La France est aujourd’hui l’un des rares pays européens à ne pas avoir légalisé le cannabis thérapeutique. Pourtant, il pourrait concerner entre 300 000 et 1 million de patients. Des scientifiques et représentants d’associations de malades étaient invités par la sénatrice EELV du Val-de-Marne Esther Benbassa à témoigner devant la presse avant le débat sans vote dans l’hémicycle mardi 29 mai sur « le cannabis thérapeutique, un enjeu majeur de santé publique ».
« Le cannabis m’a permis de reprendre une vie sociale ».
Les malades aujourd’hui ne peuvent pas utiliser du cannabis à visée thérapeutique. Il est pourtant essentiel dans l’atténuation des douleurs de certaines maladies, qui n’arrivent pas à être apaisées par la médecine traditionnelle. Mado Gilanton, porte-parole d’Espoir Imminent et présidente d’Apaiser S&C, expliquait que dans son association, trois malades s’étaient suicidés en avril à cause des douleurs. Elle-même souffrante d’une lésion de la moelle épinière, est revenue très émue sur son histoire, et comment le cannabis a été un moyen efficace de calmer ses souffrances. « Le cannabis m’a permis de reprendre une vie sociale ».
Légalisation du cannabis thérapeutique : « Il y a urgence » pour Mado Gilanton présidente d'Apaiser S&C et porte-parole d'Espoir Imminent
Elle s’est indignée du tabou qui règne sur le cannabis dans le milieu médical. « On sait qu’il y a des livraisons dans les services de chimio thérapie. On le sait. On sait que des médecins recommandent aux patients en phase terminale de prendre du cannabis. Les politiques doivent prendre leurs responsabilités », a-t-elle lancé.
Le Docteur Olivier Heinzlef, par ailleurs président de la Ligue contre la sclérose en plaques, a expliqué que ses patients aussi se soulageaient grâce au cannabis de leurs douleurs. « Les patients utilisent le cannabis, mais en réalité, on a très peu d’études sur les risques d’effets secondaires. Il faut une expérimentation », a-t-il expliqué. Un argument de santé publique également avancé par Mado Gilanton. Olivier Heinzlef a été rejoint par l’addictologue Didier Joyle : « C’est incroyable qu’il n’y ait pas eu d’expérimentation et de recherche sur le sujet. »
« L’état doit protéger les plus faibles. Aujourd’hui, il les condamne »
Bechir Bouderbala, du collectif Alternative pour le Cannabis à visée Thérapeutique (CACT) qui regroupe plusieurs associations, dont Act-up et AIDES, s’est lui insurgé sur la situation des consommateurs à visée médicale, qui sont considérés comme des délinquants. « La légalisation du cannabis n’est pas un débat de société. L’état doit protéger les plus faibles. Aujourd’hui, il les condamne », a-t-il lancé, prenant pour exemple une mère de famille malade qui aurait perdu l’autorité parentale parce qu’elle possédait des plants de chanvre utilisés à visée thérapeutique.
Le représentant associatif plaide pour la mise en place d’une circulaire de dépénalisation du cannabis dans ces cas précis, sur le modèle de la « circulaire Guigou ». « Il faut cesser la répression et le désordre social qu’elle provoque », explique Bechir Bouderbala. Néanmoins, Esther Benbassa concentrera son intervention dans le débat de mardi sur la molécule du cannabis dans son usage pharmaceutique, et donc plus encadré.
« Certains médecins sont frileux, car ils considèrent que la législation à visée thérapeutique serait un cheval de Troie pour la législation globale » a souligné Didier Joyle, addictologue. Le Professeur Amine Benyamina a dénoncé quant à lui les médecins qui « n’agissent pas comme des scientifiques, mais comme des citoyens ».
Cannabis : « Il ne faut pas confondre sa posture de médecin et ses opinions de citoyen » dénonce le Professeur Amine Benyamina
Une expérimentation à grande échelle annoncée
Pourtant, il y a un peu plus d’un an, la ministre de la Santé Agnès Buzyn ouvrait la voie au cannabis thérapeutique (voir notre article). À l’époque, Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales, estimait également qu’il n’y avait « aucune raison de s’opposer à un progrès thérapeutique dès lors que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Haute autorité de Santé donnent leur accord. Mais les problèmes tournent toujours autour des questions de dosage et de prescription » rappelait-il.
Depuis ces deux déclarations, les choses ont légèrement avancé. Puisque l’ANSM a mis en place un comité dédié à la question du cannabis thérapeutique, qui a jugé début décembre 2018 qu’il était « pertinent d'autoriser l'usage du cannabis à visée thérapeutique (...) dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d'une mauvaise tolérance » des traitements existants ».
« Nous avons une fenêtre de tir pour faire avancer les choses »
C’était la première étape dans l’agenda voulu par la ministre Agnès Buzyn. Le comité de l’ANSM se réunit désormais jusqu’à juin afin d’étudier les modalités de mises à disposition dans le cadre de la phase expérimentale du cannabis en France. Le 28 du mois, il lancera selon Didier Joyle une grande expérimentation du cannabis thérapeutique sous différentes formes. « C’est un premier grand pas, souligne l’addictologue. Nous avons une fenêtre de tir pour faire avancer les choses ».
Même s’il n’y aura aucun vote demain, Esther Benbassa est confiante sur les débouchés politiques du dossier. Elle a reconnu les avancées faites avec la ministre de la Santé, et voit le débat de demain comme « le moment pour donner un coup de pouce supplémentaire ». « On est dans l’urgence », s’alarme quant à elle Mado Gilanton, et alerte : « Si cette expérimentation n’est pas mise en place, c’est l’ouverture totale aux marchés parallèles qui risque de se produire ».