, pourquoi selon vous son action est méconnue ?
Jean-Pierre Sueur : Je connais très bien ses filles : Catherine qui a ouvert une librairie « Les temps modernes » à Orléans, où elle a reçu un grand nombre d’écrivains et Hélène qui a été au conseil municipal et adjointe quand j’étais maire d’Orléans. A l’époque nous avons donné le nom de leur père à une avenue. François Mitterrand était venu à l’époque pour l’inauguration.
« Il n’a pas été tué par des ennemis de la France, mais par des miliciens français, c’est quelque chose de dur que ce ministre de l’intelligence ait été tué par des Français ».
Si son nom a été un temps un peu oublié c’est parce qu’il y avait un sentiment de malaise. Il n’a pas été tué par des ennemis de la France, mais par des miliciens français, c’est quelque chose de dur que ce ministre de l’intelligence ait été tué par des Français.
Je pense souvent à lui. J’ai travaillé sur ses archives de député du Loiret. C’était un homme proche des habitants, y compris les plus modestes, solidaire des cheminots et des syndicats.
Pour vous que reste-t-il aujourd’hui de son action ?
Jean-Pierre Sueur : Ce qui reste aujourd’hui de lui en dehors de tout ce qu’on vient de citer, c’est son exigence. Ce que je reproche aux politiques aujourd’hui, c’est qu’on a perdu cette ambition. Quand Xavier Darcos, ministre de l’Education, est passé à la semaine de quatre jours, les enfants ont perdu des heures d’enseignement. Je regrette que la part de l’école régresse aux profits des écrans. L’école c’est le trésor de ceux qui n’en ont pas.
Roger Karoutchi : Pour moi ce qui reste c’est idée de développement du sens critique. Il avait d’ailleurs une formule qu’il utilisait quand il faisait des voyages en province : « On souhaite des esprits ouverts, pas des perroquets ». Il ne faut pas oublier qu’il est ministre dans les années 1930 et que le fascisme et le nazisme embrigadent les esprits. Pour le gouvernement du Front populaire de l’époque, il s’agit d’aiguiser le sens critique des citoyens. Qu’ils puissent prendre de la distance par rapport aux actualités filmées, ou à la lecture des journaux d’opinion. De prendre du recul sur la propagande.
Revoir le film L’école est à nous ! sur notre espace replay