Grève des médecins libéraux : un mouvement dont les revendications divisent élus et syndicats

Grève des médecins libéraux : un mouvement dont les revendications divisent élus et syndicats

Emmenés par le collectif « Médecins pour demain », les médecins libéraux, en grève depuis dix jours, ont manifesté ce jeudi 5 janvier. Si la dégradation des conditions de travail en médecine de ville est un diagnostic largement partagé par les partenaires sociaux et la classe politique, la principale revendication des manifestants – porter le tarif de la consultation de base à 50 euros – soulève les crispations.
Romain David

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Lancé le lendemain de Noël, le mouvement de grève des médecins libéraux se poursuit. Ils étaient appelés à descendre dans la rue ce jeudi 5 janvier à Paris, à l’initiative du collectif « Médecins pour demain », né cet automne sur les réseaux sociaux. Au départ de la place du Panthéon en début d’après-midi, le cortège était attendu devant le ministère de la Santé. Selon le collectif, 70 % des généralistes étaient en grève durant la dernière semaine de 2022, mais la baisse d’activité rapportée par la Caisse nationale d’Assurance maladie se situait seulement entre 5 et 10 %. Ces praticiens considèrent que les négociations pour un accord conventionnel engagées en novembre entre les syndicats et l’Assurance maladie, et qui doivent se poursuivre jusqu’en février, n’ont pas posé sur la table les mesures nécessaires pour relancer l’attractivité d’une médecine de ville grevée par le problème des déserts médicaux. Leur principale revendication : un doublement du tarif de la consultation de base, de 25 à 50 euros, et une revalorisation des consultations dites « complexes », telles que peuvent les pratiquer les pédiatres, les psychiatres, les endocrinologues ou encore les rhumatologues. Ils considèrent cette hausse comme nécessaire à l’amélioration de leurs conditions d’exercice.

Deux ans après le Ségur de la santé, qui a permis de débloquer 19 milliards pour le système de soins mais dont 14,5 milliards ont été aiguillés vers les établissements de santé, faut-il s’attendre à un bras de fer entre et le gouvernement et les blouses blanches ? Mardi, au micro de franceinfo, Élisabeth Borne, la Première ministre, a estimé que la mobilisation tombait au mauvais moment, alors que l’Hexagone est sous le coup d’une triple épidémie, entre la bronchiolite, la grippe saisonnière et le covid-19. « Je peux entendre qu’ils peuvent rencontrer des difficultés, qu’ils peuvent souhaiter des améliorations, mais ça n’est vraiment pas responsable de faire grève, notamment dans cette période de fêtes, où cela a augmenté les tensions sur l’hôpital », a-t-elle taclé. Le gouvernement dévoilera « une feuille de route dans les prochaines semaines pour répondre à ces attentes », a encore indiqué la cheffe du gouvernement. Certaines orientations pourraient être dévoilées en fin de semaine par Emmanuel Macron, qui présentera vendredi matin ses vœux aux acteurs de la santé depuis le Centre Hospitalier Sud Francilien d’Evry, dans l’Essonne.

Les contreparties du ministre de la Santé

Mais déjà, le scenario d’une revalorisation de la consultation à 50 euros semble difficilement envisageable. Cette hausse a été jugée « relativement extravagante » par Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie. Jeudi matin, François Braun, le ministre de la Santé, a écarté sur France 2 l’hypothèse d’une telle revalorisation, tout en se disant prêt à faire un geste mais sur un « principe gagnant/gagnant » : « Je suis prêt à augmenter cette consultation dès lors que les besoins de santé des Français sont remplis », a-t-il déclaré. Cet après-midi, le ministre devait s’entretenir avec des représentants du collectif « Médecins pour demain ». « D’accord, on augmente la consultation, mais je veux que les 650 000 Français qui sont en maladie chronique aient un médecin traitant, parce qu’ils n’en ont pas actuellement, je veux qu’on puisse avoir un médecin la nuit, le week-end », a encore martelé cet ancien urgentiste.

En filigrane, c’est la question de mesures contraignantes pour les libéraux, de plus en plus prégnante dans le débat public, que soulève François Braun. L’adoption définitive début décembre d’une quatrième année d’internat pour les généralistes, à effectuer en priorité dans une zone sous-dotée, a été dénoncée par plusieurs associations d’étudiants en médecine et syndicats d’internes comme un premier coup de canif à la liberté d’installation des médecins.

Une situation française en trompe-l’œil

Le collectif « Médecins pour demain » porte d’autres revendications, comme la création d’une aide à l’installation - déjà mise en place par certaines communes -, des auto-déclarations en ligne pour les arrêts de moins de trois jours, sur le modèle de ce qui avait été fait par l’Assurance maladie pendant la crise du covid-19, un relèvement de la limite de 20 % de téléconsultations, ou encore la possibilité de facturer les rendez-vous qui n’ont pas été honorés. Mais pour les professionnels mobilisés ce jeudi, c’est surtout la hausse de la consultation qui permettrait de « créer un choc d’attractivité pour les jeunes médecins s’installant en médecine libérale ». Elle faciliterait également l’embauche d’une aide pour réduire une charge administrative toujours plus lourde et qui grignote le temps accordé aux patients.

Autre argument régulièrement invoqué : le tarif de la consultation en France est l’un des plus bas d’Europe, 25 euros alors qu’il se situe au-dessus des 40 euros chez la plupart de nos voisins, et peut même dépasser les 300 euros au Royaume-Uni. Mais le prix de la consultation n’est pas nécessairement corrélé aux salaires et les modes de rémunération varient d’un pays à l’autre, comme le relève un décryptage de Libération. Selon les chiffres compilés par le quotidien, la rémunération des médecins par rapport au salaire moyens place les généralistes français en quatrième position parmi ceux des pays de l’OCDE, derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Autriche, mais devant le Canada, l’Irlande, la Belgique ou encore les Pays-Bas. « Il faut se méfier des lissages », nuance auprès de Public Sénat la sénatrice LR Marie Mercier, médecin de profession. « Vous avez de grandes disparités, notamment chez les spécialistes. De mémoire, les pédiatres et les psychiatres ne gagnent pas grand-chose comparé à un rhumatologue. »

« On ne peut pas continuer sans une prise en compte de la permanence des soins »

La Chambre haute a longuement travaillé sur la crise du système de soins, avec une commission d’enquête consacrée à la situation de l’hôpital en 2022, mais aussi de nombreux focus sur les déserts médicaux. Et souvent le même constat, celui d’un profond déséquilibre entre les deux piliers de l’offre ; les insuffisances de la médecine de ville, confrontée à une crise des vocations, conduisent à l’engorgement d’un système hospitalier lui-même pénalisé par le manque d’investissements et de personnels. « L’absence de réponse médicale sur le terrain, les Français la ressentent », résumait ce jeudi matin, sur BFM TV, Gérard Larcher, le président du Sénat. « Qu’il y ait une négociation autour de la convention, c’est légitime. Parce que depuis 2017, les honoraires n’ont pas été augmentés. Mais il doit aussi y avoir des contreparties », estime l’élu des Yvelines. « On ne peut pas continuer sans une prise en compte de la permanence des soins. Deuxième chose : la désertification médicale. C’est le premier sujet qui vient dans toutes les assemblées de maires. Nous l’avons évoqué avec le nouveau président du Conseil de l’ordre de médecins, François Arnault. Il en est parfaitement conscient. »

Le Sénat compte une dizaine de médecins dans ses rangs, eux-mêmes confrontés aux difficultés de la profession. Pour les autres, les centaines d’heures d’auditions de soignants effectués par les différentes missions d’information et commissions d’enquête depuis la crise du covid-19 ont apporté des témoignages particulièrement éloquents. Mais devant le contexte économique et les difficultés rencontrés par de nombreux Français en raison de l’inflation et de la hausse des tarifs de l’énergie, plusieurs élus interrogés par Public Sénat hésitent à se positionner face au mouvement de grève. « Etant moi-même médecin, commenter la mobilisation de mes amis généralistes me gêne », glisse un parlementaire. « Le principe d’une revalorisation est entendable », estime Marie Mercier, qui refuse toutefois de se prononcer sur un montant. « Vous touchez à l’intime, à la vie, à la mort. Comment voulez-vous quantifier ça ? Au-delà des honoraires, c’est surtout le métier lui-même de soignant qui doit être revalorisé. Nous n’avons pas retenu les leçons de la crise sanitaire », soupire l’élue. « Je pense qu’une augmentation modérée, avec une consultation à 30 ou 35 euros est entendable », relève Daniel Chasseing, membre du groupe les Indépendants au Sénat, et également médecin généraliste. « Mais dans un temps où les entreprises font face à de grosses difficultés, il faut raison garder. Les médecins doivent aussi se souvenir qu’ils ont des devoirs. »

Le risque d’embrasement

Plusieurs syndicats, dont les poids lourds MG France, la CSMF, et Avenir Spé, mais aussi l’intersyndicale ReAGJIR ne s’alignent pas non plus sur une hausse à 50 euros. Il faut dire que les partenaires sociaux ont été pris de court par la mobilisation, qui s’est agrégée en quelques mois autour d’un groupe Facebook, lancé en octobre par Christelle Audigier, une généraliste de la région lyonnaise. « On a ouvert la discussion, les médecins ont compris qu’ils n’étaient pas seuls. Puis ça a été un tsunami », a-t-elle raconté dans les colonnes de Libération. Désormais, les syndicats FMF, UFML, SML et Jeunes Médecins soutiennent le mouvement. « Cette situation est très frustrante pour eux. Cela montre que les syndicats n’ont pas su fédérer, poser le bon diagnostic et rassembler leurs ouailles », pointe Marie Mercier. « Les mécontents se sont parlé entre eux, rassemblés. On peut faire un parallèle avec les Gilets Jaunes ». De quoi rappeler les propos tenus le 7 novembre par son collègue Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse, lors de l’examen du budget de la sécu : « Au moment du mouvement des Gilets Jaunes, j’avais dit à la ministre Agnès Buzyn qu’il fallait éviter le mouvement des gilets bleus et des blouses blanches. La crise du covid-19 est passée par là, mais la réalité nous rejoint de nouveau, il est grand temps de réagir ! »

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