Retraites : une réforme sous haute tension

Retraites : une réforme sous haute tension

Une réforme « mal engagée » pour les uns, de « l’enfumage » pour les autres, la réforme des retraites fait déjà grincer des dents dans l’opposition. Si rien n’est acté à ce jour, la polémique déclenchée par la ministre de la Santé a réveillé les fractures sur ce sujet sensible.
Public Sénat

Par Helena Berkaoui

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Sensible par nature, la future réforme des retraites qui prend forme sous l’égide du Haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, promet de ne pas être un long fleuve tranquille. En premier lieu, il y a le contexte social extrêmement tendu comme l’illustre la contestation des gilets jaunes. Le mouvement a déjà amené le gouvernement à annuler la hausse de la CSG pour 30 % des retraités, ceux touchant moins 2 000 par mois. La récente polémique provoquée par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, représente également un bon indicateur de l’explosivité de ce débat.

La semaine dernière, la ministre s’était déclarée, « à titre personnel », favorable à un « allongement de la durée de travail ». Cette déclaration, en contradiction avec les promesses de campagne du président de la République, a déclenché une cascade de réactions chez les syndicats et dans l’opposition. Une enquête Harris Interactive-Agence Epoka, publiée dimanche 24 mars, indique par ailleurs que plus de six Français sur dix sont opposés à un report de l'âge de départ à la retraite (61 %) comme à un allongement de la durée du travail (62 %). Une polémique quelque peu atténuée jeudi dernier lors d’un colloque sur la réforme des retraites au Sénat où le Haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, a réaffirmé qu’il fallait conserver l’âge de 62 ans.  

« La cacophonie est préjudiciable à la confiance des partenaires sociaux », regrette René-Paul Savary, sénateur LR de la Marne et rapporteur "retraites" de la commission des affaires sociales. Plus offensif, le député Les républicains, Éric Woerth, déclare dans la matinale de Public Sénat que ce « couac » est révélateur des failles du travail de Jean-Paul Delevoye qui « ne se pose pas les bonnes questions ». L’artisan de la réforme des retraites de 2010 estime qu’il faut « remonter de trois ans l’âge de départ pour assurer le financement des régimes » et revenir sur les régimes spéciaux qui représentent « une vraie injustice » à ses yeux. De son côté, Jean-Luc Mélenchon (LFI), sur LCI, parle d’enfumage. Selon lui, « avec un système de retraites par points, l'âge légal de départ à la retraite n'a aucun sens ».

Plébiscité par Emmanuel Macron, le système dit des retraites par points, appliqué en Suède et en Italie, pose en effet certaines questions sur le montant des futures pensions. Ce montant ne serait plus garanti dans la mesure où il évoluerait en fonction d’un « coefficient de conversion » appliqué selon l’âge de départ à la retraite et l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient l’assuré, comme l’expliquent les décodeurs du Monde.

Maître de conférences en économie à l’université Lille 1, Michael Zemmour, déplore que la question de « l’avenir du niveau des retraites » soit complètement évacuée de la consultation sur la future réforme. Selon lui, si l’augmentation des ressources (hausse des cotisations, par exemple) n’est pas mise en œuvre « en 2040 le niveau de vie des retraités aura décroché de 15-20% par rapport aux actifs ».

Michael Zemmour souligne parallèlement la « grande confusion » dont le débat sur l’âge minimum légal de départ à la retraite a souffert « entre l’âge moyen de liquidation et l’âge moyen de fin de carrière ». Dans un billet publié sur Alternatives économiques, « non, on ne travaille pas en moyenne jusqu’à 63 ans », il revient sur cette méprise. Si les séniors travaillent effectivement de plus en plus longtemps, un nombre croissant d’entre eux se retrouve « sans emploi ni retraite », souligne-t-il : « en 2015, entre 53 et 69 ans, 1,4 million de personnes vivaient sans emploi ni retraite ».

« Quand Madame Buzyn dit qu’on va retarder l’âge de départ en retraite, c’est au fond ce que veut faire le gouvernement », dénonce Marie-Noëlle Lienemann
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« Quand Madame Buzyn dit qu’on va retarder l’âge de départ en retraite, c’est au fond ce que veut faire le gouvernement. Il va essayer de ne pas trop bouger l’âge légal de départ en retraite mais les conditions qui vous permettre d’avoir une retraite permettant de vivre vont faire que de toute façon vous ne pourrez pas partir à l’âge légal de la retraite », dénonce de son côté la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (rattachée au groupe communiste suite à son départ du PS). Le sénateur LR, René-Paul Savary, rejoint la sénatrice sur un point : les vraies questions sont « à quel âge je vais partir à la retraite et avec quel montant ? ». Mais il juge « qu’il est encore trop tôt » pour se prononcer sur la future réforme, « les points durs n’ont pas encore été abordés », assure-t-il. Contrairement à sa collègue, il croit, lui, à « un système par points » qui serait « plus lisible » et qui permettrait « un rapprochement des régimes de retraites ».

Le cycle de discussions mené par Jean-Paul Delevoye prendra fin le 6 mai prochain, et les propositions seront présentées début juin. Un calendrier qui pourrait toutefois être bousculé pour cause de grand débat.

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