Existe-t-il des comportements alimentaires propres à la jeunesse ? Pourquoi le végétarisme rencontre-t-il un plus grand écho auprès des jeunes ? En quoi les réseaux sociaux peuvent-ils influencer leur manière de s’alimenter ? Alors que 97 % des étudiants affirment se restreindre sur la quantité ou la qualité de leur alimentation, quelles solutions peut-on envisager pour lutter durablement contre la précarité alimentaire ? Telles sont les questions auxquelles l’émission a tenté de répondre.
41 % des végétariens ont moins de 35 ans alors que 41 % des flexitariens ont entre 50 et 70 ans.
L’étude de FranceAgriMer et de l’IFOP publiée en mai 2021 établit à 2,2 % le nombre de Français qui déclarent avoir adopté un régime sans viande (pescétarien, végétarien ou vegan). L’étude dresse le portrait d’une personne adoptant ce type de régime : on note une surreprésentation des femmes, mais aussi un profil urbain, appartenant aux CSP +, qui a fait des études supérieures, est plus sportif que la moyenne et plus engagé dans l’associatif. L’étude souligne que le critère de l’âge distingue les flexitariens, des végétariens : 41 % des végétariens ont moins de 35 ans, tandis que 41 % des flexitariens sont dans la tranche d’âge 50-70 ans.
Pour Éric Birlouez, sociologue de l’alimentation, si les jeunes sont plus nombreux à être adeptes du végétarisme, il n’y a pas pour autant de "basculement massif » de la population française dans son ensemble. Il précise par ailleurs que le végétarisme est un style d’alimentation que certains jeunes privilégient pour des raisons pouvant être très différentes les unes des autres : outre les enjeux écologiques et de souffrance animale, la question de la santé serait encore plus présente chez les jeunes d’aujourd’hui que chez leurs aînés au même âge.
Pourquoi le végétarisme séduit-il davantage la jeune génération ?
Dans le cas de Marie Chureau, 20 ans, étudiante et membre de Youth for Climate, c’est bien son engagement écologique qui l’a poussée à devenir végétarienne : « C’est la première habitude que j’ai changée quand je me suis engagée, parce que […] les deux seules vraies actions qu’on peut mener à l’échelle individuelle et qui ont le plus d’impact, c’est d’arrêter de prendre l’avion et d’arrêter de manger de la viande. »
Un témoignage qui fait écho à l’analyse d’Adrien Dubrasquet, auteur de l’essai Le véganisme, une idéologie du XXIe siècle. Selon lui, cette génération née peu avant la chute du Mur de Berlin ou immédiatement après n’a pas connu les grands conflits structurants opposant capitalisme et communisme ; or, ces derniers « ont été remplacés par la société de consommation. Il n’y a plus cette grande alternative, donc le changement ne peut plus se faire que par la société de consommation - et ces mouvements n’envisagent d’ailleurs pas d’en sortir. Ils proposent de changer la consommation, les aliments. Cette explication, d’ailleurs, on la retrouvait au lendemain des dernières élections qui ont été marquées par une forte abstention des jeunes. Ils ne sont pas mobilisés dans les urnes, mais ils le sont par d’autres moyens et la consommation en fait partie. Notamment pour la simple raison qu’on mange deux à trois fois par jour : c’est plus concret que le vote tous les cinq ans. »
Pour l’essayiste, il y aurait aussi l’idée que les efforts que fait la France ne « changeront pas la face du monde ». A partir de ce constat, il y aurait donc deux « tentatives » : l’aventure européenne, avec l’idée qu’il faut traiter les problèmes au niveau supranational ; et « l’autre volet, qui consiste à dire qu’à son échelle individuelle on peut agir sur ces problèmes [écologiques] avec autant, voire plus d’impact que son député ».
Quels impacts les régimes végétariens et végétalistes peuvent-ils avoir sur la santé ?
Irène Margaritis, professeure de physiologie et adjointe au directeur de l’évaluation des risques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), rappelle que l’exclusion de la viande ne pose pas de problèmes de santé dès lors qu’elle est compensée par d’autres aliments qui contiennent les mêmes nutriments. Celle ou celui qui adopte un régime sans viande ni poisson peut donc compenser par d’autres produits sans pour autant être carencé. Toutefois, Irène Margaritis nuance : « Le végétarisme, ce n’est pas juste l’exclusion d’un aliment ou d’une catégorie d’aliments. C’est une réorganisation et ça nécessite de repenser l’ensemble. C’est donc assez exigeant, d’un point de vue à la fois nutritionnel et gustatif. »
En revanche, le végétalisme, c’est-à-dire l’exclusion totale de tout produit d’origine animale, serait plus problématique, dès lors que certains nutriments ne peuvent être compensés autrement. C’est le cas de la vitamine B12 que l’on retrouve dans la viande et le poisson, ainsi que dans les œufs, le lait ou le fromage. La professeure Margaritis alerte : « Cette carence peut notamment exposer à des risques sanitaires importants tels que des troubles neurologiques et, à terme, le décès. C’est pour cette raison que ces nutriments doivent impérativement être compensés. »
Les régimes amaigrissants, un véritable « problème de santé publique »
Irène Margaritis alerte également sur les risques que représentent les régimes amaigrissants hors indication médicale, qui constituent, selon elle, « un grave problème de santé publique ». Elle explique : « Le principe d’un régime, c’est de diminuer l’apport énergétique. Or, quand on cherche à réduire son apport calorique, on cherche à avoir un contrôle sur son alimentation, c’est ce qu’on appelle un contrôle cognitif : on ne s’alimente plus pour répondre à des raisons physiologiques, à partir de notre référentiel interne - j’ai faim donc je mange, je suis arrivé à satiété donc je ne mange plus -, mais à partir d’un référentiel extérieur, un modèle qu’on nous propose. »
Ce type de régime entraîne presque systématiquement un « effet yoyo » : « on commence à contrôler son alimentation - et on se sent très puissant quand on contrôle son alimentation -, puis, on craque et c’est systématique parce que ce n’est pas possible, parce qu’on commence à avoir faim. Donc on reprend du poids. Sauf qu’entre-temps, on a diminué son métabolisme : c’est-à-dire que pour le même apport calorique, on va stocker. C’est ce qui explique le fameux « effet yoyo » - je reviens à mon alimentation d’avant le régime et en mangeant autant qu’avant, je reprends du poids un peu plus qu’au début. » Le sentiment d’échec pousse alors à se lancer dans un nouveau régime et, in fine, à rencontrer le même problème : « L’organisme perd la sensation de faim et de satiété, et donc on ne peut plus juste s’alimenter pour ses besoins physiologiques. C’est un dérèglement total qui est parfois irréversible. »
Corrélation entre utilisation des réseaux sociaux et troubles du comportement alimentaire (TCA)
Challenges de perte de poids, promotions de régimes amaigrissants surréalistes… Jérémy Gorskie, diététicien et nutritionniste, voit régulièrement passer de nombreux contenus toxiques sur les réseaux sociaux. Certains d’entre eux sont parfois relayés par des personnalités médiatiques. C’est le cas notamment de Miss Alsace qui, en août 2022, partageait sur TikTok sa perte de poids de 25 kg en seulement deux mois, se « vantant sans complexe d’avoir supprimé tous les féculents, les glucides, les lipides". Le diététicien rappelle que, si TikTok est « un réseau avec beaucoup d’adultes, il y a aussi beaucoup de jeunes filles en pleine construction qui voudraient ressembler à une Miss ». Par conséquent, « faire la publicité de la suppression des lipides, ça entraîne potentiellement une aménorrhée chez les adolescents, donc des problèmes de santé, et c’est d’autant plus des problèmes de santé mentale […] On instille dans la tête des jeunes qu’ils ne sont qu’un poids. »
Bien que le culte du corps et de la minceur existe depuis toujours, Jérémy Gorskie parle d’un phénomène amplifié par les réseaux sociaux qui apportent, en plus des magazines, un moyen de communication : « C’est donc la porte ouverte à des commentaires haineux ». Il évoque ainsi une explosion des troubles des comportements alimentaires, avec « une consommation des réseaux sociaux qui pousse toujours à être plus mince ».
Éric Birlouez mentionne, quant à lui, une étude américaine qui, déjà en 2016, avait mesuré le lien entre consultation intensive des réseaux sociaux et troubles alimentaires : « Le facteur de risque était multiplié par 2,5 entre ceux qui regardaient modérément les réseaux sociaux et ceux qui les regardaient intensément ». Le sociologue conclut : « On peut dire que les réseaux sont asociaux, car les gens finissent par se replier sur eux-mêmes. »
Précarité alimentaire : 97 % des étudiants affirment se restreindre sur la quantité ou la qualité de leur alimentation (Linkee)
Nicole Parlotti, présidente de la Banque alimentaire de Paris et d’Ile-de-France, tire la sonnette d’alarme face à la « hausse constante des demandes » depuis trois ans. L’augmentation du nombre de bénéficiaires depuis le début de l’année, qui s’explique notamment par la hausse des prix de l’énergie, s’ajouterait ainsi aux bénéficiaires engendrés par la crise sanitaire, « parmi lesquels les étudiants, qui sont toujours restés dépendants de l’aide alimentaire ».
Julien Meimon est le fondateur de Linkee, association de lutte contre le gaspillage et contre la précarité alimentaire, qui existe depuis maintenant six ans. Il constate lui aussi un point de bascule avec la crise du Covid : « Pendant le confinement, beaucoup de gens en France - je parle des étudiants, mais aussi de leurs parents, de leur famille - se sont retrouvés plongés de façon brutale et violente dans une précarité inédite. En général, parce que leur équilibre économique, qui ne tenait qu’à un fil, a été rompu du fait du confinement et du désastre social qui s’en est suivi. »
Selon une étude menée par Linkee, 97 % des étudiants affirment se restreindre sur la quantité ou la qualité de leur alimentation et 46 % sautent des repas pour des raisons financières. Sauter des repas, c’est ce qui est déjà arrivé à Zeina, 21 ans, membre et bénéficiaire de Cop1, association de solidarité étudiante : « J’ai vu le désastre qu’ont pu créer les premiers confinements sur la précarité étudiante. Je continue encore, deux ans après, d’être bénévole et bénéficiaire […] Malheureusement, ça m’arrive de louper des repas. Encore aujourd’hui, c’est une habitude qui me poursuit. Notamment le petit-déjeuner, je ne prends plus de petit-déjeuner. »
Vers une sécurité sociale de l’alimentation ?
L’agronome Mathieu Dalmais est à l’origine du Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), un projet issu d’une réflexion sur l’institutionnalisation d’une démocratie alimentaire. Selon lui, les politiques s’appuieraient certes sur le principe du droit à se nourrir, mais sans prendre suffisamment en compte la dignité des personnes en leur permettant de choisir ce qu’elles veulent manger : « La violence alimentaire est inhérente aujourd’hui, en raison de l’absence de reconnaissance d’un droit à l’alimentation en France - violence qui va se traduire par la précarité alimentaire ; et en raison de l’impossibilité de choisir son alimentation, alors que l’alimentation est un droit défini par l’ONU. » Éric Birlouez abonde lui aussi dans ce sens : » On parle d’aide alimentaire, mais quand on réfléchit, l’alimentation c’est un droit humain fondamental : on ne devrait pas aller demander, quémander de l’aide alimentaire. Parlons plutôt de solidarité alimentaire. »
Si elle considère également que la sécurité sociale de l’alimentation est un beau projet, Zeina insiste néanmoins sur l’urgence : « C’est maintenant qu’on en a besoin. […] les étudiants précaires sont là, les étudiants ont faim, les étudiants n’ont pas accès équitablement à l’alimentation ; c’est la même chose pour manger bien, manger sain, c’est maintenant qu’on en a besoin. » Marie rejoint Zeina : « On a besoin de se projeter, maintenant il faut aussi répondre à l’urgence et sociale et écologique, et pour ça on a besoin d’un projet concret tout de suite. » Julien Meimon conclut quant à lui : « Il y a un problème en France qui est inadmissible, c’est qu’il y a une partie de la jeunesse - les étudiants mais aussi au-delà - qui ne peut pas suivre correctement son cursus d’études, et cela veut dire que le pays est en train de se priver de son propre avenir. »
« 20 ans en 2022 » est diffusée mardi 13 décembre 2022 à 17h00