Quels sont les enjeux diplomatiques de cette visite d’Etat ?
Le président doit obtenir certains engagements de la part de la Chine tout en affichant l’unité de l’Union européenne. Dans le dossier ukrainien, il faut avoir des attentes réalistes : essayer de convaincre la Chine de faire pression sur la Russie apparaît complètement illusoire, surtout après la visite du président chinois à Moscou. Mais nous devons envoyer un avertissement à la Chine, en lui exposant les potentielles conséquences de livraisons d’armes à Vladimir Poutine. Il faut mettre sur la table d’éventuelles sanctions.
Une victoire diplomatique d’Emmanuel Macron pourrait ressembler à quoi ?
La France doit être là où on l’attend. Par exemple, en matière de déploiement d’armes nucléaires à l’étranger. La Chine y est officiellement opposée, et condamne la « prolifération nucléaire ». Quelle est sa position vis-à-vis de la Russie, qui s’apprête à déployer de telles armes en Biélorussie ?
C’est à la France de poser la question. Nous disposons en effet de l’arme nucléaire, nous siégeons au Conseil de sécurité de l’ONU et nous ne sommes pas engagés dans le cadre d’un partage nucléaire au sein de l’Otan. Nous sommes donc le seul pays légitime à interroger la Chine sur le sujet. Si Pékin refuse d’afficher officiellement sa position, cela aura quand même pour effet de mettre en avant ses contradictions.
A-t-on réellement le moyen de peser sur les choix de la Chine, comme le pense Emmanuel Macron ?
Le chef de l’Etat est très ambitieux, et surestime sans doute le poids de la France. Il faut être plus réaliste et viser ce qui est atteignable. Trois éléments doivent être pris en compte : la singularité de la position française, l’unité de l’Union européenne et la coordination avec nos autres partenaires.
Des malentendus doivent être levés. En matière de communication, la France est considérée comme trop ambiguë. Nous prétendons être à équidistance de la Chine et des Etats-Unis, ce qui est faux, car nous partageons très largement les préoccupations de nos partenaires, notamment américains. Le concept de « puissance d’équilibre » est trompeur et instaure des malentendus.
Dans le domaine économique, quels sont les objectifs du voyage d’Emmanuel Macron ?
Le but est là encore de clarifier les choses. Il y a un certain nombre d’ambiguïtés car la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen évoque la nécessité de faire du « dérisquage », c’est-à-dire d’engager une politique de réduction des risques économiques en diversifiant les partenaires de l’Union. Or, nous envoyons cette semaine en Chine une délégation comportant une soixantaine de chefs d’entreprise, contre seulement quinze membres de la société civile. Il y a un déséquilibre évident, alors même que le président Macron n’a pas fait dernièrement de grands voyages à l’étranger avec de telles délégations économiques.
Existe-t-il aujourd’hui un risque de confrontation directe entre les Etats-Unis et la Chine et quel rôle peut jouer l’Europe dans la désescalade ?
Il faut tout faire pour éviter l’affrontement et Emmanuel Macron a une carte à jouer. Pour la première fois, il sera sans doute amené à se prononcer sur le dossier de Taïwan. La vision de la France est connue, mais le président n’a encore jamais pris la parole publiquement sur le sujet. Il devrait insister sur l’importance de maintenir la stabilité dans le détroit de Taïwan.
Il ne s’agit pas de provoquer Pékin, mais simplement de rappeler nos intérêts fondamentaux. La diplomatie française doit calibrer sa communication, afin de faire passer un message sans risquer de froisser le régime. Mais en définitive, le rôle de la France est très limité : il n’existe pas de troisième voie entre les Etats-Unis et la Chine, il faut simplement que l’on défende nos intérêts et tout faire pour que l’Europe parle de sa propre voix.