« La production de lavande et de lavandin constitue une filière d’excellence reconnue dans le monde entier. » Malgré l’heure tardive ce 2 août, la prise de parole du sénateur centriste Jean-Yves Roux est accueillie joyeusement par la Haute assemblée en pleine discussion sur le projet de loi de finances rectificative. « En réalité, la filière lavandicole subit une crise exceptionnelle », prévient le sénateur des Alpes de Haute Provence qui défend les producteurs de sa région. Il demande une aide exceptionnelle de 10 millions d’euros pour aider la lavandiculture. Son souhait sera exaucé avec une grande majorité : 317 sénateurs pour et 26 contre.
Sur les hauteurs drômoises, on respire la lavande à plein poumons. Dans le Diois, comme dans les Baronnies provençales, et les Alpes de Haute Provence, la culture lavandicole fait partie des traditions depuis des siècles. La région est le leader mondial d’huile essentielle de lavandin (hybride de la lavande plutôt utilisée dans l’industrie quand la lavande fine est privilégiée pour la parfumerie, les cosmétiques, etc.). Aujourd’hui, la situation est critique pour la filière qui doit faire face à plusieurs défis dont une surproduction handicapante.
Il y a quelques années, le prix des céréales s’effondre et de nombreux agriculteurs se décident à changer de culture pour survivre. Nombre d’entre eux se lancent dans la production de plantes aromatiques alors très rentables et plutôt faciles à cultiver. La lavande et le lavandin ont le vent en poupe grâce à la forte croissance de l’aromathérapie et des parfums naturels, notamment pour les lessives.
Un prix en dessous du coût de revient
Problème : « ils ont oublié le principe de l’offre et de la demande », déplore Alain Aubanel, président du Comité Interprofessionnel des Huiles Essentielles Françaises (Cihef). Le cours du lavandin qui était monté à 34 euros le kilo (prix hors taxe payé au producteur) en 2019 baisse drastiquement. Aujourd’hui, Alain Aubanel, également producteur, négocie le kilo entre 12 et 15 euros. « Sachant que le coût de revient pour l’agriculteur tourne autour de 20 euros. Nous ne pouvons pas continuer de vendre à perte ainsi », dénonce le lavandiculteur du Vercors.
C’est d’autant plus difficile pour les cultures de montagne. Éliane Bres, productrice de lavande et de lavandin drômoise, a toujours cultivé la plante aromatique. Celle qui est désormais présidente de la coopérative France Lavande pointe du doigt les difficultés supplémentaires de l’agriculture dans ces territoires escarpés. « Nous ne pouvons pas avoir les mêmes rendements que ces grandes plaines qui utilisent une plus forte irrigation et dont les récoltes sont plus simples. Or, chez nous, il n’y a que la lavande et le mouton qui poussent, tandis que chez eux, d’autres cultures sont possibles. » En Beauce, environ 70 agriculteurs se sont lancés dans le lavandin dernièrement. Et avec la crise des céréales ukrainiennes, il serait peut-être utile de penser à la souveraineté alimentaire, ajoutent les agriculteurs « historiques ».
Laurent Depieds, président de la FDSEA des Alpes de Haute Provence, ne jette pas la pierre aux agriculteurs qui ont saisi l’opportunité d’une culture aussi rentable mais il espère que l’aide à l’arrachage votée au Sénat permettra de faire redescendre les surfaces cultivées à un nombre adapté au marché. « Lorsque les semenciers sont passés à la lavandiculture, ils ont explosé les rendements et ont fini par mettre en péril des territoires historiques de la lavande. Il faut désormais que l’on trouve des solutions pour continuer de survivre et revenir à un prix raisonnable. » D’autant que la concurrence internationale se fait également plus rude : l’Espagne a doublé sa surface de lavandin en 5 ans, et la Bulgarie est devenue le premier producteur d’huile de lavande au milieu des années 2010.
« Une bouffée d’oxygène pour cette filière en souffrance »
Si le contenu de l’enveloppe de 10 millions d’euros votée début août n’est pas entièrement défini, cette manne devrait financer l’arrachage d’un tiers des surfaces supplémentaires – soit 5 000 hectares. L’aide pourrait monter jusqu’à 2 000 euros l’hectare. La sénatrice de la Drôme, Marie-Pierre Monier, qui portait avec les socialistes un amendement similaire à celui de son collègue centriste, évoque la possibilité que l’aide ne soit pas utilisée que pour l’arrachage. « Certains producteurs auraient également souhaité une prime au maintien. Cela devra être discuté entre la filière et le gouvernement. Quoi qu’il en soit, ces 10 millions d’euros vont être une bouffée d’oxygène pour cette filière en souffrance. » Pour son collègue, Lucien Stanzione, sénateur du Vaucluse, il faut affiner le mode d’attribution de la prime afin d’aider en priorité les petits exploitants.
Malgré ce coup de pouce, la lavandiculture n’est pas au bout de ses peines. Depuis un an et demi, elle doit également faire face à une nouvelle réglementation européenne, Reach, qui associe l’huile essentielle de lavande à un produit chimique. Pour Alain Aubanel du Cihef, il s’agit d’une application « démesurée » du principe de précaution. « Nous avons deux mille ans de recul sur les huiles essentielles, les multiples tests qu’on nous demande de produire sont disproportionnés. » Toutefois, les acteurs se disent confiants dans une issue positive. Une action conjointe de nombreuses strates des collectivités locales et de l’État a permis de faire entendre la voix des lavandiculteurs français à Bruxelles.
Une inscription au patrimoine mondial de l’Unesco ?
Énième fléau que doit gérer la filière : des attaques de ravageurs. A cause de la perte d’homologation d’un produit phytosanitaire, les champs de lavande et de lavandin ont été ravagés par des cécidomyies, un tout petit insecte qui provoque le dessèchement des plantes. Le producteur de lavande bio, Laurent Depieds, ne remet pas en cause la nécessité de se débarrasser d’un produit nocif mais assure que des solutions auraient pu être anticipées. « Il aurait fallu de la recherche pour trouver une alternative à ce produit. Mais nous sommes une filière mineure donc pas assez rentables pour que les firmes entament des recherches. Nous nous retrouvons sans rien en substitution du produit qui a disparu. »
Si les galères se succèdent pour les lavandiculteurs, les acteurs redoublent d’initiatives pour faire perdurer leurs traditions. Après avoir sonné aux portes de tous les élus locaux, un dossier de candidature a été déposé à l’Unesco pour que la lavande entre au patrimoine mondial. Certains, comme le sénateur PS du Vaucluse, Lucien Stanzione, veulent même aller plus loin en tentant de décrocher une IGP qui permettrait une différenciation entre les territoires « historiques » et les productions plus récemment installées, Mais cette initiative ne fait pas l’unanimité chez les lavandiculteurs.
Si l’amendement a passé avec succès le cap de la commission mixte paritaire, le chemin s’annonce encore long. Alors que le gouvernement demandait le retrait de l’amendement, Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, s’en était inquiété avant le vote au Sénat. « Le Gouvernement soutient bien évidemment cette filière d’excellence, qui connaît actuellement des difficultés. Pour autant, il est impossible d’octroyer l’aide demandée dans le cadre européen, car elle peut être assimilée à une intervention sur le marché, ce qui est proscrit par les règles de la politique agricole commune. » La question reste en suspens de savoir si l’aide sera en adéquation avec la réglementation européenne.