La décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit à l’avortement de la Constitution a perturbé l’agenda parlementaire français. En l’espace de quelques jours, pas moins de quatre propositions de loi ont été déposées ou en passe de l’être. A l’Assemblée, au sein de l’alliance de gauche Nupes, c’est la patronne des députés Insoumis, Mathilde Panot qui a immédiatement annoncé le dépôt d’un texte en ce sens. Dans un communiqué, l’intergroupe de la Nupes propose à tous les députés de co-signer le texte « à l’exception de ceux du Rassemblement National ».
« Je trouve ça dommageable cette guéguerre pour savoir qui va déposer son texte en premier »
Moins attendue, la nouvelle cheffe de file des députés Renaissance, Aurore Bergé a annoncé également la volonté de son groupe d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. En 2018, l’exécutif avait pourtant clairement exprimé son désaccord sur ce point. « Nous avions testé à plusieurs reprises le gouvernement et il n’y était pas favorable et nous n’avions finalement pas présenté notre texte », rappelle ce lundi, la sénatrice Laurence Cohen, auteure, en 2017, d’un texte qui proposait d’inscrire ce droit à l’article 34 de la Constitution.
Le texte a été redéposé ce lundi par les élus CRCE (Groupe Communiste républicain citoyen et Écologiste). Laurence Cohen indique à Public Sénat son regret de voir, qu’à la différence de l’Assemblée, la gauche sénatoriale arrive divisée. « Je trouve ça dommageable cette guéguerre pour savoir qui va déposer son texte en premier. Mais bon ce qui compte, ce sont les droits des femmes et qu’un texte soit voté », explique-t-elle.
» Lire notre article. Droit à l’avortement dans la Constitution : il y a 5 ans, le débat se tenait au Sénat
Proposition du groupe PS : inscrire l’égal accès à l’IVG et à la contraception dans le préambule du 27 octobre 1946 »
Les élus socialistes de la Chambre Haute ont, en effet, déposé ce lundi une autre proposition de loi visant à inscrire le droit à l’IVG au sommet de la hiérarchie des normes. Le texte diffère toutefois de celui du groupe CRCE comme l’explique, l’ancienne ministre des familles de l’enfance et des droits des femmes, et actuelle sénatrice socialiste, Laurence Rossignol. « Nous proposons d’inscrire l’égal accès à l’IVG et à la contraception dans le préambule du 27 octobre 1946 qui garantit les droits fondamentaux. Il faut être direct et faire du droit à l’avortement une liberté fondamentale alors que l’article 34 ne fait que déterminer ce qui est du domaine de la loi et du règlement ». La sénatrice PS assure néanmoins avoir proposé aux élus du groupe CRCE (Groupe Communiste républicain citoyen et Écologiste) de se joindre à eux. « Mais ils ont préféré rester sur leur texte », indique-t-elle.
Invité de la matinale de Public Sénat, le sénateur (apparenté PS), Bernard Jomier s’est montré philosophe sur le changement de pied de la majorité présidentielle. « Il y a peut-être une part de calcul, mais quand il s’agit de sanctuariser les droits des femmes, il faut prendre ce qui est proposé ».
« Je ne souhaite que pas que la campagne d’un référendum donne une tribune aux anti IVG »
« Il faut maintenant que le gouvernement reprenne la main avec un projet de loi de révision constitutionnelle », insiste Laurence Rossignol en rappelant la règle en la matière. En effet, une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum. « J’ai confiance dans le peuple français mais je ne souhaite que pas que la campagne d’un référendum donne une tribune aux anti IVG » explique la sénatrice qui souhaite que la révision passe par un vote du Congrès et donc par un projet de loi de révision constitutionnelle. Initiée par l’exécutif, la révision constitutionnelle peut être approuvée par référendum ou par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès.
« C’est une manœuvre politicienne de la Macronie destinée à nous faire porter le chapeau »
Mais que ce soit une proposition ou un projet de loi, le texte doit d’abord être voté conforme par les deux chambres. Et au Sénat, la majorité de droite est loin d’y être favorable. Sur Twitter, le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau n’a pas manqué d’ironiser sur le revirement de la majorité présidentielle. « Pour masquer son incapacité à régler les vrais problèmes du pays, la majorité s’en invente des fictifs. Devons-nous inscrire l’interdiction des armes dans la Constitution sous prétexte que la cour suprême américaine a consacré le droit d’en porter dans la rue ? ».
« L’annonce de LREM est faite pour détourner l’attention de la situation économique et sociale catastrophique du pays », précise l’entourage du sénateur de Vendée.
René-Paul Savary, sénateur LR, Président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, est également plus que réservé sur un texte. « Le droit à l’avortement n’est nullement menacé en France. La majorité est en train de se servir de la détresse des femmes d’un pays étranger pour faire un coup politique. Ceux qui n’étaient pas favorables à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution y sont maintenant brutalement favorables. C’est une nouvelle manœuvre politicienne de la Macronie destinée à nous faire porter le chapeau », relève-t-il.
La droite sénatoriale garde en mémoire la tentative infructueuse d’inscrire la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique à l’article 1 de la Constitution. Jean Castex avait rejeté la responsabilité de l’échec de la navette parlementaire sur le Sénat, non sans provoquer la colère des élus LR.
Et pourquoi pas inscrire le mariage pour tous, la PMA et la GPA ?
Alain Milon (LR), ancien président de la commission des affaires sociales, fait le même constat que son collègue. « Le droit à l’avortement n’est pas menacé en France ». Pour autant, l’élu du Vaucluse voterait, lui, en faveur de son inscription dans la Constitution. « Mais je déposerai des amendements. Si le droit à l’avortement n’est pas menacé, ce n’est pas le cas du mariage pour tous, de la PMA et de la GPA. C’est pourquoi, je proposerai d’inscrire le droit d’y avoir recours dans la Constitution », lance-t-il, précisant, comme si c’était nécessaire, qu’il s’agit là d’une position personnelle, qui n’engage pas son groupe.
Au sein de la majorité, d’autres font le chemin inverse. François Bayrou qui a pris ses distances dimanche avec la proposition LREM, soutenue par la Première ministre, Élisabeth Borne. « Est-ce qu’il est bon, est-ce qu’il est utile de faire ça, alors même que, à ma connaissance, aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil de 1975 qui a autorisé l’avortement en France », a-t-il insisté sur BFMTV.
Pour mener à bien cette révision constitutionnelle, l’exécutif devra donc compter sur toutes les voix. Au groupe RN de l’Assemblée nationale, les députés sont divisés. Marine Le Pen, elle-même avait exprimé son souhait de dérembourser l’IVG, avant de prôner le statu quo sur le sujet.
Le droit à l’avortement, sujet ô combien sensible, les députés de la majorité en avaient fait l’expérience lors du précédent quinquennat. Avant d’être voté en début d’année, l’allongement du délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines avait provoqué de nombreux remous entre le groupe LREM et le gouvernement.
» Lire notre article. Allongement des délais de l’IVG : « Le blocage vient de Matignon et de l’Elysée », pour Laurence Rossignol