Au lycée Karl-Liebknecht à Francfort sur l’Oder (1 h 30 à l’est de Berlin), les 860 élèves n'ont plus que quelques mois avant de passer leur « abitur », le bac allemand. Hormis trois matières obligatoires : maths, allemand, et une langue étrangère, les lycéens déterminent les spécialités qu’ils ont envie d’étudier et se construisent un bac presque à la carte.
Kea Niedermeyer, lycéenne a choisi les matières qu'elle étudie en fonction de ses facilités pour avoir la meilleure moyenne possible à « abitur ». « J’ai pris Biologie parce que c'est important pour mes études, je voudrais faire médecine plus tard, Ça devrait m’aider. Et puis géographie parce que j'ai de bonnes notes tout simplement ».
« Les élèves n’ont pas besoin d’être à 100 % de leurs capacités le jour de l’examen »
Mais en plus d’avoir choisi les enseignements qu’elle suit, Kea Niedermeyer choisit également les matières qu’elle passe : quatre au total. En Allemagne, l’examen final compte pour ⅓ de la note, et les ⅔ restants sont évalués grâce au contrôle continu depuis la classe de première. Un système qui a fait ses preuves selon Thorsten Kleefeld, directeur du collège lycée Karl Liebknecht : « L’avantage, pour les élèves qui ne sont pas les plus à l’aise, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’être à 100 % de leurs capacités le jour de l’examen… Pourtant ces élèves ont souvent beaucoup de potentiel, et donc pendant la première et la terminale, ils ont le temps de montrer de quoi ils sont capables ».
Des bacs différents selon la région
Matières obligatoires, contrôle continu, si ces modalités sont les mêmes pour tous, l'examen qui clôt les études du secondaire diffère suivant les régions.
« Nous tendons de plus en plus vers une harmonisation de nos différents bacs pour les rendre plus comparables les uns avec les autres ».
À l’inverse de la France, en Allemagne la politique éducative est décentralisée. Comme l'explique Birgit Nix, cheffe du département enseignement secondaire au ministère de l’éducation du Brandebourg, chacun des 16 Landër décide de son propre bac. « Il y a différents bacs c’est vrai… qui varient selon la région où l’on vit. Même les examens sont différents, en allemand, en mathématiques, en biologie, ou en anglais par exemple. Mais en ce moment les régions sont en train de développer une banque d’épreuves communes pour les épreuves obligatoires dans laquelle elles pourront piocher. Nous tendons de plus en plus vers une harmonisation de nos différents bacs pour les rendre plus comparables les uns avec les autres ».
Cette banque commune d’épreuves reste toutefois à la discrétion des régions, et certaines rechignent à l’utiliser.
Vers une harmonisation des barèmes ?
Mais le milieu scolaire allemand s’écharpe sur une autre question : celle de la notation. En l’absence de barème commun pour le contrôle continu, comment évaluer le niveau réel d’un lycéen et la pertinence d’une note ?
Pour Harm Kuper, chercheur à la Freie Universität spécialiste des questions d’éducation, c'est la question qui se pose aujourd'hui. Comment définir un standard commun de notation dans tout le pays ? « En ce moment, les régions tendent à créer des examens finaux du bac centralisés. Mais ça, c’est seulement au sein des régions, il n'y a pas de bac harmonisé au niveau national. Toutes les régions ont mis en place un bac centralisé ou sont en train de le faire, donc cela règle la question d'examens centraux. Ce qui fait débat, ce sont les notes de contrôle continu… Dans quelles mesures leur attribution varie ? Cette question ne pourrait être réglée que si l’on élaborait un standard de notation indépendant, commun aux établissements, pour attribuer les notes ».
En l’absence de notes comparables, se pose la question de l’égalité de tous pour accéder à l’université, car la note à « abitur » est le critère de sélection numéro un des facultés, particulièrement sélectives.
« Les enseignements sont harmonisés, mais la façon dont on note les compétences des élèves varie beaucoup ».
Certains syndicats enseignants accusent même certaines régions de surnoter leurs élèves pour leur assurer une place en fac. Un problème que pointent les recteurs d’université, tels que Peter-André Alt, président de la conférence des recteurs d’université. « C'est un problème, parce que nous avons des écarts énormes entre les notes. Certes, les enseignements sont harmonisés, mais la façon dont on note les compétences des élèves varie beaucoup. Dans certaines régions, par exemple en Thuringe, 88 % des élèves ont une note supérieure à 13,5, c'est-à-dire une bonne note alors qu’en Basse-Saxe, seulement 17 % des élèves ont cette moyenne-là. Cela veut dire qu'on a de grandes disparités de niveau mais aussi de notation. Et donc les notes sont de moins en moins pertinentes. De fait, pour un élève qui a obtenu un 18 en maths ou en sciences naturelles par exemple, il faut déterminer dans quelle région il l'a obtenue. Et c'est seulement comme ça qu’on saura s'il est vraiment brillant ou surnoté. Nous n'avons pas d'harmonisation sur tous les points, c'est mieux qu'avant, mais il y a toujours de très grandes disparités ».
Des critères d'admission durcis
Faute de pouvoir estimer la valeur de l’élève sur la note, des universités prestigieuses et très demandées comme La Freie à Berlin, ont décidé de durcir leurs critères d’admission. La fac berlinoise valorise désormais les années de césures, les stages, et est beaucoup plus regardante sur la cohérence entre les spécialités choisies par le lycéen et la filière qu’il vise. Romy, 20 ans, en a fait l’expérience, puisqu'un stage lui a permis d’avoir une place en psychologie, une filière très demandée à la freie universität : « Ce n’est pas simple à Berlin car beaucoup de gens postulent. Tout le monde veut étudier ici et avec le numerus clausus, les exigences sont élevées. Il faut donc avoir un très bon "abitur" pour entrer. Moi, j’ai eu de la chance car ma note n’était pas excellente, mais j’ai réussi à entrer ici surtout parce que j’ai fait un stage dans ma filière, et ça a joué ».
Selon un récent sondage, 80 % des Allemands seraient favorables à un « abitur » pour tous. En revanche, même si le gouvernement d’Angela Merkel pousse à l'harmonisation, le pays, attaché au fédéralisme se heurte à l’hostilité de régions comme la Bavière, qui redoutent que leur bac, réputé difficile, soit dévalorisé.