Après le bouleversement du calendrier des élections municipales, l’échéance des élections départementales et régionales de mars 2021 inquiète certains présidents d’exécutifs locaux. Sept présidents de départementaux, dont quatre de la région Grand Est, durement touché par la vague épidémique de Covid-19 du printemps, ont signé une tribune adressée au gouvernement et aux parlementaires, afin de demander un report de trois mois des scrutins départementaux.
Deux principaux arguments sont mis en avant. Ils craignent que le scénario de mars 2020 ne se répète et ne pèse sur la campagne, « rendant impossible la tenue d’un débat démocratique digne de notre république ». Ils mettent également en avant le fait que les départements devront répondre « à la crise sociale et économique » cet hiver.
« On peut trouver un consensus, on ne parle que de trois mois », explique l'un des co-signataires
« Je pense qu’il faut en parler. On peut trouver un consensus, on ne parle que de trois mois », explique à Public Sénat Nicolas Lacroix, président (LR) du conseil départemental de Haute-Marne. « On veut se mobiliser dans le plan de relance et mettre en place de nouvelles politiques. Cela nous permet d’agir encore dans l’urgence […] On est dans les six derniers mois, il y a des choses qu’on ne peut plus faire », a-t-il insisté. Son autre crainte : la répétition du taux d’abstention massive des municipales, ce qui poserait un problème de légitimité aux élus.
Selon lui, « l’ajustement » de calendrier proposé au gouvernement n’est « pas du tout un calcul politicien » de présidents sortants candidats à leur succession. « On a un bilan, on est connus, pourquoi repousser et attendre au mois de juin ? » La plupart des cosignataires sont des élus de la droite et du centre. Outre Nicolas Lacroix, on trouve les signatures de Noël Bourgeois, (Ardennes, LR), Jean-François Galliard (Aveyron, UDI), Marc Gaudet (Loiret, UDI), Claude Léonard (Meuse, LR), Frédéric Bierry (Bas-Rhin, LR) ou encore Bertrand Bellanger (Seine-Maritime, LREM).
Le texte de la tribune co-signée par sept présidents de conseils départementaux
L’appel est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de la famille des 101 départements. Le débat s’est tenu au sein du bureau de l’Assemblée des départements de France, sans que n’en ressorte une unité sur le sujet. Ses instances ont préféré jouer la carte de la neutralité. « L’ADF n’a pas de position unanime et n’en aura pas », nous indique-t-on. Auprès de l’Agence France Presse, leur président Dominique Bussereau se dit « par principe plutôt opposé » à un report. Les deux groupes de l’ADF, le groupe majoritaire de droite et du centre, et celui de gauche, n’ont pas non plus arrêté de position.
« Cette demande de report ne m’étonne pas », réagit le sénateur LR du Bas-Rhin André Reichardt
Chez les parlementaires des départements concernés, les réactions diffèrent. Sénateur du Bas-Rhin, l’un des départements dont le nom apparaît sur la tribune, André Reichardt (LR) confie être « humble » sur le sujet et « ne sait pas ce qu’il conviendrait de faire ». « Je comprends que l’on puisse être inquiet, cette demande de report ne m’étonne pas », explique le parlementaire qui était encore en campagne pour les sénatoriales le mois dernier. Mais il concède que l’équilibre entre tous les enjeux est difficile à trouver. « Il faut qu’il y ait une respiration démocratique, on ne peut ad vitam æternam repousser les élections. »
Ancien président du conseil départemental de Seine-Maritime, le sénateur centriste Pascal Martin apprécie que son successeur (LREM) ait pris part à l’initiative. « Cette tribune n’est pas polémique, elle est réaliste et pragmatique. Il est vrai qu’on est en droit de se poser la question. On a juste à mesurer le retour d’expérience des municipales, qui se sont déroulées dans des conditions extrêmement difficiles », réagit-il. Même si le gouvernement peut attendre jusqu’en décembre, le décret de convocation des électeurs, qui se fait attendre, « interpelle », selon ses mots. « Il faut assez rapidement que le ministre de l’Intérieur puisse entendre ces arguments et prendre une décision définitive. »
Le nombre de signataires interroge la sénatrice (LREM) du Haut-Rhin Patricia Schillinger, qui estime par ailleurs que la question n’est « pas un sujet d’actualité ». « Si ça avait été une demande du président des Départements de France, j’aurais pu le comprendre. Là, on voit que ce n’est pas une concertation générale. C’est vraiment une poignée : sept, c’est rien. » Les réserves de la sénatrice du Haut-Rhin se font encore plus grandes lorsqu’elle prend en considération les spécificités locales. Au 1er janvier, les deux départements alsaciens doivent fusionner en une Collectivité européenne d'Alsace. Or, le Haut-Rhin ne figure pas sur la liste des signataires, contrairement au Bas-Rhin. À cause de ce hiatus, elle « suspecte » l’actuel président bas-rhinois, qui pousse pour un report des élections, de rester « plus longtemps dans son fauteuil ».
« La République ne doit pas être totalement l’otage des questions sanitaires », prévient le socialiste Jean-Pierre Sueur
Dans le Loiret, le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur juge le débat totalement prématuré. « Nous sommes au mois d’octobre, l’élection est prévue pour le mois de mars, pratiquement dans six mois […] Si naturellement on est obligé de la reporter, je conçois tout à fait qu’on le décide le moment venu. Il est tout à fait évident qu’on ne peut pas le décider huit jours avant. Mais six mois c’est trop tôt. Il ne faut pas faire quelque chose de précipité », s’oppose l’ancien président de la commission des lois du Sénat. « Attaché aux principes républicains », l’ancien maire d’Orléans estime qu’il « faut privilégier le fonctionnement normal des élections » et que la « République ne doit pas être totalement l’otage des questions sanitaires ».
Le sujet est complexe, du moins sensible, car les départements ne seraient pas les seuls concernés dans l’histoire. Le renouvellement des conseils régionaux doit théoriquement intervenir en même temps. En juin, l’hypothèse d’un report des élections régionales en 2022, après la présidentielle et les législatives, avait suscité de vives réactions dans l’opposition à la majorité présidentielle. « Le consensus pourrait tomber. Mais pas à 18 mois ni même un an », assure le président du conseil département de Haute-Marne. La tribune dont il est l’initiateur doit simplement permettre d’amorcer un dialogue avec le gouvernement, selon lui. L’interview télévisée du chef de l’État ce 14 octobre pourrait être une autre occasion pour l’exécutif de préciser ses intentions, et si la porte du report reste, comme en juillet, toujours fermée.