La France prendra le 1er janvier prochain la présidence de l’Union Européenne et Roch-Olivier Maistre ne « s’inquiète pas vraiment » de la couverture médiatique qui lui sera consacrée. En revanche, la question, pour le président du CSA, est plutôt de savoir comment faire pour « que le soufflé ne retombe pas. » En effet, le constat semble relativement partagé par les différents acteurs du fameux « PAF » présents aujourd’hui au Sénat : le traitement médiatique de l’actualité européenne est insuffisant.
Et pourtant, les représentants de TF1, de M6, de France Télévision, de Radio France, de France médias monde, des radios privées ou encore de Public Sénat tiennent tous à défendre leur bilan en la matière. Des émissions dédiées sont régulièrement produites, des envoyés spéciaux sont présents à Bruxelles, Berlin, Londres ou Rome, des dizaines d’heures par semaine sont consacrées à la couverture européenne et des centaines de sujets ont été consacrés aux élections européennes.
« Nos concitoyens n’ont pas une grande appétence pour ces sujets »
Malgré les efforts déployés, le constat demeure. « Je confesse facilement une forme de timidité » sur la couverture européenne glisse – avec une certaine science de l’euphémisme – Christophe Tardieu. « La difficulté pour les grands médias est que nous devons respecter le principe de l’audience » poursuit le secrétaire général de France télévision, même dans le secteur public, soumis à un « contrat d’objectifs et de moyens » qui oblige à porter une « ambition » en matière de traitement de l’actualité européenne.
Fondamentalement, la question sous-jacente à cette table ronde est bien « pourquoi aussi peu de couverture européenne dans les médias français ? » explicite Christopher Baldelli. Pour le PDG de Public Sénat « il faut regarder les difficultés en face, nos concitoyens n’ont pas une grande appétence pour ces sujets. » Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes résume : « Vous nous dîtes tous faire des efforts, mais qu’en face, vous ne trouvez pas de répondant. »
Roch-Olivier Maistre y voit une « forme de paradoxe » entre une « faible exposition des thématiques européennes dans les médias », qui, pour les acteurs des médias résulterait d’un désintérêt de la population et un « sentiment des Français d’être insuffisamment informés sur l’Europe. » Jean-François Rapin abonde : « Les Français nous disent qu’ils ne sont pas assez informés sur l’actualité européenne. »
« Il est temps qu’on s’engueule sur l’Europe »
La seule explication restante est donc que le problème de la couverture européenne n’est pas tant quantitatif que dans la façon dont les médias abordent le sujet et dont les citoyens-auditeurs s’en emparent. Plusieurs pistes semblent émerger, comme arriver à transmettre l’influence de l’Europe dans le quotidien des Français, ce que Jean-François Rapin résume par la formule « l’Europe à la maison. » Christopher Baldelli cite un exemple de « bon sujet » avec l’idée d’un chargeur unique pour les téléphones portables sur lequel travaille la Commission européenne.
Mais d’après les acteurs présents, des progrès peuvent aussi être faits dans le traitement de l’actualité plus politique et institutionnelle de l’Union Européenne. Tous déplorent un déficit « d’incarnation » de la politique au niveau européen. Théo Verdier, de la fondation Jean Jaurès explique par exemple : « Je voudrais voir des débats sur des chaînes d’info entre représentants de la majorité et de l’opposition au Parlement européen. On reste souvent sur des débats extrêmement techniques. Il est temps qu’on s’engueule sur l’Europe ! » Si les responsables politiques européens ne seront jamais « à portée d’engueulade », selon l’expression chère à Gérard Larcher, les médias ont tout de même un rôle à jouer dans la construction d’un espace démocratique européen où l’on organise les mêmes débats thématiques sur l’écologie, la santé, l’éducation ou la sécurité que sur la scène nationale.
Et si les représentants des différents médias présents au Sénat reconnaissent leur responsabilité en la matière, ils attirent aussi l’attention sur le rôle que doit jouer l’Union Européenne elle-même. « Il y a des problèmes de langue et de disponibilités. Ursula von der Leyen a refusé l’invitation de nombreux grands médias français », affirme Théo Verdier. Christophe Tardieu partage ce constat : « L’Europe doit aussi chercher à se montrer aimable et regardable. » Le président de la commission des Affaires européennes du Sénat leur emboîte le pas et questionne une communication institutionnelle uniquement en anglais : « Depuis que le Brexit, seul 1 % de la population de l’Union Européenne a comme langue maternelle l’anglais il y a donc un sujet. »
Présidence française de l’Union européenne : « Comment faire la part entre l’action publique et la campagne électorale ? »
Et si de nombreuses évolutions semblent nécessaires à long terme, un problème va se poser à beaucoup plus court terme. La présidence européenne de la France démarre le 1er janvier et son traitement médiatique sera très vite perturbé par les obligations liées au début de la campagne présidentielle officielle. « Quelle place pourrons-nous réserver à la présidence française de l’Union européenne alors que la présidentielle battra son plein ? Comment faire la part entre l’action publique et la campagne électorale ? » s’inquiète par exemple Fabien Namias, directeur général de LCI.
Roch-Olivier Maistre, assure que le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’exprimera « explicitement » courant octobre après consultation du Conseil constitutionnel, mais tient à rassurer : « Il existe des règles que les rédactions connaissent bien depuis 2009 et l’arrêt du Conseil d’Etat sur la séparation entre le chef de l’Etat régalien et le candidat potentiel, même si ce n’est pas toujours évident. » Jean-François Rapin attire tout de même l’attention du régulateur : « Il va falloir des règles sur comment traiter cela, sinon un creux médiatique va s’installer qui ne sera pas favorable à la couverture européenne. » Dans l’attente de l’avis du CSA il est vrai que la présidence française de l’Union européenne ne va pas faciliter la distinction que les médias devront faire entre le président et le candidat.