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Naturopathie : le Sénat enjoint Doctolib à la « clarification »
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Tout a commencé le 22 août dernier quand le compte twitter du collectif L’Extracteur a publié une vidéo d’Irène Grosjean, figure de la médecine dite « alternative » et de la naturopathie, vantant les mérites des « bains dérivatifs », une méthode qui consiste à « frictionner » les organes génitaux des enfants fiévreux pour les endormir. Après un communiqué de l’Ordre des médecins, appelant Doctolib « à renforcer ses règles éthiques d’inscription sur sa plateforme », la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les pratiques sectaires (Miviludes) est entrée dans la boucle, et Doctolib a finalement annoncé déréférencer 17 naturopathes formés par Irène Grosjean de sa plateforme. « Ça interpelle quand même », lâche la sénatrice RDSE (radicaux), et médecin, Véronique Guillotin, qui « avoue » même « avoir été surprise » que des professionnels qui ne sont pas des professionnels de santé soient présents sur la plateforme.
« Doctolib est une belle plateforme, mais ce genre de dérapage entraîne une confusion délétère pour des gens qui cherchent un rendez-vous pour des soins. Il faut clarifier la situation et que les gens sachent que c’est un annuaire fiable, finalement tant mieux si la question a été soulevée », ajoute-t-elle. Catherine Deroche, la présidente LR de la commission des Affaires sociales et médecin de profession, confie, elle aussi, avoir été « surprise » qu’il y ait « des professionnels non médicaux, dont ce type de professions [naturopathes], sur lesquelles il faut avoir une vigilance extrême. » Elle rappelle ainsi les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur les « dérives sectaires en matière de santé », qui « avait été particulièrement attentive à ces disciplines-là », en soulignant notamment le concept de « perte de chance » qui peut être associé au traitement de certaines pathologies graves par des médecines dites « alternatives. »
« Je conseillerais à Doctolib de s’en tenir aux professions reconnues pour le moment »
Toujours est-il que la polémique, au-delà du cas particulier de la naturopathie, soulève la question de la régulation d’une plateforme comme Doctolib. « Doctolib prend une place très importante dans le système de santé français, ils sont presque en capacité de monopole et prennent en otage les patients et les patientes : vous ne pouvez pas avoir de rendez-vous chez un praticien sans passer par Doctolib, c’est l’affaissement du secteur public », analyse la sénatrice communiste Laurence Cohen, orthophoniste de profession, qui ajoute : « Ces plateformes sont modernes, elles sont pratiques, mais le revers de la médaille c’est la qualité de l’accueil, parce que ça remplace le lien que vous avez avec le secrétariat médical et in fine, votre praticien. » Le sénateur socialiste Bernard Jomier ne partage pas entièrement le diagnostic de sa collègue communiste : « Doctolib est très dominant, mais ce n’est pas un monopole, d’autres plateformes de prise de rendez-vous existent. Historiquement, les médecins libéraux avaient une secrétaire médicale, puis ils sont passés à des secrétariats téléphoniques, ce qui était déjà un service fourni par une entreprise. Aujourd’hui c’est Doctolib qui a pris une place centrale sur la prise de rendez-vous, mais je ne suis pas convaincu que cette plateforme ne devrait pas exister. D’ailleurs la blanchisserie d’un hôpital par exemple, qui est une fonction qui fait pleinement partie de la chaîne de soin, parce qu’il faut des critères de propreté, est aussi largement externalisée. »
Bernard Jomier, qui exerce encore la médecine générale dans un cabinet parisien, voit plutôt dans la polémique actuelle une conséquence « inéluctable » de l’ambiguïté qui a présidé à la création de Doctolib, à la fois « une entreprise à but lucratif » et « un acteur de soin. » « Ecarter les vraies dérives comme conseiller des attouchements sexuels sur des enfants ne sera pas suffisant », analyse le sénateur socialiste, « parce que soit Doctolib a acquis l’image d’un acteur de la chaîne du soin, qu’on le veuille ou non et doit donc respecter la confiance à la fois des professionnels de santé, et des usagers. » Le problème d’après lui, c’est que la frontière entre les pratiques qui relèvent du soin et celles qui relèvent du bien-être n’est pas si évidente : « Cela prête toujours à discussion, on ne peut pas dire que toutes les pratiques alternatives sont dangereuses ou hors du soin. » Pour Bernard Jomier, la solution la plus simple reste encore de s’appuyer sur les ordres professionnels : « Je conseillerais à Doctolib de se rapprocher des ordres professionnels, s’ils ne l’ont pas déjà fait, et de s’en tenir aux professions reconnues pour le moment. Elles sont listées dans le code de la santé publique et sont réglementées. »
« Ce n’est pas à Doctolib de dire ce qui est efficace »
Surtout, ajoute le sénateur socialiste, « ce n’est pas à Doctolib de décider ce qui est efficace » : « Le débat existe, et on l’a eu il n’y a pas si longtemps sur l’homéopathie, mais c’est aux ordres professionnels et aux autorités de santé de statuer là-dessus. » Catherine Deroche, qui rencontrera prochainement le nouveau président de l’ordre des médecins et « évoquera le sujet » avec lui, abonde : « Il faut que Doctolib intègre les ordres professionnels à sa réflexion, parce que finalement ce sont des questions d’éthique qu’il y a derrière. Il faudrait convenir d’une charte, mais d’après ce que je comprends, c’est ce vers quoi on s’oriente. » La sénatrice LR ajoute qu’après avoir été mis en avant par le gouvernement pour la campagne de vaccination, Doctolib « a acquis une forme de visibilité et de respectabilité » qui lui commande de donner un certain nombre de « garanties » aux patients et utilisateurs de la plateforme.
Ainsi, Doctolib devrait être auditionné dans les semaines qui viennent, puisqu’une mission d’information sénatoriale sur la protection des données de santé sera lancée à la reprise des travaux de commission à la fin du mois de septembre. « Il y a une plateforme privée qui possède les données de millions de personnes et l’on ne sait pas comment elles sont préservées et garanties », s’inquiète notamment la sénatrice communiste Laurence Cohen. Un autre axe de travail pour la commission des Affaires sociales du Sénat sera probablement la « clarification » du statut de la « Miviludes », explique la présidente Catherine Deroche : « On s’était interrogés sur sa disparition, parce que cette mission interministérielle était un temps sorti des radars. Puis elle a été rattachée au ministère de l’Intérieur, mais certains préconisent la création d’une véritable agence indépendante, qui puisse faire son travail. » « Finalement, tant mieux si cette affaire a éclaté et la question a été soulevée », conclut la sénatrice RDSE Véronique Guillotin. Cela permettra peut-être la « clarification » que les sénateurs et sénatrices de la commission des Affaires sociales appellent de leurs vœux.