D’une voix posée, lente et rude, Mathieu Pheng, choisi minutieusement chacun de ses mots. Ce réalisateur, né d’une mère française et d’un père khmer, a toujours été stigmatisé dû à sa double culture : « il y a un mot en khmer pour définir les enfants métisses et qui signifie enfant coupé ». S’il est né en France et maîtrise les codes de cette culture, il a fini par découvrir sa culture et son identité cambodgienne, longtemps inconnue, grâce à sa grand-mère.
Une femme forte et brave, qui sentie en 1975, le vent tourner en République Khmer. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans la ville de Phnom Penh et la vident de ses habitants. Une dictature se met alors en place et entraîne la mort de millions de Cambodgiens. Face à ce génocide, la grand-mère de Mathieu Pheng profite d’un événement auquel elle est invitée en France, pour faire venir toute sa famille et pendre le statut de réfugiés politique. Finalement, c’est l’entrée de sa défunte grand-mère cambodgienne au grand monument français qu’est le Père Lachaise, quelques années plus tard, qui sera l’évènement déclencheur pour Mathieu : le début de sa quête identitaire et de sa volonté de prôner sa double culture. Aujourd’hui, Mathieu en est certain : « c’est à nous désormais, fils et filles de ces exilés du Cambodge, nés en France, d’assembler les morceaux et d’assumer notre rôle d’êtres frontaliers ».
« Je me suis pris une grosse douche froide parce que chaque fois que l'on me contactait pour des rôles, pour participer à des castings c'était systématiquement pour faire le chinois. On me demandait de faire l'accent chinois, le restaurateur, le mafieux ou encore le karatéka. Les peu de fois où on est représenté, on est mal représenté ».
L’art, comme moyen d’interroger la double identité des franco cambodgiens
Comme Mathieu, d’autres enfants d’exilés ont entrepris à leur tour ce long chemin vers la connaissance de leur double identité. Jean Baptiste Phou est l’un d’entre eux. Ce franco cambodgien, a choisi pour sa part les planches de théâtre, comme terrain d’expression. À l’origine comédien, Jean-Baptiste à vite déchanté : « ma carrière de comédien je l'ai commencé au Cambodge dans des comédies musicales, je me suis ensuite rendu aux États-Unis pour me former encore plus. Après cet épisode, j'ai décidé de rentrer en France et là je me suis pris une grosse douche froide parce que chaque fois que l'on me contactait pour des rôles, pour participer à des castings c'était systématiquement pour faire le chinois. On me demandait de faire l'accent chinois, le restaurateur, le mafieux ou encore le karatéka. Les peu de fois où on est représenté, on est mal représenté […] Je me suis dit, au lieu de me plaindre de ça, autant que je commence à exprimer ma propre voix, notamment par le biais de l’écriture ». Des clichés devenus aujourd’hui une force pour ce metteur en scène, dont les pièces montées à la fois en France et au Cambodge, interrogent l’identité Khmer.
Cette envie de donner une voix à son histoire, de questionner une partie de son identité, Hélène Robert l’a également ressentie. Cette réalisatrice s’est servie de sa caméra comme prétexte pour aller questionner la famille qu’elle ne connaissait pas et son passé. Elle a accompagné et filmée sa mère au Cambodge qui n’y était pas retournée depuis le génocide de 1975 : « en filmant, j'allais d'une part garder une trace pour moi et ma famille mais aussi me mettre dans une position de questionnement par rapport au passé. Je savais que cela allait m'ouvrir quelques petites portes du passé de ma mère, en tout cas celui avant qu'elle n'arrive en France ». Cet épisode traumatisant de l’arrivée des Khmers rouges en 1975, longtemps tu par l’ancienne génération, se révèle petit à petit grâce au travail de mémoire entreprit par ces hommes et ces femmes issus de la nouvelle génération.
Tous, ont aujourd’hui la volonté de créer des ponts, des passerelles entre leurs deux cultures. Des traits d’union comme ils se plaisent à s’appeler, qui utilisent toutes les formes d’art pour faire passer leur message : « à travers la musique, notre objectif est de pouvoir raconter cette double histoire, d’assumer qui on est sans pour autant nous renfermer dans un esprit communautaire » explique Davouth OP, un rappeur dans son studio de musique.
« C’est à nous désormais, fils et filles de ces exilés du Cambodge, nés en France, d’assembler les morceaux et d’assumer notre rôle d’êtres frontaliers ».
Le rôle de la deuxième génération aujourd’hui
Sur le chemin de cette double identité, chacun marche à son rythme Certains se perçoivent comme « des bonus », comme l’un des amis de Jean-Baptiste Phou : « notre génération, celle qui a vécu et qui est née en France, a des choses à apporter à la culture française », d’autres voient les choses différemment, « je ne sais pas si on a quelque chose à apporter à la culture française, moi je ne me positionne pas comme ça. Je veux avant tout exister pour ce que je suis » explique Jean-Baptiste dans un restaurant parisien où Mathieu Pheng organise de nombreux dîners créatifs entre franco cambodgiens.
Aujourd’hui, la nouvelle génération souhaite aller encore plus loin que « les anciens ». Assis devant son bureau, Séra un dessinateur a été l’un des premiers à entreprendre ce travail de mémoire : « quand j’entreprends en 1987 un travail de mémoire avec un premier roman graphique Un passé rouge, personne n'avait entrepris un tel chemin et s’il y a bien une chose que les Cambodgiens n'aiment pas aborder c'est parler de ces événements qui ont été traumatisants. Mon but a toujours été d'amener les uns et les autres à retrouver ce chemin de la parole pour se libérer […] or au Cambodge, personne ne parle du 17 avril 1975, ce n'est pas présent sous les yeux des nouvelles générations ou des habitants, c'est totalement évacué ».
Un traumatisme légué en héritage à la nouvelle génération cambodgienne, qui aujourd’hui en a fait une question de société. Buon Tan, un député parisien d’origine cambodgienne, chassé et déporté à l’époque des Khmers rouges, est devenu le représentant des Cambodgiens en exil et est fier du projet qui a abouti : « on arrive à la fin de ce projet qui est d'installer un mémorial en hommage aux victimes du génocide des Khmers rouges […] pour ces familles qui chaque année cherchent un lieu pour se recueillir ».
Aujourd’hui encore, cette minorité reste bien souvent cantonné à des clichés blessants : les Asiatiques ne font pas de problèmes, ils sont travailleurs, ils sont bons à l'école. Ce sont les bons élèves de l'immigration française. « Des Français issus de l'immigration, d'une immigration sans problème, sans revendication… Une immigration invisible. J'appartiens à une minorité visible invisible » tient à souligner Mathieu Pheng. Un constat que partage l’animateur et journaliste, Raphal Yem mais qui reste optimiste : « beaucoup de minorités sont stigmatisées dans notre pays et il ne tient qu'à nous de rétablir l'équilibre ».
Retrouvez l'intégralité de l'émission C'est vous la France - Une minorité visible invisible, le samedi 25 avril à 23h et lundi 27 avril à 19h.