Commission sur l’inceste : des premières recommandations « qui vont dans le bon sens », saluent deux sénatrices

Commission sur l’inceste : des premières recommandations « qui vont dans le bon sens », saluent deux sénatrices

Dans un premier avis, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles appelle à accorder davantage de soutien aux mères qui dénoncent des faits de violences sexuelles sur leurs enfants. Les sénatrices Annick Billon (UC) et Marie Mercier (LR) partagent ce constat : elles y voient la marque d’un « déficit » de formation des professionnels chargés de recueillir la parole des victimes.
Romain David

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La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a rendu mercredi 27 octobre un premier avis. Depuis son installation en mars dernier, cet organisme constitué de 22 membres indique avoir reçu les témoignages de centaines de mères, qui ont vu leur parole remise en cause par l’administration, lorsqu’elles ont voulu dénoncer les violences sexuelles subies par leur enfant de la part du père. Une situation qui les pousse parfois à se mettre hors la loi, en soustrayant d’elle-même l’enfant à l’autorité d’un conjoint ou ex-conjoint. « Comment respecter les lois qui me donnent l’obligation de protéger et garantir la sécurité physique, psychique et morale de mon enfant, alors que la justice m’oblige à le mettre en danger ? », explique l’une des mères entendues par la commission.

« Cette réalité interroge l’autorité judiciaire dans sa capacité à protéger les enfants efficacement, et interroge ainsi la société dans son ensemble », relève la Ciivise qui formule dans l’avis publié mercredi trois propositions pour « en finir avec la présomption de culpabilité des mères » :

> La première recommandation de la commission est « une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant ».

> Dès l’ouverture d’une enquête contre un parent pour inceste, les poursuites pénales éventuellement engagées pour « non-représentation d’enfant » contre l’autre parent seraient levées.

> Enfin, la commission estime que l’autorité parentale doit être systématiquement retirée en cas de condamnation d’un parent pour inceste contre son enfant.

« Le principe de précaution doit s’appliquer pour la sécurité de l’enfant »

Autant de pistes de travail « qui vont dans le bon sens » pour la sénatrice centriste Annick Billon, présidente de la délégation Droits des femmes, et qui également à l'origine de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. « À partir du moment où il y a un soupçon, une situation potentiellement dangereuse, le principe de précaution doit s’appliquer pour la sécurité de l’enfant. On l’applique pour des situations bien moins graves », observe-t-elle auprès de Public Sénat. Même son de cloche du côté de la sénatrice LR Marie Mercier, qui a produit un rapport d’information sur la protection des mineurs victimes de violences sexuelles : « On n’envoie pas un enfant chez un parent toxique, au contraire, il faut casser le lien », insiste-t-elle.

Dans un document mis en ligne sur son site, la Ciivise se fait l’écho du désarroi affiché par plusieurs mères qui ont accepté de témoigner. « Le juge aux affaires familiales m’accuse de vouloir élever des enfants sans père, ainsi que d’être folle cliniquement parlant, en d’autres termes, ma folie serait donc responsable des révélations de l’enfant », raconte l’une d’elles. Une dizaine de témoignages similaires sont cités. « Une immense majorité des témoignages qui nous ont été transmis font état de ce même mécanisme : en dépit des révélations de l’enfant, ce n’est pas le père qui est mis en cause mais la mère, accusée de manipuler son enfant », résume la commission.

Former davantage de professionnels à ces cas particuliers de violences

« Si la parole des enfants et des parents est remise en cause, c’est parce que de rares cas de manipulation existent. Mais la souffrance de l’enfant, elle, ne ment jamais », pointe la sénatrice Marie Mercier, pour qui les professionnels habilités à recueillir la parole ne sont pas suffisamment formés pour traiter ces cas particuliers. « Décrypter la parole d’un enfant de trois ans, c’est un métier à part entière. Il faut que les professionnels acceptent d’être formés, ce qui implique des moyens financiers importants. Par ailleurs, certains policiers, même formés, ne restent jamais longtemps au sein de la brigade de protection des familles, tant leur tâche y est difficile. C’est un autre problème », relève-t-elle.

La Ciivise alerte également sur le recours au syndrome d’aliénation parentale, qui permet à certains professionnels d’écarter des cas de violences sexuelles faites aux enfants. Elaboré dans les années 1980 par un psychiatre américain, le concept d’aliénation parentale suppose, chez les couples séparés, une manipulation de l’enfant, consciente ou involontaire, par le conjoint qui en a la garde dans l’optique de le dresser contre l’autre parent. La Ciivise estime que cette notion, « malgré l’absence de validation scientifique », s’est largement répandue dans les pratiques des professionnels, au point de contribuer à l’invisibilisation de certaines violences.

« Il faut prendre en compte la parole des mères sans s’abriter derrière des mots qui ne veulent rien dire », s’agace Marie Mercier. « On ne peut pas imputer une infraction, ou au contraire dédouaner quelqu’un, sur la seule base d’hypothèses pseudo-scientifiques. » Pour la sénatrice Annick Billon, qui évoque également « un déficit de formation », il est essentiel de revaloriser le statut de la victime, même présumée. « Venir témoigner constitue toujours un parcours très difficile. Il faut que l’on se mette dans la tête que la personne qui fait cette démarche sait pertinemment que sa parole va être étudiée, scrutée. On ne va pas au commissariat pour se venger d’un problème conjugal ou de pension alimentaire », balaye-t-elle.

Un phénomène tabou, mal mesuré

Recoupant plusieurs enquêtes, la commission estime qu’environ 22 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles commises par leur père. Mais en 2020, il n’y a eu que 1 697 procédures engagées contre des personnes soupçonnées de viol incestueux sur mineur ou d’agression sexuelle sur mineur. Bien que le ministère de la Justice ne dispose pas de données statistiques sur les incestes paternels, la commission considère que le nombre de pères poursuivis pour de tels faits « est très en deçà » du nombre de victimes.

« L’inceste se déroule dans un milieu familial, a priori sécurisé, il concerne des victimes qui ne sont pas toujours en mesure de s’exprimer. Forcément, la société n’est pas en capacité de cerner l’ampleur du phénomène. Mais pour combattre le mal, il faut se donner la peine de l’identifier », martèle Annick Billon. « Il faut avoir l’audace de reconnaître qu’il s’agit là d’un problème de fond », renchérit Marie Mercier, qui souhaite faire de la lutte contre l’inceste « une grande cause nationale ».

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