On n’a pas fini d’entendre parler de la dette publique des pays européens, à commencer par celle de la France. D’après une récente étude menée par l’assureur-crédit Euler Hermes, « un retour aux niveaux de la dette publique rapportée au PIB d’avant la crise d’ici 2035 n’est clairement pas envisageable », pour l’hexagone mais aussi pour ses voisins ibériques et transalpins, Pire, toujours selon cette même étude, il faudrait 89 ans pour que l’Espagne retrouve un niveau de dette publique équivalent à celui d’avant la crise, 67 ans pour la France, 26 ans pour l’Italie, qui a été capable de dégager un excédent primaire, et « seulement » sept ans pour l’Allemagne.
Les disparités économiques entre les États membres de l’Union européenne n’ont sans doute jamais été aussi conséquentes. Alors que la dette publique de la zone euro a connu une flambée de 17 points de PIB, soit deux mille milliards d’euros, en deux ans seulement, en France, la hausse de l’endettement est d’environ 20 points de PIB, alors qu’en Italie et en Espagne, elle a grimpé de 25 points de PIB. L’Allemagne, elle, n’a augmenté son endettement que de 15 points de PIB. Concernant les taux d’endettement, sept pays de l’Union atteignent ou dépassent 120 % du PIB, alors que huit autres pays affichent une dette publique moitié moins importante.
Une hétérogénéité inédite face à la crise économique provoquée par l’épidémie que les spécialistes de la question n’expliquent pas du tout de la même façon.
« Un quoiqu’il en coûte français permanent »
« Enormément de pays comme l’Allemagne s’en sortent mieux que la France. On est passé de 60 % de dette publique par rapport au PIB au début des années 2000 à presque plus de 100 % juste avant la crise. C’est donc assez logique qu’on soit aujourd’hui à la traîne », analyse Agnès Verdier-Molinié.
Pour la directrice de la fondation Ifrap, « La France n’a pas mené les réformes nécessaires comme celle des retraites pour faire baisser la dette au moment où dans le même temps les pays du nord de l’Europe, dits « les frugaux » ont fait le job de diminuer considérablement leurs dépenses publiques et d’engager une décentralisation efficace ».
« Selon l’OCDE, on dépense 84 milliards d’euros en dépense publique de plus que les autres. C’est 84 milliards d’euros de trop ! Il y a quelques années, on était « seulement » à 60 milliards », lance-t-elle en dénonçant « un quoiqu’il en coûte français permanent ».
« Il faut d’abord laisser la croissance revenir »
Un avis que ne partage pas du tout l’économiste Mathieu Plane. « Les conclusions de cette étude sont purement théoriques, car elles reposent sur des hypothèses post-crise dont on ne connaît rien, notamment sur la trajectoire de croissance. Concernant l’Allemagne, cette différence avec la France et les autres nations de l’UE est assez logique. L’Allemagne avait en effet un niveau de déficit plus bas que nous, et malgré le choc, ils ont abordé la crise avec un excédent budgétaire. En fait, ce n’est pas comparable, l’Allemagne fait depuis longtemps figure d’exception en Europe et même dans le monde ».
Pour l’économiste de l’OFCE, « il ne faut surtout pas remettre la charrue avant les bœufs et refaire les mêmes erreurs qu’au sortir de la crise des subprimes ».
Mathieu Plane préconise en effet de laisser la croissance revenir avant d’imaginer un ajustement budgétaire pour revenir au niveau de dette publique d’avant covid. « Après la crise des subprimes, on a une double récession et la mise en place d’une politique d’austérité avec une augmentation des impôts et une réduction des aides publiques. Il ne faut vraiment pas qu’on reproduise les mêmes erreurs. Privilégier l’ajustement budgétaire a montré son inefficacité. Il faut privilégier les plans de relance et quand l’économie sera plus robuste, on pourra parler d’ajustement budgétaire ».
« On a beaucoup trop fermé l’économie par rapport à nos voisins »
Une analyse à des années-lumière de ce qu’imagine Agnès Verdier-Molinié pour accompagner la France dans cette sortie de crise.
« Être en déficit quand on est dans une énorme crise comme celle-ci, c’est tout à fait normal. Mais la question, c’est jusqu’où va-t-on ? Lors du premier confinement de l’année dernière, on a beaucoup trop fermé l’économie. Pour ne pas mettre le pays complètement à l’arrêt, on aurait pu aussi mettre en place un confinement beaucoup moins strict dans des régions comme la Bretagne ou la Nouvelle Aquitaine beaucoup moins touchées par le virus que le reste de la France… Les Allemands, eux, ont continué à faire tourner leurs usines et leurs services publics pendant ce temps. La Poste a continué à tourner en Allemagne, et en Suède, ce sont même les bureaux de tabac qui peuvent faire office de poste aujourd’hui ».
Agnès Verdier-Molinié va même plus loin. « Il faut qu’on sorte de cette ornière de dépenses publiques. Faut-il continuer à embaucher des gens à vie dans la fonction publique ? Faut-il mettre en place une allocation unique plafonnée ? Je pense que ce sont des questions qu’on pourrait poser aux Français par référendum. Quand on voit qu’on a plus d’élus en Ile de France que dans la totalité du Royaume-Uni, ce n’est plus possible… », lance-t-elle.
Avant d’ajouter : « Il faut réformer, partir à la retraite beaucoup plus tard comme chez nos voisins européens, décentraliser et numériser la France sans plus attendre. La France s’endette pour fonctionner et non pas pour investir sur l’avenir. Payer des profs, c’est du fonctionnement pas de l’investissement. Il faut arriver à définir qu’est-ce que la bonne et la mauvaise dette. Les collectivités n’ont pas le droit de s’endetter en fonctionnement mais uniquement en investissement. On a qu’à faire cela partout ».
« Les Etats-Unis ont fait beaucoup plus que nous »
Des propositions auxquelles n’adhère pas Mathieu Plane. « Le quoiqu’il en coûte, tous les pays l’ont mis en place. Les Etats-Unis ont même fait plus que nous. Les aides publiques en France représentent 8 points de PIB sur trois ans et aux Etats-Unis, c’est 23 points. On a fait un « quoiqu’il en coûte » ciblé nous, là-bas, ils ont envoyé des chèques et les revenus des ménages n’avaient d’ailleurs jamais autant augmenté depuis 20 ou 30 ans ».
Pour l’économiste de l’OFCE, « comme la dette est très bon marché et que les taux sont actuellement très bas, il n’est pas possible d’appliquer les mêmes règles qu’avant. Pas de gabegie oui, mais réduire tout de suite la dette non. Cela serait assez catastrophique pour l’économie et cela pourrait aggraver la crise surtout pour les populations qui se verraient devoir alors payer plus d’impôts et voir les aides de l’Etat diminuer significativement ».