Gérard Larcher a prévenu : « On ne confine pas la démocratie. […] La date d’une élection ne se décide pas en fonction d’une opportunité, mais de la loi et du respect de la Constitution » (sur LCI dimanche 11 avril).
Le gouvernement a envoyé via les préfets un mail à tous les maires de France pour les consulter sur le maintien ou non des élections régionales et départementales, les 13 et 20 juin prochains. L’opposition dénonce une manipulation du scrutin. Décaler une seconde fois les élections, donnerait aux candidats de la majorité présidentielle plus de temps pour rattraper leur retard dans les sondages. Pour Stéphane Troussel, le président socialiste du conseil départemental de la Seine Saint Denis, invité de la matinale de Public Sénat « Bonjour chez vous » lundi matin, « cela ressemble de plus en plus à du tripatouillage électoral ».
Le droit de vote « doit s’exercer »
Dans un courrier adressé au Premier ministre Jean Castex, le président du Sénat s’appuie sur l’avis du Conseil scientifique du 29 mars, et sur l’annonce par le président de la République d’une réouverture des écoles le 26 avril, des collèges et des lycées le 3 mai et des lieux de culture à partir de la mi-mai. Pour Gérard Larcher, « le droit de vote, garanti par l’article 3 de la constitution, doit s’exercer ».
Selon Jean-Philippe Derosier, spécialiste de droit constitutionnel, « le premier report de ces élections qui devaient se tenir au mois de mars ne posait pas de problème, mais là il s’agit de voter un nouveau report sans préciser la date […] et donc il y a un véritable risque d’inconstitutionnalité de ce nouveau report ».
Le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence sur le report des élections. Deux conditions doivent être remplies. La date d’une élection peut être reportée à condition que les électeurs soient convoqués en respectant une « périodicité raisonnable », en d’autres termes dans un délai raisonnable. L’autre condition émise par le Conseil constitutionnel est que ce report soit fait « en faveur de l’intérêt général » et non par simple convenance politique. Si toutefois, le gouvernement décidait de reporter les élections régionales et départementales au-delà de 2022, Jean-Philippe Derosier rappelle qu’« un tel délai de report a déjà eu lieu dans le passé lorsque les élections régionales, qui devaient avoir lieu en mars 2014, ont été reportées en décembre 2015 ». Mais en cas de report après l’élection présidentielle, cela prolongerait le délai de 21 mois.
Exception française
Selon le constitutionnaliste : « Il y a une exception française en matière d’élection qui pose problème, puisque nous avons déjà dû reporter ces élections qui devaient se tenir au mois de mars au mois de juin, la question se pose encore aujourd’hui de savoir si on les reporte […]. La France serait le seul pays à ne pas être en mesure de pouvoir organiser un scrutin".
Report des régionales: "Il y a une exception française en matière d'élections qui pose problème"
« Tout cela est un peu du bricolage », appuie Michel Verpeaux, professeur de droit public. « On peut comprendre que le gouvernement cherche à s’entourer de toutes les garanties, mais cela est un peu curieux comme méthode », estime-t-il. Et Michel Verpeaux de s’interroger : « A quoi va servir le débat au Parlement prévu mardi à l’Assemblée nationale et mercredi au Sénat ? ».
Un report pourrait conduire à une censure
Pour Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, « la protection de la santé publique n’est pas suffisante pour justifier un second report ». Selon lui, dans un état de droit, « il faut que le gouvernement se justifie s’il décide de reporter les élections régionales et départementales », jugeant qu’il est plutôt sain pour la démocratie que le président du Sénat Gérard Larcher demande un avis du Conseil constitutionnel. Selon le professeur de droit public, la constitutionnalité du report pourrait conduire à une censure, en concluant que la situation sanitaire n’empêche pas la tenue des élections. « Mais tout dépend de la personnalité des 9 membres du Conseil Constitutionnel », puisque la notion d’intérêt public est très « subjective », selon Paul Cassia.