Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
Pandora Papers : « Il faut sortir de l’hypocrisie dans la lutte contre l’évasion fiscale », accuse Éric Bocquet
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L’ampleur des dégâts n’est pas encore précisément connue, mais une chose est sûre, les chiffres sont « démentiels » pour le sénateur communiste Éric Bocquet. L’enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) rassemblant 150 médias internationaux semble confirmer le chiffre de 11 300 milliards de dollars d’actifs présents dans les paradis fiscaux, avancé par une étude de l’OCDE datant de 2020. Éric Bocquet évoque aussi les travaux de l’économiste Gabriel Zucman, mais ce serait dans tous les cas autour de 10 % du PIB mondial qui n’est « pas soumis à l’impôt. » La fuite inédite de documents confidentiels baptisée « Pandora Papers » met en lumière le rôle dans la finance parallèle de 14 cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore, qui permettent de s’affranchir des règles fiscales et judiciaires en vigueur dans la plupart des pays du monde.
« Le problème de la finance mondiale est systémique »
Pour l’auteur de Milliards en fuite, paru le 9 septembre dernier, ces révélations ne sont « malheureusement que la confirmation de ce qui est érigé en système. » Le sénateur du Nord le rappelle : « C’est la nième révélation. » Si les journalistes de l’ICIJ ont mené « un travail formidable, » ils ajoutent seulement une pierre au long édifice construit depuis les « Offshore leaks » de 2013. Le Sénat avait d’ailleurs lancé en 2012 une commission d’enquête « sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales », dont Éric Bocquet était déjà le rapporteur. A l’époque, le rapport chiffrait entre 30 et 36 milliards par an les pertes liées à l’évasion fiscale pour l’Etat français, tout en précisant que ce chiffre était seulement un minimum et que le chiffre réel estimé devait se situer autour de 50 milliards. Presque 10 ans plus tard, les « papers » et les « leaks » continuent de s’enchaîner à un rythme soutenu et le sénateur communiste l’affirme : « On ne s’attaque pas à la racine du problème. »
D’après Éric Bocquet, le problème réside dans la « résilience » de ce véritable « système plastique qui trouve la parade dans des délais très courts. » Effectivement, les Pandora Papers montrent bien comment le démantèlement du cabinet Mossack-Fonseca, mis en cause dans les Panama Papers, a en fait profité à d’autres paradis fiscaux spécialisés dans les placements offshore. « L’opacité se déplace », résume ainsi le sénateur communiste. Pour éviter ce phénomène de vases communicants, la réponse doit nécessairement être mondiale : « Tant qu’il y aura des trous dans le bouclier, on aura ce problème », assure Éric Bocquet. Or des trous, il y en a, et parfois plus proches que ce que l’on pourrait croire. « Chypre est cité dans ces documents », fait ainsi remarquer le sénateur du Nord, « pourtant on nous a toujours dit qu’il n’y avait aucun paradis fiscal en Europe et Chypre ne figure pas sur la liste européenne des paradis fiscaux. » Pour lui, on peut déjà agir à l’échelle européenne en mettant à jour la liste des paradis fiscaux.
« Il faut une démarche internationale »
Ensuite, il faudrait aussi mettre en place des mécanismes mondiaux pour arriver à « généraliser le principe de transparence », sur le modèle de ce qui a été fait avec les banques suisses. Le sénateur communiste cite encore les travaux de Gabriel Zucman et sa proposition de mettre en place un « cadastre financier mondial », une sorte de « grand registre complet de toutes les sociétés dans tous les territoires du monde. » Éric Bocquet a bien conscience de la difficulté : « Cela représente un travail gigantesque, mais l’enjeu l’est tout autant. »
Finalement, il faut bien commencer quelque part. Et le sénateur communiste a quelques idées pour enclencher une dynamique : « Il faut une démarche internationale, on avait relancé l’idée d’une COP fiscale et financière mondiale qui rassemblerait les Etats du monde. Nous proposons également de créer un organisme sous l’égide de l’ONU, l’OMF à l’instar de l’OMS ou de l’OMC. Aujourd’hui la finance est gérée par les financiers eux-mêmes (FMI, Banque mondiale) qui n’ont pas toujours des intentions louables, c’est le moins qu’on puisse dire quand on voit ces révélations. »
« On peut retrouver dans les mêmes comptes l’argent de criminels et de trafiquants en tout genre »
C’est d’ailleurs l’un des points frappants des révélations de ces Pandora Papers, l’évasion fiscale – et les montages financiers complexes reposant sur des entreprises offshore – ont parfois autant à voir avec une demande d’opacité qu’avec des considérations financières. Le roi Abdallah II de Jordanie par exemple, ne paye pas d’impôt dans son pays mais aurait pourtant acquis pour plus de 100 millions de villas luxueuses au Royaume-Uni et aux Etats-Unis par l’intermédiaire d’une trentaine de sociétés écrans. Pour certains responsables politiques, c’est donc plus la discrétion et un moyen d’échapper à l’opinion publique qui sont recherchés. Pour d’autres, ces montages financiers sont même « un moyen d’échapper aux lois et aux juges », d’après Éric Bocquet. Il explique : « Ces État sont bienveillants fiscalement mais aussi juridiquement, ce qui permet d’agir en toute discrétion. On peut retrouver, dans les mêmes comptes, l’argent de criminels et de trafiquants en tout genre. »
Pourtant, certains de ces montages peuvent être légaux, comme le revendique par exemple l’entourage de Tony Blair, mis en cause pour avoir économisé 380 000 euros lors de l’achat d’une propriété à Londres grâce à un montage financier offshore. « Si c’est légal l’optimisation pourquoi c’est aussi discret ? », demande Éric Bocquet. « Si c’est légal, mettons ça sur la place publique et transmettons les informations », poursuit-il. Le sénateur du Nord insiste sur la nécessité de discuter et de débattre sur ces montages financiers, qui « sont un sujet politique. »
D’après lui, l’évasion fiscale doit être « en tête de gondole des débats de l’élection présidentielle », ainsi qu’au cœur de l’action de la France lors de sa future présidence de l’Union européenne à partir de janvier. Éric Bocquet y voit un moyen de mettre tout le monde devant ses responsabilités : « Ça suffit, il faut sortir du double langage et de l’hypocrisie et remettre la finance au service de l’intérêt général. »