Pourquoi EDF continue à s’endetter ?

Pourquoi EDF continue à s’endetter ?

EDF a annoncé des pertes records de 17,9 milliards d’euros, la dette totale du groupe s’élève à 64,5 milliards d’euros.
Henri Clavier

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EDF avait déjà annoncé, en juillet, des pertes à hauteur de 5 milliards au premier semestre 2022. Un montant colossal en partie lié à l’augmentation des prix de l’énergie puisque EDF a pourtant réalisé un chiffre d’affaires historique de 143,5 milliards d’euros - une augmentation de 70 %. En revanche, la production d’électricité a diminué de 23 % pour atteindre son plus faible volume depuis 1992. En 2021, les bénéfices s’étaient élevés à 5,1 milliards d’euros. Plusieurs facteurs, conjugués, expliquent le montant historique des pertes. Certains mécanismes comme le marché européen de l’énergie ont accentué la crise.

« Le marché européen de l’énergie dysfonctionne complètement »

La guerre en Ukraine a déclenché une flambée des prix de l’énergie et plus spécifiquement du gaz. Le marché européen de l’énergie, où le prix de l’électricité est calqué sur celui du gaz, a été particulièrement critiqué pour sa dimension inflationniste. La France, dont le mix électrique ne dépend pas du gaz (le nucléaire et l’hydraulique représentent 80 % du mix électrique français), a subi de plein fouet cette situation expliquant en partie les pertes records d’EDF.

Un niveau de pertes attendu pour Nicolas Goldberg, consultant spécialiste de l‘énergie à Colombus Consulting, « à partir du moment où EDF produit tellement peu et vend tout au tarif régulé et si on ajoute le bouclier tarifaire, c’était une évidence que les résultats d’EDF seraient mauvais ». Ce dernier nous a également confié qu’il était surpris du niveau d’endettement d’EDF compte tenu des charges qui avaient pesé sur l’électricien durant l’année 2022.

Pour le sénateur communiste de Seine Saint-Denis Fabien Gay, les résultats d’EDF sont la preuve que « le marché européen dysfonctionne complètement ». Ce dernier affirme que l’électricien français « paye les effets de la libéralisation du marché, de la mise en place de l’Arehn et du marché européen de l’énergie ». Le sénateur communiste formule une critique plus profonde de la logique de libéralisation et d’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie « On marche sur la tête, les dindons de la farce de l’Europe libérale c’est EDF, il faut bien comprendre que le secteur de l’énergie n’est pas du tout adapté à la libéralisation ».

L’Arenh au cœur des critiques

L’accès régulé à l’électricité nucléaire régulée historique (Arenh), créé en 2011 pour encadrer l’ouverture à la concurrence, est aussi ciblé pour sa responsabilité dans les pertes massives d’EDF. L’Arenh devait permettre l’installation de la concurrence chez les fournisseurs d’électricité en leur garantissant un prix d’achat de 40 euros /MWh (46,50 euros aujourd’hui). Le sénateur LR des Vosges Daniel Gremillet rappelle que « l’Arenh a été un moyen trouvé pour que les alternatifs puissent bénéficier des avantages de la production nucléaire ». Avec la baisse de production d’électricité due à l’arrêt de 22 réacteurs nucléaires pour maintenance, EDF s’est vu obliger d’acheter de l’électricité sur le marché européen afin de la revendre aux fournisseurs au tarif réglementé de l’Arenh.

Une situation aux conséquences désastreuses pour EDF. « L’Arenh est responsable à hauteur de 10 milliards de la dette d’EDF » note Daniel Gremillet. « La décision sur le plafond de l’Arenh a des conséquences financières qui découlent de décisions politiques prises par des décisions de l’Etat» affirme le sénateur LR. Pour Nicolas Goldberg, EDF a tout de même réussi à minimiser les dégâts en assumant « une grosse partie de cette crise énergétique, y compris ce qui n’était pas de leur ressort ».

« Il n’y a pas de cap dans la politique énergétique du gouvernement »

Si le contexte, extrêmement défavorable, explique en partie les résultats d’EDF, la stratégie énergétique de l’Etat suscite des doutes. Ou plutôt l’absence de vision stratégique selon Daniel Gremillet « Il n’y a pas de cap dans la politique énergétique du gouvernement, on est dans une vision politique datée, ces décisions politiques mettent en danger notre sécurité énergétique, notre pays a besoin d’une stratégie énergétique ».

Un constat partagé par Fabien Gay « Il faut créer un véritable service public de l’énergie, il nous faut vite une nouvelle loi Marcel Paul ». La question du nucléaire et les tergiversations de l’Etat sur le sujet illustrent ce manque de cap pour Daniel Gremillet « En 2019, sans le Sénat on avait la décision de fermer 14 réacteurs, on a toujours dans la loi la décision de fermer 12 réacteurs pour 2035 ». Ce dernier regrette notamment « l’abandon » des filières nucléaires et hydrauliques.

Quel avenir pour EDF ?

Le bouclier tarifaire, permettant d’encadrer les prix de l’électricité, est à l’origine de 8,34 milliards d’euros de pertes pour EDF. Le mécanisme, obligeant EDF à ne pas augmenter ces tarifs au-delà de 4 %, devait soulager les petites entreprises et les collectivités territoriales. Une mesure sur laquelle Daniel Gremillet se montre sceptique « le bouclier tarifaire ne répond en rien aux problématiques, le nombre d’artisans et de commerçants en difficulté à cause des prix de l’énergie est en forte hausse ».

Les perspectives d’avenir ne sont pas beaucoup plus réjouissantes, « la nationalisation telle que prévue n’apporte rien » note Daniel Gremillet avant de rappeler que la situation n’avait rien de ponctuelle. Une fausse solution aussi pour Fabien Gay qui considère qu’« il n’y a pas de volonté de sortir des griffes du marché, c’est du libéralisme pur jus ». Le volume de production électrique devrait repartir à la hausse affirme Nicolas Goldberg « Coté disponibilité cette année devrait être meilleur, l’objectif de production d' EDF toujours entre 300 et 330 térawattheures » contre 279 cette année. « La disponibilité hydraulique sera un facteur structurant, la possibilité de sécheresse et de faibles pluies est un risque important » nuance Nicolas Goldberg.   

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