Etat d’urgence sanitaire : les sénateurs dénoncent un projet de loi liberticide

Etat d’urgence sanitaire : les sénateurs dénoncent un projet de loi liberticide

Déposé hier, le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires fait bondir sur les sièges de la Haute assemblée, à droite comme à gauche. En cause, la possible restriction de déplacement pour les personnes non vaccinées mais aussi l’inscription de mesures privatives de libertés dans le droit réglementaire.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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Publié le

« C’est un mauvais cadeau de Noël », peste le sénateur centriste Loïc Hervé après avoir découvert, ce mardi matin, le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires. Ce texte entend créer « un dispositif pérenne » dotant les pouvoirs publics « des moyens adaptés pour répondre à l’ensemble des situations sanitaires exceptionnelles ».

Mais un article a particulièrement fait réagir : celui permettant au Premier ministre de limiter les déplacements des personnes n’ayant pas réalisé le vaccin contre la Covid-19. Un vaccin pour lequel l’Agence européenne du médicament a autorisé la mise sur le marché, hier.

Une « dérive » qui inquiète

L’incompréhension est également de mise pour le chef du groupe écologiste au Sénat, Guillaume Gontard. « Lors de notre rencontre avec Emmanuel Macron, il nous avait dit qu’il était opposé à la vaccination obligatoire. Sur la stratégie vaccinale, les discussions s’étaient plutôt bien passées », rapporte le sénateur de l’Isère. Aujourd’hui, il dénonce « une dérive » et s’inquiète qu’on « insère l’état d’urgence sanitaire dans le droit commun ».

Même si les députés reviennent sur cet article, le message envoyé lui apparaît dangereux au vu « du climat particulièrement tendu dans le pays. On a vraiment besoin d’apaiser et ça nécessite de la transparence, de l’écoute et du dialogue ».

Un article qui sème le doute

Par son article 1er, le projet de loi du gouvernement donne en effet la possibilité au Premier ministre de « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif ».

Si dans son allocution du 24 novembre le président de la République assurait que le vaccin ne serait pas rendu obligatoire, cet article sème le doute.

Le Conseil d’Etat demande des précisions

Dans son avis rendu public par le gouvernement, le Conseil d’Etat estime pour cette disposition que « sans être par elle-même assimilable à une obligation de soins, une telle mesure peut, si notamment elle conditionne la possibilité de sortir de son domicile, avoir des effets équivalents et justifie, à ce titre, un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles ».

Le Conseil d’Etat propose donc de préciser dans la rédaction du texte les activités et les lieux concernés.

Rétropédalage du gouvernement

Toutefois, le gouvernement semble faire machine arrière. Le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, Christophe Castaner, assure que la vaccination contre la Covid ne sera pas rendue obligatoire. « Ce texte n’est pas là pour créer des pouvoirs exceptionnels pour le Gouvernement mais pour renforcer notre arsenal de gestion de crise et protéger les Français », répondait aussi la ministre de la Transformation et de l’Action publique, Amélie de Montchalin, ce mardi sur CNews.

Le ministre de la Santé, lui-même, insiste sur le fait que la vaccination privilégiera « en premier lieu les personnes les plus à risques de faire des formes graves, et (sera) fondée sur leur consentement ».

« C’est au parlement d’autoriser le gouvernement à agir »

Est-ce suffisant pour éteindre l’incendie ? Chez le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, l’accueil est également glaciale.

« En cas de crise sanitaire, la mise en œuvre de mesures privatives de liberté doit demeurer de la compétence exclusive du parlement. C’est au parlement d’autoriser le gouvernement à agir lors de chaque crise et pour une durée limitée », tance le sénateur de Vendée sur son compte Twitter.

Une procédure accélérée qui pose question

Le texte déposé à l’Assemblée nationale fait l’objet d’une procédure accélérée, c’est-à-dire que le projet de loi ne fera l’objet d’une seule lecture, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, avant d’être adoptée. Comme souvent ces derniers mois, l’opposition (dont la droite et le centre sont majoritaires au Sénat) s’inquiète de voir le rôle du Parlement affaibli en cette période de crise.

« Nous ne souhaitons pas être une chambre d’enregistrement », fulminait, par exemple, Philippe Bas au lendemain de l’échec de la commission mixte paritaire sur l’état d’urgence sanitaire en octobre.

Aujourd’hui, le président de la commission des Lois du Sénat, François-Noël Buffet, ne tient pas un autre discours : « On ne peut pas inscrire des mesures privatives de libertés uniquement sur des bases réglementaires ».

La crainte d’un usage abusif

Une autre disposition l’inquiète particulièrement, celle autorisant le ministre de la Santé, par arrêté, de mettre en œuvre des mesures de placement et de maintien en isolement des personnes affectées ou contaminée par la Covid mais aussi des personnes susceptibles d’être affectées ou contaminées. « Imagine-t-on l’usage abusif qui peut être fait ? », s’interroge-t-il.

Aussi ce texte encadrant l’état d’urgence sanitaire prévoit que sa mise en place soit décidée par décret en conseil des ministres « après avis public du Haut Conseil de la santé publique ». Le Parlement, lui, serait informé par la remise d’un rapport en cas de mise en œuvre de l’état de crise sanitaire pendant plus de six mois.

« La commission des Lois s’y opposera », prévient déjà François-Noël Buffet. Le Conseil d’Etat s’est lui aussi interrogé « sur les conditions de prorogation de l’état de crise sanitaire et les modalités d’exercice du contrôle du Parlement, en particulier si cet état de crise doit s’inscrire dans la durée ».

Un calendrier inopportun

La question du moment choisi pose également question : « C’est inacceptable de déposer un texte le 21 décembre, pendant la phase de suspension des travaux parlementaires, pour un passage en janvier », s’agace François-Noël Buffet.

La rentrée parlementaire de janvier sera effectivement chargée au Sénat, avec la proposition de loi sécurité globale, le projet de loi confortant les principes républicains et maintenant ce projet de loi. Toutes posent des questions sur les libertés publiques : « Un beau programme pour les défenseurs des libertés que nous sommes », ironise Loïc Hervé.

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