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Rapport sur le sexisme : « Il faut faire de l’éducation à la sexualité une discipline à part entière », plaide Laurence Rossignol

Le 23 janvier, le Haut Conseil à l’Egalité révèle un rapport choc sur l’état du sexisme en France. Il met en avant une « situation alarmante » de prévalence forte des comportements sexistes et de regain de représentations sexistes chez les hommes, notamment chez les moins de 35 ans. Cinq ans après le mouvement MeToo, ces constats inquiètent les experts du HCE et les sénatrices de la délégation aux droits des femmes.
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Par Lucille Gadler et Mathilde Nutarelli

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Il y a cinq ans, le mouvement MeToo ouvrait la voie, partout dans le monde, à la dénonciation des violences sexistes et sexuelles commises contre les femmes. Des organismes tentent de tenir des décomptes de ses manifestations, pour qu’aucune violence ne soit occultée, banalisée. Sous le précédent mandat d’Emmanuel Macron, la lutte contre le sexisme devient d’ailleurs l’une des « grandes causes » de son quinquennat.Pourtant, en 2023, le sexisme ne recule pas en France. C’est le constat inquiétant que dresse le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans un rapport rendu public le 23 janvier 2023. Pire encore, « ses manifestations les plus violentes s’aggravent, et les jeunes générations sont les plus touchées ». Si le rapport fait bien état d’ « avancées en matière de droits des femmes », avec la mise en place de nouveaux moyens de lutte contre les violences sexuelles et sexistes et de nouvelles dispositions en faveur des femmes, le résultat de l’enquête menée par le HCE est sans équivoque : « La situation est alarmante », la société française demeure extrêmement sexiste, et ce dans l’ensemble de ses sphères. « Les conclusions ne sont vraiment pas satisfaisantes », a réagi Elisabeth Borne, lors de ses vœux à la presse. Elle a annoncé réunir un comité interministériel en mars.

93 % des Français estiment que les femmes et les hommes ne sont pas traités de la même façon

Sphère privée, professionnelle, publique, numérique, politique : vis-à-vis des hommes, les femmes restent inégalement traitées. Ainsi, d’après le rapport, 93 % des Français estiment que les femmes et les hommes ne sont pas traités de la même façon dans au moins une des sphères de la société.Globalement, 80 % des femmes ont la sensation d’avoir déjà été moins bien traitées en raison de leur sexe, victimes de sexisme. « Les chiffres sont là. Ils démontrent l’état du sexisme en France, qui doit rester une préoccupation majeure des politiques », constate Annick Billon, présidente centriste de la délégation aux droits des femmes du Sénat, « ces préoccupations doivent absolument nous mobiliser ».Malgré le mouvement MeToo, malgré de nouvelles politiques de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les femmes demeurent victimes d’actes et propos sexistes « dans des proportions importantes ». Pire encore, le HCE relève que le nombre et la gravité de ces actes s’intensifient.22 % des femmes de 18 à 24 ans estiment avoir subi un acte sexuel imposé, 37 % des Françaises estiment avoir vécu une situation de non-consentement. Plus globalement, le nombre de victimes de violence sexuelles commises en dehors de la famille connaît un progrès de 24 % entre 2020 et 2021.« Les chiffres corroborent ce qu’on peut observer de manière empirique, ce qui se dirait dans toute conversation avec cinq femmes, de toutes générations confondues, qui échangent sur leur vécu intime du sexisme » confirme Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise et ancienne ministre des Droits des femmes, « il n’y a pas de surdéclaration ». « Ce qui fait que les chiffres sont plus élevés qu’avant, c’est que les femmes qualifient aujourd’hui de sexistes des choses qu’elles n’auraient pas qualifiées de la sorte avant. Ces comportements sont mieux qualifiés et connus par les femmes elles-mêmes », explique-t-elle.

Des stéréotypes sexistes bien ancrés, en particulier chez les moins de 35 ans

Au-delà du sexisme ressenti par les femmes, le rapport du HCE s’intéresse à la représentation des rôles genrés et à la présence des clichés sexistes. Il met ainsi en évidence que ces derniers ont la vie dure, en particulier chez les hommes de 65 ans et plus, et chez les hommes de 15 à 35 ans, chez qui « on observe un ancrage plus important des clichés masculinistes ». Les auteurs écrivent : « L’opinion est paradoxale : elle reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique, majoritairement chez les hommes ». Ainsi, chez les hommes de 65 ans et plus, 49 % considèrent qu’il est normal que les femmes arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants, contre 40 % en moyenne. Chez les 25-34 ans, 23 % considèrent qu’il faut être violent pour se faire respecter, contre 11 % en moyenne.Par ailleurs, le rapport pointe le manque de confiance des femmes dans l’Etat, en particulier la justice et les forces de l’ordre, pour lutter contre le sexisme. Les premières structures à en bénéficier, en revanche, sont les associations et les médecins. « Cela ne me surprend pas : c’est la fonction des associations, en particulier féministes », confirme Laurence Rossignol. « L’Etat ne s’est jamais donné pour fonction de lutter contre le sexisme. Par ailleurs, il y a dans l’État le même pourcentage d’hommes sexistes qu’il y a en dehors ».L’analyse est partagée par Annick Billon : « Il y a encore des trous dans la raquette au niveau de l’accueil en commissariat ou en gendarmerie. Il y a le sentiment d’être plus crue, plus entendue par les réseaux associatifs, qui sont extrêmement bien formés pour répondre aux victimes de violences sexistes et sexuelles ». « Les pouvoirs publics doivent encore être formés, ils n’ont pas la même capacité d’écoute professionnelle et bienveillante à l’égard des victimes », préconise-t-elle.

« Le porno, c’est comme le tabac, il est toxique avant et après 18 ans »

Comment expliquer ces chiffres ? Y a-t-il un retour en force des comportements sexistes ? Pourquoi les moins de 35 ans sont-ils davantage concernés par les stéréotypes ? Pour répondre à la question, le rapport pointe plusieurs explications. Un retour de bâton de la mobilisation MeToo, un « backlash » qui verrait certains hommes se replier sur ces représentations, parce que les femmes auraient « gagné trop de terrain ». « Je ne parle pas exactement de backlash », nuance Laurence Rossignol, « je ne pense pas qu’on revienne en arrière. Il y a de la résistance qui s’organise et qui s’exprime, qui contrecarre l’évolution féministe de la société, mais il y a des choses qui restent acquises. On ne revient jamais complètement sur ce qui est acquis. Mais contrairement à ce qu’on voudrait croire, le féminisme n’est pas si consensuel que cela ».Autre cause potentielle de ce retour en force du sexisme : la pornographie et son accès simple et très répandu. Auteures d’un rapport dénonçant « l’enfer » du porno, les sénatrices de la délégation aux droits des femmes sont unanimes, cette pratique joue un rôle évident. « Le porno, c’est comme le tabac, il est toxique avant et après 18 ans », affirme Laurence Rossignol. Pour l’ancienne ministre, « le porno véhicule des représentations sexistes et colonise les cerveaux des consommateurs. Il diffuse des images violentes, avilissantes, de domination à l’encontre des femmes, d’une sexualité extrêmement sexiste, où les femmes ne sont pas les égales des hommes. Quelle liberté fondamentale justifierait qu’on continue à laisser nos sociétés en proie au porno ? On est au clair sur l’apologie du terrorisme, on doit être au clair sur l’apologie du sexisme ». Annick Billon partage ce constat : « L’image des femmes véhiculée par la diffusion massive de la pornographie, mais aussi celle des réseaux sociaux et le milieu de la consommation cramponnent et véhiculent une image de femme soumise. Il ne faut pas minimiser l’impact de l’image dégradante relayée par les contenus numériques et l’industrie pornographique ».

« Il y a un sujet sur comment faire de l’éducation à la sexualité une discipline à part entière »

Le rapport du HCE ne s’arrête pas à un constat alarmant. Il met aussi en avant des recommandations pour inverser la tendance.Parmi elles, notamment, l’instauration d’une obligation de résultat pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective. En effet, cette loi, votée en 2001 et qui rend obligatoire l’éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées via trois séances annuelles, n’est que très peu respectée. Un rapport de 2016 du HCE pointe en effet que 25 % des écoles, 11 % des lycées et 4 % des collèges déclarent n’avoir dispensé aucune de ces séances. Cette recommandation est saluée par Annick Billon : « Il faut faire en sorte que les mineurs aient accès à une véritable éducation à la sexualité, dont ils sont privés depuis 20 ans. 20 ans que des générations d’hommes se construisent avec une image de la sexualité véhiculée par l’industrie du porno ». Laurence Rossignol abonde dans ce sens : « Il faut une obligation de résultat qui permette d’envisager des sanctions, il y a un sujet sur comment faire de l’éducation à la sexualité une discipline à part entière dans les établissements scolaires, comme l’histoire-géo ». Mais pour elle, la question de l’éducation à la sexualité va plus loin. « Il faut aussi se demander qui assure ces cours. Nous voulons que ce soient les associations, parce qu’on ne veut pas que des gens qui n’ont jamais réfléchi à ce qu’est le consentement, par exemple, puissent endosser ce rôle », explique-t-elle.Une autre recommandation est vivement saluée par la sénatrice, c’est la proposition de « rendre systématique la peine complémentaire d’inéligibilité des élus condamnés pour violences ». Cette idée revient souvent sur le devant de la scène, à chaque affaire d’homme politique mis en cause dans des faits de violences conjugales. Aujourd’hui, cette disposition peut s’appliquer dans une certaine mesure, car le Code pénal prévoit une peine d’inéligibilité pour des faits de violences ayant entraîné une ITT de 8 jours ou plus. « Nous avons aussi besoin d’un mode d’emploi pour les politiques, pour leur dire quoi faire avec ceux qui sont accusés, même ceux qui ne contestent pas les faits, un code de déontologie », propose l’ancienne ministre.Au-delà des recommandations du rapport, le Sénat a également des solutions à proposer pour contrecarrer la persistance du sexisme. Annick Billon explique : « Il faut suivre le plan de recommandations porté par notre délégation et repris par le HCE : il faut instaurer une obligation de réguler les contenus numériques, en particulier le contenu pornographique ». Pour cela, les corapporteures du rapport « Porno, l’enfer du décor » ont déposé, le 18 janvier dernier, une proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. « Cette résolution est déjà cosignée par de nombreux présidents de groupes », précise la présidente de la délégation aux droits des femmes.Les constats sur l’état du sexisme en France et les solutions à mettre en place pour l’éradiquer font donc consensus. Les recommandations partagées dépasseront-elles cependant le stade de propositions pour se concrétiser en véritables politiques publiques ?

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