Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
La grande loterie de l’enseignement supérieur ?
Par Amélia Morghadi
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Le plan Étudiants, annoncé lundi 30 octobre par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, censé mettre fin au projet de sélection arbitraire à l’Université, fait débat. Certains, comme le Syndicat des Fédérations des Associations Générales Étudiantes (FAGE) saluent une réforme « pleine de bon sens », là où d’autres, comme l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF), dénoncent une sélection déguisée.
Une sélection qui ne dit pas son nom
La notion de sélection en France reste taboue. Même si, selon un sondage pour le magazine l’Obs réalisé par l’institut Ipsos en octobre 2017, les Français seraient désormais 66% à être favorable à l’idée d’une forme de sélection pour l’entrée à l’université.
Pour mettre fin au tirage au sort lors de la procédure Admission Post Bac, mis en œuvre pour départager les candidats dans les filières dites « en tension », où le nombre de places n’est pas en adéquation avec la demande, le gouvernement veut remettre à plat l’ensemble du système. Ce sont désormais les universités qui fixeront un ensemble de critères et de compétences nécessaires pour pouvoir accéder à leur formation. Après examen des dossiers, elles pourront formuler plusieurs réponses : soit un « oui », soit un « oui, si » signifiant une acceptation à condition de suivre une année de remise à niveau. Enfin, la troisième option, permettra, lorsque la filière est surchargée, de placer les futurs étudiants sur une liste d’attente.
Ce mode de fonctionnement induit donc une forme de sélection à la sortie du lycée, sélection qui est d’ailleurs déjà mise en place dans plusieurs types de formations universitaires.
Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, réfute toutefois ce terme : « La sélection, c’est dire oui, ou non. Et à aucun moment il n’est prévu que l’on dise non à un bachelier ». Bien que favorable à une partie de la réforme, Jimmy Lofsfeld, président de la FAGE, alerte sur ses possibles dérives : « Il ne faut surtout pas que les bacheliers subissent leur orientation ».
Mais comment définir des critères équitables et justes pour départager les nouveaux bacheliers ?
« Sélectionner les meilleurs » pour une meilleure visibilité internationale
Pour Bernard Ramanantsoa, ancien directeur d’HEC Paris, une grande école qui sélectionne ses étudiants sur concours : « il faut qu’il y ait un maximum d’étudiants qui soient admis dans l’Enseignement supérieur ». Car selon lui, c’est « un élément moteur du Soft Power [NDLR capacité d’influence au niveau international] qui va être au cœur des enjeux majeurs des années à venir ». Et pour cela, Bernard Ramanantsoa l’affirme, « Il faut des gens qui soient au niveau mondial » afin « d’attirer les meilleurs », aussi bien au niveau des étudiants que des professeurs. « Sélectionner les meilleurs est indispensable pour une meilleure visibilité internationale ».
Danielle Tartakowsky, ancienne présidente de l’Université Paris 8 s’inquiète de cet état d’esprit : « La notion de meilleur est tout à fait redoutable. Car qu’est-ce qu’être meilleur? Et que faire de ceux que vous déclarez comme n’étant pas les meilleurs ? »
Une inquiétude que partage Jimmy Losfeld de la FAGE « Où est-ce qu’on situe le curseur pour définir les meilleurs ? ». Selon lui, il est important de faire preuve de vigilance sur ces questions : « Il faut absolument expliquer pourquoi la sélection, notamment celle qu’on qualifie derrière l’idée de « mérite », est une mauvaise chose ». Les critères actuels définissant le mérite étant jugés par certains comme incompatibles avec l’égalité des chances.
Entre risques de prédéterminisme, d’autocensure et de reproduction sociale, la sélection des « meilleurs » pose question.
« Il y a un risque de prédétermination, mais il faut lutter contre ça » assure Bernard Ramanantsoa. « La fondation HEC donne des bourses justement pour que tout le monde puisse passer les concours pour HEC ».
Que faire de ceux qui ne seront pas sélectionnés ?
Alors faut-il prendre exemple sur les écoles et grandes écoles, autre versant de l’Enseignement supérieur français, qui fonctionnent déjà sur un modèle de sélection, par concours ou sur dossier ?
Si la question de la sélection à l’université est aussi largement discutée, c’est aussi parce que ce projet risque de compromettre la promesse d’égalité et de promotion sociale prônée par l’école républicaine. Tous les élèves auront-ils les mêmes chances face à ce processus de sélection ? De plus, que feront ceux qui ne seront pas sélectionnés à l’entrée de l’université ?
Pour les filières en tensions, comme le droit, PACES (première année de médecine) ou STAPS (formation aux métiers du sport), comment répondre au manque de place en évitant le système de tirage au sort actuellement en vigueur?
Pour l’exemple des STAPS Jimmy Losfeld, et le syndicat étudiant la FAGE, proposent « d’ouvrir 10 000 places sur la filière STAPS », afin de permettre de répondre à la demande. Mais le président de la FAGE souligne aussi l’importance de réfléchir à une multiplication des filières afin de pouvoir désengorger ces formations qui regroupent beaucoup de parcours différents.
La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, assure que l’on « prendra ceux dont le parcours est le plus en adéquation avec la filière », pour reprendre l’exemple des licences de STAPS « des jeunes qui ont fait sport études sont probablement mieux préparés » et donc favorisés.
Pour Bernard Ramanantsoa, la réponse pour le problème de la sélection est simple : « tout le monde n’a pas vocation à faire Polytechnique ou HEC », bien qu’il soit favorable à un accès à l’Enseignement supérieur pour un maximum de bacheliers.
Pour Danielle Tartakowsky, professeur à l’Université Paris 8 depuis 1997, le Plan étudiant du gouvernement est dangereux. « Je crains que cette réforme ouvre des brèches vers la disparité où des universités plus que d’autres seront quand même entraînées dans cette course à l’excellence et à la concurrence ». Cette ancienne présidente de l’Université Paris 8, tient également à revenir sur la concurrence école/université, au centre de l’idée de sélection dans l’Enseignement supérieur : « Il faut cesser de considérer que l’université c’est ce qui reste quand on a tout essayé ».
Retrouvez notre débat « Trier ses déchets pour sauver la planète ? » dans l'émission Un monde en Docs, présentée par Nora Hamadi, le samedi 11 novembre à 23:30, le dimanche 12 novembre à 09:52 et le dimanche 26 novembre à 18:00 sur Public Sénat.
Livres pour aller plus loin :
- « Construire l’Université au XXIe siècle, Récits d’une présidence », de Danielle Tartakowski, éditions du Détour, mars 2017
- « Apprendre et oser : au XXIe siècle, le business fait l'histoire », de Bernard Ramananstsoa, aux éditions Albin Michel en 2015
- « Arrêtons les frais ! Pour un enseignement supérieur gratuit et émancipateur » du Collectif ACIDES, coécrit par Ugo PALHETA, janvier 2015, éditions Raisons d’Agir
- « L'oligarchie de l'excellence : les meilleures études pour le plus grand nombre », de Monique Canto-Sperber, éditions PUF, janvier 2017
- « Universités: innover ou sombrer », Patrick Fauconnier, fauves éditions juin 2017
- « Course aux diplômes : qui sont les perdants ? » de Séverine Chauvel, 2016, éditions textuel