Le constat n’est pas nouveau. Dès 2003, l’entreprise de sondage Ipsos révélait, dans une étude intitulée « L’hôpital public en crise », que 82 % des directeurs d’hôpitaux interrogés jugeait la situation des établissements hospitaliers mauvaise. Un constat d’autant plus sévère chez les directeurs de structures moyennes – comprenant entre 400 et 500 lits – où le mécontentement atteignait 95 %.
Depuis, près de vingt années se sont écoulées. Mais les lignes n’ont, pour beaucoup de professionnels, pas bougé. Avec la mise en avant d’un chiffre qui se veut être témoin du mal-être des hôpitaux français, celui de la suppression en 20 ans de 100 000 lits. Énoncé par les syndicalistes et personnels hospitaliers, cet élément illustrerait la déliquescence de l’hôpital public, que l’augmentation de la prise en charge en ambulatoire ne permettrait pas de justifier à 100 %. « Si l’on n’apporte pas aux hôpitaux des réponses structurelles de fond, il y a non-assistance à hôpital en danger. Malgré sa force apparente, l’hôpital public français a besoin d’une véritable refondation » analyse Bernard Jomier, sénateur socialiste de Paris, lui-même médecin.
Le retour du référendum d’initiative partagée
Pour remédier à cette situation, des associations comme Emmaüs ou l’Armée du Salut, et des collectifs interprofessionnels tels qu’Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, se sont réunis au sein d’un collectif, « Notre hôpital c’est vous » qui se veut la voix d’un projet de référendum d’initiative partagée (RIP), présenté le 3 juin, visant à réformer en profondeur l’hôpital public, et à réinventer son modèle.
Introduit par la réforme constitutionnelle de 2008 et entré en vigueur en 2015, le référendum d’initiative partagée se base sur l’article 11 de la Constitution, qui précise que pour tout sujet relatif à l’organisation des pouvoirs publics, mais aussi ayant trait « à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent », un texte de loi peut être adopté par la voix du Parlement ou du référendum, s’il récolte le soutien initial « d’un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». À comprendre, 185 parlementaires et près de 4,7 millions d’électeurs.
Dans le passé, deux initiatives de RIP se sont révélées infructueuses. La première concernait une demande d’annulation de la privatisation annoncée d’Aéroport de Paris, qui n’avait réussi à récolter qu’un million de signatures citoyennes, la deuxième portait sur le bien-être animal.
La pandémie et la lumière faite sur les hôpitaux
Plus d’un an après le début de la pandémie de covid-19, ce troisième projet de RIP entend bien répondre aux problématiques inhérentes au secteur hospitalier que la crise a mis en lumière. « La pandémie a montré que les Français sont plus que jamais attachés à leur hôpital public. Mais en même temps, elle a révélé aux grands jours ses difficultés, le manque de moyens, leur gestion trop administrative… Le projet de RIP apporte des questions à toutes ces réponses » juge Bernard Jomier.
Et même au sommet de l’exécutif, un premier virage semble avoir été pris concernant la gestion des hôpitaux, après des années de logique financière et de réduction des coûts. En témoigne la suppression cet été du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO), qui avait pour mission d’accompagner les hôpitaux dans leurs projets d’investissements tout en les encourageant à réduire leurs dépenses, remplacé par « un comité national de l’investissement ». Mais aussi le limogeage, depuis jugé irrégulier par le Conseil d’État, de Christophe Lannelongue, directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) du Grand Est, qui en avril 2020, au plus fort de la pandémie, avait défendu le projet de restructuration du CHRU de Nancy, qui s’accompagnait d’importantes suppressions de lits.
Mais pour les associations comme les politiques mobilisés, ces premières mesures ne sont pas suffisantes, et une réforme plus volontariste est nécessaire. « Sur le Ségur, les personnels sont insatisfaits. Ils ont besoin d’une revalorisation réelle, des augmentations de salaires, et d’améliorer les conditions de travail. Ils manquent de matériel, le plus élémentaire possible. Ils travaillent dans des conditions épouvantables » fustige Laurence Cohen, sénatrice communiste et membre de la commission des Affaires sociales. Un constat partagé par Bernard Jomier. « La loi pour la confiance et la simplification dont découle le Ségur n’est pas du tout à la hauteur. C’est un micro-texte sans grand intérêt, à part pour certaines professions ».
Des taux de soignants et de lits fixés en amont
Pour répondre aux enjeux, la proposition du collectif « Notre hôpital c’est vous » entend donc réformer en profondeur l’hôpital public hexagonal, en déclinant ses propositions autour de plusieurs grandes thématiques. La proposition de loi, déjà préparée par le collectif, prévoit ainsi de fixer, pour chaque spécialité et type d’activité de soin, « un nombre minimal de soignants par patient ». Une proposition qui se justifie d’autant plus qu’actuellement, avec le vieillissement de la population, « les soignants se retrouvent à prendre en charge davantage de patients ».
Et face au problème de la réduction croissante des lits, les auteurs du texte souhaitent « définir la quantité de lits en fonction des besoins », soit « un nombre de lits d’hospitalisation calculé en fonction de la densité de population, du nombre de personnes malades ou pouvant le devenir ». Des quotas fixés par une « concertation multi-acteurs chargée d’évaluer les besoins ».
Des mesures nécessitant des coûts supplémentaires, alors que selon Laurence Cohen « chaque année, on ponctionne 1 milliard à l’hôpital public au travers du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui ne fait qu’asphyxier les hôpitaux ». Et bien que, comme le rappellent les instigateurs du projet, « le référendum d’initiative partagée ne permet pas d’intervenir directement sur le financement », ils souhaitent que l’hôpital public de demain soit moins tributaire des logiques de rendement, en proposant « le principe selon lequel le financement d’un établissement de santé lié à la tarification à l’acte (T2A) ne doit pas être supérieur à la moitié de ses revenus ». « Aujourd’hui, on ferme des lits car certaines activités ne sont pas assez rentables en termes de T2A » juge Bernard Jomier, qui appelle, au travers de ce projet, « à remettre le soin au cœur ».
Des mesures devant s’inscrire dans ce que le collectif « Notre hôpital c’est vous » appelle la « démocratie sanitaire », qui souhaite par là même mettre fin au rôle purement consultatif de la Conférence Nationale de Santé (CNS), en lui donnant la capacité d’agir de manière concrète. « Ce RIP apporte des réponses sur plusieurs questions, et fait des propositions qui sont loin d’être anecdotiques, mais réfléchies et solides. C’est donc un texte très intéressant qui mérite que les citoyens puissent se prononcer dessus » appelle de ses vœux Bernard Jomier. « Près de 150 parlementaires ont déjà signé le projet » se réjouit d’ailleurs le sénateur de Paris.
Laurence Cohen met cependant en garde. La sénatrice, qui regrette au passage « qu’il n’y ait pas eu un vrai travail de collaboration avec tous les acteurs dans l’écriture de la proposition de loi », appelle à regarder les derniers exemples en date pour se rendre compte des difficultés que comporte la voie référendaire. « Cette voie est un parcours exigeant. Et le cas de la privatisation de l’Aéroport de Paris nous a démontré la difficulté de récolter près de 5 millions de signatures de Français et Françaises ».