Report de la présentation de la réforme des retraites : Macron a-t-il « écouté » Bayrou ou est-il dans une « totale improvisation » ?
Les oppositions raillent la décision d’Emmanuel Macron de reporter de près d’un mois la présentation de la réforme des retraites. « C’est ce qu’on demandait », se réjouit de son côté Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur Modem, parti membre de la majorité. Pour François Patriat, « il n’y a pas de recul » sur le plan politique.
Changement de programme. On attendait la première ministre, Elisabeth Borne, pour connaître les grandes lignes de la réforme des retraites arrêtées par le gouvernement, suite aux consultations avec les syndicats. La présentation devait se faire jeudi. Finalement, l’exécutif a décidé de laisser passer les fêtes et la Coupe du monde. Emmanuel Macron a annoncé ce lundi matin, lors d’une séance du Conseil national de la refondation, le report au 10 janvier des annonces gouvernementales.
Le Modem entendu ?
« Nous est apparu pertinent de décaler, de quelques jours ou quelques semaines, l’annonce de la finalisation de la proposition du gouvernement », explique le chef de l’Etat, qui justifie sa décision par les dernières élections syndicales et les congrès au sein des partis, histoire de laisser aux nouveaux dirigeants le temps de s’emparer du sujet. « Peut-être que la nature des débats sera différente, s’il n’y a pas dans trois jours des annonces mais si on se donne quelques semaines pour les finaliser », ajoute Emmanuel Macron, aux côtés de François Bayrou, secrétaire général du CNR et président du parti allié du Modem. Regardez :
Allié, mais exigeant. Car pour François Bayrou, ce calendrier posait question. Le leader du Modem a demandé ce week-end un « effort de pédagogie » sur la réforme. « Stratégiquement, annoncer ça avant les fêtes, c’est très maladroit », estimait jeudi sur publicsenat.fr le sénateur Modem, Jean-Marie Vanlerenberghe, qui affirmait que « François Bayrou voit bien qu’on va dans le mur ».
« Il fallait laisser un peu de temps au temps »
Aujourd’hui, le Modem s’enorgueillit d’avoir été entendu. « Je me réjouis, car c’est ce qu’on demandait », salue ce lundi Jean-Marie Vanlerenberghe, qui pense qu’« il fallait laisser un peu de temps au temps. C’est ce qu’a demandé François Bayrou depuis longtemps et qu’il a rappelé dans le JDD ». Il ajoute : « Je pense que le Modem a fait entendre sa voix et que le Président l’a écouté ». « Ce n’est pas une question de gloriole, mais on doit jouer notre rôle, que ce soient les partenaires sociaux ou les partis, pour faire entendre notre voix. C’est une affaire trop sérieuse pour faire confiance uniquement à un seul partenaire, qui serait le gouvernement. Il a ouvert des négociations, je m’en félicite. Maintenant, il faut aller au bout de la négociation », défend le sénateur Modem du Pas-de-Calais.
Selon ce spécialiste des retraites au Modem, ancien rapporteur du budget de la Sécu au Sénat, « il faut que les partenaires sociaux et le gouvernement s’écoutent, les uns et les autres. Il ne faut pas partir du principe que c’est 65 ans ou rien – mais ça, plus personne ne le pense – et de l’autre, que personne n’arrive autour de la table en disant non à la hausse de l’âge de départ ». Evidemment, Jean-Marie Vanlerenberghe pense que « les propositions faites par le Haut-commissaire (François Bayrou, ndlr) peuvent servir de base à une véritable négociation », notamment « la hausse des cotisations patronales », que refuse le gouvernement. François Bayrou propose + 1 point d’augmentation, qui rapporterait 7,5 milliards d’euros. « Maintenant, on peut moduler. On peut augmenter progressivement », dans un mixte de mesures (âge, durée de cotisations), défend le sénateur centriste.
« Pour ceux qui ne veulent pas comprendre la réforme, ça ne changera pas grand chose »
Mais la vision diffère selon les membres de la majorité. Ainsi, le président du groupe RDPI (Renaissance), François Patriat, « ne pense pas » qu’Emmanuel Macron ait cherché à écouter spécialement François Bayrou. Il ne croit pas non plus « que les Français auront mieux compris la réforme » avec davantage de temps, car « pour ceux qui ne veulent pas la comprendre, ça ne changera pas grand chose. Tout est sur la table depuis longtemps. Maintenant, il faut avancer sur le texte », selon le patron des sénateurs macronistes, qui ne suit pas l’argumentaire de François Bayrou.
Le Modem qui aurait eu gain de cause, « faut arrêter avec ça », lâche également un conseiller ministériel, pour qui « le vrai sujet, c’est comment avoir un texte adopté par une majorité ». Et « s’il faut que toute la place soit donnée à la concertation, on la donne ».
Présentation en Conseil des ministres a priori toujours « en janvier »
Toujours est-il que pour François Patriat, « il n’y a pas de recul » sur le plan politique, « ce report de l’annonce s’accompagne d’une détermination forte d’aboutir », soutient le sénateur LREM de la Côte-d’Or. Néanmoins, il « souhaite que le texte soit discuté tel qu’il était prévu dans le calendrier précédent ». Et d’ajouter :
Il faut que le chef de l’Etat et le gouvernement affirment leur détermination. Il ne faudrait pas laisser s’installer l’idée, chez nos opposants, qu’on va toujours reculer, et qu’au bout du compte, on ne le fera pas.
Reste que ce report interroge sur la suite du calendrier. Peut-il entraîner un décalage de la présentation du texte proprement dit en Conseil des ministres ? « Ce sera en janvier. Ça peut être le 11, ça peut être plus tard », selon un conseiller, « puis assez rapidement on enclenche le débat parlementaire », ajoute le même, qui évoque même « le printemps » pour le débat au Parlement. Une chose est sûre : l’atterrissage de la réforme n’a pas changé. Emmanuel Macron veut qu’elle puisse s’appliquer dès l’été prochain.
« C’est quand même inouï qu’une réforme sociétale de cette importance ne soit pas plus aboutie que ça »
Face à ce report de la présentation de près d’un mois, auquel personne ne s’attendait, l’opposition boit du petit-lait. « On n’est plus à quelques semaines près. Mais ça montre bien les tergiversations sur une réforme essentielle, dont le gouvernement a du mal à définir les contours », pointe le sénateur LR René-Paul Savary, favorable à une réforme. « Il veut laisser une chance à la concertation, ce qui est tout à fait légitime, mais il veut aussi répondre aux préoccupations de sa majorité, car on sait bien que les positions sont différentes », selon le sénateur LR de la Marne, qui voit aussi « la peur d’avoir des mouvements sociaux pendant les fêtes, qui seraient mal vécus par les Français. On sait que ce n’est pas cadeau de Noël la réforme des retraites ! »
Mais pour René-Paul Savary, « c’est quand même inouï qu’une réforme sociétale de cette importance ne soit pas plus aboutie que ça. Ça devrait être calé. C’est quand même incroyable ». Pour l’auteur de l’amendement présenté chaque année au Sénat, qui propose plutôt un report à 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine, « ils ont la main qui tremble ». René-Paul Savary ajoute :
C’est un signe de faiblesse, un manque de détermination.
« Emmanuel Macron commence à se rendre compte que ça va mal finir »
Même sentence de la part de Patrick Kanner : « C’est la totale improvisation ». « Jeudi soir, ça devait être le début de la réforme mère du quinquennat, et voilà, on procrastine à nouveau », ajoute le président du groupe PS du Sénat. « La réforme est rejetée par les Français, et Emmanuel Macron commence à se rendre compte que ça va mal finir. Quand on entend le leader de la CFDT, Laurent Berger, qui est quelqu’un de calme, dire que le pays est incandescent… » Le sénateur PS du Nord bat au passage en brèche l’argument du Président, qui justifie ce report par les derniers congrès. « Mais nous, au PS, c’est le 19 janvier. Donc faut repousser encore », ironise Patrick Kanner.
Sur la forme et la méthode aussi, rien ne va, selon le socialiste. « Il se joue de ses ministres et de la première ministre. On m’avait dit qu’Elisabeth Borne devait faire le 20 heures jeudi », ajoute l’ancien ministre, qui y voit la preuve que « c’est le pouvoir vertical et non le partage du pouvoir, comme il disait. Tout ça, c’est du pipeau ». Si le Modem pense avoir eu gain de cause, Patrick Kanner pense lui « que c’est le front uni syndical et des partis de gauche, qui le fait reculer provisoirement ».
La Nupes compte essayer de tirer son avantage. Les sept groupes politiques de gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat tiennent en effet mercredi matin une conférence de presse commune pour dénoncer la réforme que prépare le gouvernement. « C’est un front uni des partis de gauche, et des syndicats », salue Patrick Kanner, et « c’est rare ». La Nupes va pouvoir remercier Emmanuel Macron.
La présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale a rappelé à Michel Barnier les lignes rouges de son parti sur le budget ce lundi 25 novembre. « Nous verrons si le propos d’aujourd’hui fait son chemin, mais rien n’est moins sûr », a-t-elle indiqué à la sortie de son entrevue avec le Premier ministre, assurant voter la censure si le budget « reste en l’état ».
Laurent Saint-Martin, était l’invité de la matinale de Public Sénat, alors que le projet de loi de finances arrive au Sénat. A la chambre haute, les débats devraient tourner autour des efforts budgétaires demandés aux collectivités territoriales et la hausse de la fiscalité sur l’électricité.
Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Alors que la majorité sénatoriale veut réduire l’effort demandé aux collectivités de 5 à 2 milliards d’euros dans le budget, c’est encore trop, aux yeux du groupe écologiste du Sénat. « Il y a un changement de pied de la majorité sénatoriale », pointe le sénateur Thomas Dossus. Avec le groupe PS et communiste, ils vont présenter onze amendements identiques « pour faire front commun ».