Réouverture des écoles : les syndicats entre inquiétude et colère après les annonces de Jean-Michel Blanquer

Réouverture des écoles : les syndicats entre inquiétude et colère après les annonces de Jean-Michel Blanquer

Auditionné au Palais Bourbon ce matin, le ministre de l’Education nationale a esquissé les modalités de déconfinement pour les établissements scolaires. Les syndicats déplorent l’absence de garanties sanitaires suffisantes pour rouvrir et redoutent qu'une deuxième vague épidémique survienne.
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Par Jonathan Dupriez

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Syndicats d’enseignants et de parents d’élèves avouent avoir été pris de cours par le ministre de l’Education nationale. Auditionné en visioconférence par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale ce matin, Jean-Michel Blanquer a livré « les grands principes » du déconfinement pour les établissements scolaires. Un épisode inédit pour le pays censé « s’étaler sur trois semaines ». Toutes les écoles, collèges et lycées de l’hexagone sont fermés depuis le confinement général du 16 mars.

 

« Chaque mois d'école perdu est un énorme problème social »

 

Conformément au souhait du chef de l’Etat, ce déconfinement des établissements se veut « très progressif » en fonction des territoires et devrait laisser « une grande souplesse locale » notamment aux maires et aux collectivités. Selon le gouvernement, cette décision de relancer le système scolaire est guidée par la volonté de lutter contre le creusement des inégalités dû au confinement. « Chaque mois d'école perdu est un énorme problème social » a reconnu le ministre devant les parlementaires. « C’est donc très souhaitable d'avoir ce retour progressif » a-t-il justifié.

 

« Le gouvernement confond toujours vitesse et précipitation »

 

Mais selon les syndicats, la rue de Grenelle a fait cavalier seul dans ses annonces, piétinant au passage les concertations des semaines passées où rien n’avait encore été tranché. « Le gouvernement confond toujours vitesse et précipitation » tacle Francette Popineau, secrétaire générale du syndicat SNUIPP-FSU qui précise toutefois ne pas « rejeter en bloc les propositions. » du ministre. « Ce que l’on a compris ce matin, c’est que les concertations c’était du flan » tempête Rodrigo Arenas, co-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Même agacement du côté du Syndicat national des lycées et des collèges (SNALC) : « On découvre les choses en allumant la télévision et en lisant la presse » déplore Jean-Rémi Girard, son président. Le responsable syndical espère cependant « pouvoir rediscuter des annonces » avec le ministre.

 

Rentrée par niveaux

 

C’est peut-être l’une des seules certitudes de Jean-Michel Blanquer à ce stade : la rentrée ne pourra se faire comme à l’accoutumée. « On doit bien se rendre compte que le 11 mai, on ne va pas avoir tous les élèves qui vont arriver en classe comme si on reprenait les choses normalement » a tenu à rappeler le ministre de l’Education nationale tout en précisant que ce serait d’ailleurs « plutôt l’inverse ».

Ainsi, il propose une reprise différenciée par niveaux. La semaine du 11 mai concernerait les élèves de grande section de maternelle, de CP et de CM2. La deuxième semaine les sixième, troisième, première et terminale, ainsi que les ateliers industriels en lycée professionnel. Enfin, la semaine du 25 mai pourrait voir l’ensemble des élèves retrouver les bancs de l'école, à condition que les classes ne dépassent pas une jauge de 15 élèves. La situation pourrait être plus simple dans les écoles défavorisées, REP et REP+, où les classes ont déjà été dédoublées en CP et CE1 notamment, ainsi que dans des écoles rurales qui comptent souvent moins de 15 élèves par classe.

 

Controverse des 15 élèves

 

Si « le chiffre de 15 n’est pas encore un chiffre consacré » comme l’affirme le ministre de l’Education nationale, il provoque déjà l’ire des syndicats.« Il balance 15 élèves en prenant l’exemple allemand, c’est comme un chiffre magique » tacle Jean-Rémi Girard, qui pointe des difficultés à l’appliquer dans de nombreux établissements. Tous ne disposent pas de salles de classes suffisamment larges pour garantir une distanciation suffisante entre élèves et enseignants. « Il fallait laisser les rênes de la décision aux établissements, faire du cas par cas » regrette Rodrigo Arenas. Pour lui, ce chiffre illustre « la déconnexion entre la Rue de Grenelle et la réalité du terrain. »

 

Etude allemande

 

Au cours de l’audition, Jean-Michel Blanquer a invoqué une étude d’une Académie allemande de médecine pour étayer ce chiffre de 15 élèves. Ce qui pose question du point de vue des syndicats. « Je suis sceptique » remarque Francette Popineau à propos de l’étude. « Est-ce que cette étude allemande peut s’appliquer à toute l’Union européenne ? » s’interroge-t-elle. La secrétaire générale de SNUIPP-FSU appelle de ses voeux que des organismes comme l’Inserm, ou même l’OMS puisse émettre un avis sur cette question. Jean-Rémi Girard abonde : «  Dans ce qu’a dit le ministre, il n’y a aucune assise scientifique publique qui permette d’appuyer ses mesures. Si le chiffre 15 n’est pas consacré, pourquoi l’annoncer ? » Le président du SNALC plaide de son côté pour que le conseil scientifique, qui aide l’exécutif dans la crise du covid-19, émette un avis sanitaire sur la réouverture des établissements scolaires comme il l'avait fait préalablement pour leur fermeture.

 

Protocole sanitaire

 

Devant les députés, Jean-Michel Blanquer a également assuré que la réouverture des écoles serait soumise à l’application d’un « protocole sanitaire » établi en lien avec les collectivités et assorti d’une « doctrine en matière de tests et de masques. » « C’est ça que l’Etat doit garantir avant de donner des chiffres » grince Francette Popineau qui pointe la nécessité rapide d’une « directive sanitaire.» « Quel est le protocole en cas d’adulte contaminé, ou d’un enfant ? Les établissements seront-ils désinfectés deux fois par semaine comme au Danemark ?. » « Cela a une incidence et cela a un coût au niveau local » poursuit-t-elle. A ce stade, le ministre indique seulement que l’Education nationale travaillera «  avec les collectivités locales pour le savon, le gel hydroalcoolique, la présence de points d’eau de base. Quand ces conditions ne seront pas réunies, les établissements n’ouvriront pas » a-t-il affirmé.

 

« Si l’école relance la pandémie, nous aurons fait une grosse bêtise »

 

Pour Jean-Michel Blanquer, l’élève se retrouvera donc dans l’un des « quatre cas de figure possibles » en date du 11 mai. Soit il retourne à l’école en demi-groupe, soit il « étudie à distance », soit il est à l’étude « si la configuration de l'établissement le permet », soit dans une activité sportive ou « d’éveil » si la commune est en mesure d'en mettre en place. Mais en l’état, ces scénarios à très court-terme cristallisent les inquiétudes du monde enseignant qui redoute par dessus tout être à l’origine d’une deuxième vague épidémique. Au fond, la sempiternelle question du rapport bénéfice/risque refait surface. « Déconfiner les établissements scolaires, cela implique un brassage important de la population » note Francette Popineau. « Il va y avoir dans les établissements scolaires un vivier d’adulte qui va côtoyer un vivier d’enfants. » « Si l’école relance la pandémie, nous aurons fait une grosse bêtise » prévient Jean-Rémi Girard.

 

« Il n’y avait pas urgence » à rouvrir les écoles

 

 Ainsi tous les syndicats et fédérations interrogés se posent la même question en choeur: est-ce bien nécessaire de renvoyer en classe 12 millions d’élèves pour quelques semaines à l’approche de la coupure estivale? « Il n’y avait pas d’urgence » assure la secrétaire générale de SNUIPP-FSU qui espère qu’un « test d’immunité collective via l’école » n’est pas tenté en creux par les autorités. Pour Rodrigo Arenas, la volonté du gouvernement de faire reprendre l’école, coûte que coûte, ne fera que renforcer la défiance des parents envers l’institution.« Ils ne prendront pas le risque de mettre leurs enfants à l’école par peur qu’ils contractent le virus » croit savoir le co-président de la FCPE. « Et cette désobéissance civile, nous la soutiendrons. » Sur cette question, Jean-Michel Blanquer a affirmé que les familles qui ne souhaitaient pas envoyer leur enfant à l’école auront la possibilité de le faire, tout en respectant l’obligation d’enseignement à distance. « Un élève ne sera jamais en dehors de l’obligation scolaire » a-t-il fermement défendu.

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