Aron et Sartre : « Lui, c'était plutôt le principe de réalité, Sartre plutôt le principe de plaisir »
Quand on interroge le réalisateur sur le choix du sujet de ce film, il n’hésite pas à nous répondre : « Je pense que c’était important de parler de Raymond Aron parce que c’était le grand copain de Sartre, et si tout le monde connaît Sartre, Aron était un peu oublié, et je pense qu’à eux deux, ils font la paire. » Force est de constater que l’œuvre de Sartre résonne aujourd’hui beaucoup plus dans les esprits que celle d’Aron (1905-1983) : lui, le libéral, proche des Etats-Unis et contre le stalinisme même si son coeur penchait à gauche. Pour le réalisateur, cela s’explique : « Sartre était plus marrant : il couchait avec des filles, il avait des blousons… Je pense qu’il faut un peu d’imagination sinon la vie est triste. Mais en même temps, (comme Aron) il faut être un peu rationnel aussi, il faut regarder ce qui se passe, et ne pas dire n’importe quoi. ». Et en effet, l’histoire a montré que Sartre s’est beaucoup trompé, notamment dans son admiration du stalinisme et le peu de recul qu’il a pu prendre quant à la réalité des horreurs dans la montée des totalitarismes de l’époque. Les deux « petits camarades », comme ils avaient l’habitude de se surnommer à l’école, ont donc fini par s’éloigner tant leurs divergences étaient parfois totales sur les sujets politiques. Donc, Sartre est plus un symbole de génie et d’extravagance, Aron, plus en retrait, un défenseur d’une analyse approfondie des sujets traités. Poutant, d'après le réalisateur, "l'intelligence les rapproche. Les deux intellectuels du XXe siècle en restent donc des figures complémentaires.
« Aron pour les nuls » : vulgariser Aron c’est démocratiser sa pensée
L’ambition du film, pour le réalisateur, a été de rendre accessible le parcours et l’œuvre d’Aron, notamment pour les jeunes : « J’ai un fils de 17 ans, il ne savait pas du tout qui était Aron ». Il s’agit donc pour Fabrice Gardel, plus que de faire l’historique de la vie et l'œuvre de Raymond Aron, d’ouvrir la voie à une pensée aronienne qui pourrait paraître nébuleuse et complexe :
« On a essayé de faire un film un peu pop, pour justement le démocratiser, parce que sinon il a écrit des gros livres, ce qui n’est pas toujours très marrant. C’est intéressant de prendre ce qu’il y a à prendre dans Aron, et il y a plein de choses qui résonnent avec l’époque, et qui ne sont pas du tout emmerdantes contrairement à ce qu’on pense »
Dans la continuité de cette approche, il publiera prochainement avec d’autres collaborateurs un abécédaire d’Aron aux Éditions de la découverte, pour une raison claire : « Il faut le dire, ce n’est pas un auteur facile à lire ».
« Des hommes intègres » : source d’inspiration pour Fabrice Gardel
Le réalisateur nous rappelle une anecdote de Jean-François Revel, qui, dans ses mémoires, raconte un déjeuner « de travail » avec Raymond Aron à l’issue duquel il paiera lui-même l’addition sans faire de note de frais. Il en fait cette analyse : « Donc en 40 ans, Raymond Aron n’a jamais pensé à faire une note de frais, et cela raconte un peu l’époque. Aujourd’hui, tout le monde ne pense qu’à son pognon, qu’à son ego, lui, c’était un homme très intègre. ». Cette intégrité qu’on retrouve ici chez Raymond Aron, le réalisateur la retrouve chez Aimé Césaire et Jean Yann, sujets également de films qu’il a réalisés. Par ailleurs, ces trois personnalités sont « des gens qui mettent en cohérence leur vie privée, leur pensée et leur vie professionnelle, et il n’y en a pas tant que ça. », il apparaît donc important pour Fabrice Gardel de rappeler à la mémoire de ces hommes les nouvelles générations via la réalisation de documentaires. Le réalisateur finira par nous confier que par la suite, il pourrait envisager de travailler sur Claude Lévi-Strauss, car, par exemple, dans sa dimension de compréhension de l’autre : « dans un monde où l’on se replie, où la France est de plus en plus fermée », l’anthropologue spécialiste des tribus amazoniennes aurait, comme Aron, beaucoup de choses à nous apporter. Dans une dimension plus féministe, il avoue pencher par ailleurs pour la figure de Simone de Beauvoir.
On l’aura compris donc, la démarche artistique de Fabrice Gardel réside entre autres dans ce travail de démystification des intellectuels, pour les extraire des bibliothèques universitaires poussiéreuses et permettre aux nouvelles générations d’y prendre goût.
Le réalisateur Fabrice Gardel répond aux questions de Public Sénat
Retrouvez "Raymond Aron, le chemin de la liberté", le samedi 20 octobre à 21h, le dimanche 21 octobre à 10h, le samedi 27 octobre à 22h30 et le dimanche 28 octobre à 11 h 30