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Ukraine : « Les Russes n’étaient pas prêts à une guerre de haute intensité »
Par Louis Dubar
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Le 23 mars, Volodymyr Zelensky poursuit son tour du monde virtuel des parlements occidentaux. Après l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, le président ukrainien s’est adressé aux députés et aux sénateurs Français. « Le 24 février a mis fin aux efforts pour la paix, a rayé d’un trait le mot dialogue et les relations européennes avec la Russie », explique-t-il. Il y a un mois, les forces armées russes se lançaient à l’assaut de l’Ukraine pour « dénazifier » et démilitariser le pays. Pour le chercheur de la Fondation pour la FRS Vincent Tourret, les espoirs de guerre éclair de Vladimir Poutine se sont volatilisés. Mal préparée à une guerre de haute intensité, l’armée russe patine face à une résistance ukrainienne inattendue.
Après un mois de guerre, la situation sur la ligne de front s’est stabilisée. Entre-t-on dans une phase de réorganisation, une phase moins intense du conflit ?
Les Russes n’étaient visiblement pas prêts à une guerre de haute intensité et à mener des opérations de combat majeur. Ils pensaient que l’Ukraine était un Etat artificiel et que sa population accueillerait ses soldats en libérateurs. Le plan militaire était centré sur un assaut aéromobile rapide de ses forces spéciales pour décapiter le gouvernement ukrainien dans les premiers jours, un plan qui s’il avait été exécuté, aurait facilité la prise du contrôle du reste du territoire ukrainien par les forces conventionnelles russes.
L’échec de leur plan initial les oblige à une réarticulation, à une réorganisation de leur dispositif extrêmement rigide. L’armée russe tente désormais d’utiliser l’ensemble des moyens militaires à sa disposition. Moscou cherche à compenser la faiblesse numérique de ses forces armées en recourant à sa puissance de feu massive, bien supérieure à celle des Ukrainiens. Nous assistons à une période de temporisation d’une armée désorganisée qui est entrée en Ukraine en pagaille.
Au nord de Kiev, les unités russes tentent de défendre leurs gains territoriaux, des positions très éclatées sans grande continuité géographique. Là où ça bouge, c’est dans le Donbass, les Russes tentent une percée pour entreprendre des encerclements mais ça reste encore très hypothétique. L’armée russe s’est fixée beaucoup d’objectifs, mais n’a pas forcément concentré ses efforts pour les mener à bien et ne s’attendait pas à une grande résistance. Dans le futur, on peut imaginer une action militaire plus séquentielle. En faisant tomber Marioupol, les Russes pourraient par exemple redéployer des unités sur d’autres secteurs. C’est également une ville symbole qui a déjà résisté en 2014, elle résiste encore aujourd’hui et concentre beaucoup de moyens militaires.
En direction d’Odessa (ndlr, oblast de Kherson), c’est là où l’avancée a été la plus rapide et les gains territoriaux les plus importants. L’armée russe a beaucoup de mal à assurer le contrôle de ces territoires. Sur les réseaux sociaux, des vidéos dévoilent d’importantes manifestations à Kherson. Les unités ukrainiennes tiennent tête aux Russes et mènent à bien des contre-offensives. Le front est très volatil. Cette volatilité démontre la fragilité et l’élongation du dispositif militaire russe. Les intentions russes sont de pousser plus à l’Est mais je ne vois comment ils peuvent mener à bien ces projets. Ils sont consommés par les kilomètres et l’usure du terrain.
Ce changement de tactique traduit par l’utilisation massive de l’artillerie, ne risque-t-il pas de multiplier les catastrophes humanitaires ?
L’armée russe s’articule autour de son artillerie et de la rapidité de ses chars. C’est également l’armée du tir indirect (ndlr, tir sur une cible non-visible). Le scénario militaire qui va se dérouler en Ukraine est proche de ce qu’il s’était passé en Syrie : manœuvre, encerclement et destruction. L’armée russe agira par séquence en assiégeant les villes ukrainiennes, les unes après les autres. Ce sera Marioupol ailleurs. Au début d’un siège, le but pour les Russes est de détruire la soutenabilité de la vie civile. Les militaires visent tout d’abord, en priorité les infrastructures de gouvernance, la sécurité civile et les services de santé. L’idée, c’est de faire fuir la population, moins vous avez d’habitants plus le centre urbain est facilement prenable pour les assiégeants. Cette tactique soumet le défenseur à une double pression : subvenir à ses propres besoins militaires et répondre aux besoins grandissants des populations civiles présentes sur place. C’est un calcul brutal.
Le 22 mars, un média pro Kremlin Komsomolskaïa Pravda (KP) a révélé sur son site internet les pertes subies par l’armée russe et évoque le nombre de 9 861 tués et 16 153 blessés depuis le début de l’offensive. D’après le Pentagone, ça correspondrait à un cinquième des effectifs déployés. Comment la Russie peut-elle remplacer ces pertes sans nuire à son efficacité ?
L’armée de la fédération de Russie, ce n’est plus l’armée soviétique et ne dispose plus de cette masse humaine. Elle a opéré une modernisation de ses moyens et a réduit ses effectifs depuis la fin de la guerre froide. 80 % des forces russes employables sont déployées en Ukraine et on estime entre 120 000 et 130 000 hommes présents dans les zones d’actions ukrainiennes. Il est plausible que les pertes russes soient difficilement remplaçables. La Russie dispose de réserves opérationnelles limitées pour poursuivre l’offensive. Le pays a constitué très récemment cette réserve opérationnelle et il semble qu’une large part de ces troupes soient déjà engagées.
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Moscou va devoir trouver un moyen de combler les rangs. Ils peuvent entreprendre une nouvelle mobilisation en recourant à de nouvelles classes d’âge, mais cela risque de menacer l’équilibre social et pousser les Russes à la révolte. Pour conserver son efficacité opérationnelle sans mettre en péril cet équilibre, Moscou combat avec des supplétifs tchétchènes et lance des appels du pied à ses alliés Syriens.
Les sanctions économiques mises en place par l’Occident perturbent l’approvisionnement en pièces détachées et en composants, l’industrie de l’armement russe peut-elle réapprovisionner ses unités dans ces conditions ?
A court terme les sanctions ont peu de conséquences. L’armée russe ne sera pas confrontée à une pénurie dans les semaines à venir et réussira à maintenir sa capacité opérationnelle. La Russie dispose d’un parc massif et peut compter sur plus de 2 000 chars actifs. On observe déjà sur les réseaux sociaux l’acheminement de ce matériel aux unités affectées. A long terme toutefois, il existe un risque de désorganisation profond et important de l’appareil productif.
Depuis le début des combats fin février, on observe une forte résistance ukrainienne. A l’exception de Kherson et des villes du Donbass contrôlées par les séparatistes avant le déclenchement des hostilités, les grandes villes du pays échappent toujours aux unités russes. Cette résistance ukrainienne est-elle inattendue ?
Ce qui est surprenant c’est l’efficacité de l’armée ukrainienne qui surperforme face à des Russes sous-performants. L’Ukraine profite depuis le début des hostilités, d’un soutien massif de la part des pays occidentaux, les armes livrées jouent un grand rôle dans l’efficacité de ses forces armées. Il faut également prendre en compte un facteur qui n’est pas souvent mis en avant, les renseignements fournis par l’Otan et les pays étrangers permettent à l’état-major ukrainien de maximiser et d’optimiser ses moyens sur la ligne de front. L’armée ukrainienne a également entrepris des innovations tactiques sur la ligne de front. Elle a réalisé un important maillage de son territoire avec des unités très habiles tournées vers la manœuvre. Elle a mis le paquet sur la défense territoriale avec une infanterie légère efficace qui provoque d’importantes pertes.
Cette guerre est pour les Ukrainiens, une guerre nationale, de défense et de survie contre une invasion étrangère. Dans l’Histoire, on observe que ce type de conflit a un effet mobilisateur important sur les populations agressées. Carl von Clausewitz explique que la défensive est supérieure à l’offensive du fait des atouts politiques qu’elle procure. Pour prendre une illustration sportive, l’Ukraine se bat à domicile contre un adversaire qui a moins de renseignements, souffre de problèmes logistiques et qui ne bénéficie pas du soutien de la population locale. Les défenseurs disposent d’un ascendant psychologique important. Ce conflit va consolider le ciment de l’unité nationale et acter d’une rupture avec la Russie.