OpenLux : « Il faut mettre le Luxembourg sur la liste des paradis fiscaux », demandent des sénateurs

OpenLux : « Il faut mettre le Luxembourg sur la liste des paradis fiscaux », demandent des sénateurs

Des révélations du Monde montrent que près de 15.000 Français ou entreprises ont créé une société au Luxembourg pour échapper à l’impôt, pour un total de 100 milliards d’euros. Une directive européenne a permis de rendre ces données publiques. Mais pour les sénateurs PCF Eric Bocquet et la sénatrice UDI Nathalie Goulet, il faut aller plus loin, car « le Luxembourg est un paradis fiscal au cœur de l’Europe ».
Public Sénat

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Vous avez aimé les LuxLeaks. Vous allez adorer les OpenLux. C’est le nom d’un nouveau scandale d’évasion fiscale. Encore un. Le résultat d’une enquête internationale menée pendant plus d’un an par seize médias, dont Le Monde, qui a passé les 140.000 sociétés immatriculées au Luxembourg au crible.

Château, villas, Angelina Jolie et Brad Pitt, Decathlon ou Bernard Arnault

Les chiffres donnent à nouveau le tournis. Le Grand-Duché abrite 55.000 sociétés offshore gérant des actifs, dont la valeur atteint 6.500 milliards d’euros sur 2018/2019. Près de 90 % de ces sociétés sont contrôlées par des non-Luxembourgeois. On compte 157 nationalités. Mais les Français occupent une place de choix : la première, avec plus de 17.000 sociétés, représentant près de 15.000 Français. Le but est d’échapper à l’impôt, grâce à la réglementation locale. C’est visiblement efficace. Ces sociétés représentent « au moins 100 milliards d’euros d’actifs, soit 4 % du PIB français ».

Les biens abrités sont très variés, allant du « château francilien détenu par un prince saoudien », des villas et appartements parisiens, « un vignoble dans le Var appartenant à Angelina Jolie et Brad Pitt », mais aussi des sociétés françaises bien connues : Yves Rocher, Hermès, JCDecaux ou Decathlon. On y trouve logiquement « 37 des 50 familles françaises les plus fortunées, telles les Mulliez, les Guerrand-Hermès ou Bernard Arnault ».

OpenLux révèle aussi « des fonds douteux, suspectés de provenir d’activités criminelles ou liés à des criminels visés par des enquêtes judiciaires », comme des « sociétés liées à la Mafia italienne, la’Ndrangheta, et à la pègre russe », révèle Le Monde.

« Les journalistes ont un rôle de lanceur d’alerte »

« Je ne suis malheureusement pas surpris du tout », réagit le sénateur PCF Eric Bocquet, qui avait été rapporteur d’une commission d’enquête du Sénat sur l’évasion et la fraude fiscale. « Bravo aux journalistes, qui ont un rôle de lanceur d’alerte. Tant mieux, car ce n’est pas un travail mené par les autorités européennes », salue le sénateur du Nord. « Et vive la transparence », ajoute Eric Bocquet, « car c’est aussi le résultat de l’application, pour une fois, d’une directive européenne qui obligeait les Etats membres à créer des registres des propriétaires réels des sociétés. Cela faisait suite aux révélations des LuxLeaks et Panama papers ». Les journalistes ont en effet compilé toutes ces données, issues de 3,3 millions d’actes administratifs et de rapports financiers des 140.000 entités immatriculées au Luxembourg (sociétés, fondations, fonds). Ces documents sont publics depuis l’automne 2019, mais il faut aller les piocher sur le site du registre du commerce luxembourgeois.

« Le Luxembourg a appliqué des règles en matière d’échange de données. Mais il y a une opacité énorme qui reste. Donc je suis très contente de cette enquête », salue aussi Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, qui suit également ces questions. Pour elle, ça ne fait pas de doute, « le Luxembourg est un paradis fiscal au cœur de l’Europe ». « C’est clair », confirme le communiste Eric Bocquet, qui partage ce constat.

« Le Parlement est totalement exclu d’un contrôle de la liste des paradis fiscaux »

« Il faut mettre le Luxembourg sur la liste des territoires non-coopératifs, c’est-à-dire des paradis fiscaux, comme Jersey et les îles anglo-normandes », demande Nathalie Goulet. La liste française compte actuellement treize Etats, la liste européenne douze (comme Fidji, les Îles Caïmans, les Îles Vierges américaines, le Panama, les Seychelles ou Trinité-et-Tobago). « Mais on a un problème, car la définition de cette liste est réglementaire. Autrement dit, c’est le gouvernement qui fixe la liste des territoires non-coopératifs. Le Parlement est totalement exclu d’un contrôle de la liste. Ça nous échappe complètement », regrette la sénatrice centriste. Nathalie Goulet a « souvent proposé qu’on puisse mettre dans la réforme de la Constitution, si elle était arrivée à son terme, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, ce qui permettrait de donner au Parlement le pouvoir de contrôler la liste des paradis fiscaux ». Demande formulée le 22 juillet dernier en séance par la sénatrice de l’Orne, lors d’un débat sur le projet de loi portant sur l’approbation de l’avenant à la convention fiscale entre la France et le Luxembourg. Le texte permettait d’éviter la double imposition et de prévenir… l’évasion et la fraude fiscales.

Pour Eric Bocquet, le sujet devrait être davantage au cœur du débat public, alors que les gilets jaunes évoquaient l’évasion fiscale lors de leurs manifestations. « Ce serait bien que le groupe de suivi sur la lutte contre la fraude fiscale, au sein de la commission des finances du Sénat, se penche sur l’affaire », avance le sénateur du Nord, selon qui la question entrechoque d’autres débats des dernières semaines. « Au moment où on entend chanter la petite musique de qui « va payer la dette covid ? », on voit que l’argent de la dette est à nos portes », lance l’élu du groupe CRCE. Encore faut-il vouloir aller le chercher, quitte à renverser la table. « Dans la période de crise qu’on connaît, avec la casse sociale et économique, l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale, qui est de l’abus de droit, est encore plus scandaleux. D’autant que l’Etat a fait énormément en matière d’allègement d’impôts », ajoute la sénatrice du groupe Union centriste.

« Le gouvernement ne fait rien, au motif que c’est un pays européen »

Que fait le gouvernement ? « Dans les discours, on a déjà entendu Bruno Le Maire manifester son courroux. Il a dit qu’il n’y aurait pas d’aide publique pour les entreprises qui auraient des entités dans les paradis fiscaux. Mais si on considère qu’il n’y a aucun paradis fiscal dans l’Union européenne, le discours s’arrête là. Mais il faut mettre fin à ce scandale », demande Eric Bocquet.

Point positif, « le verrou de Bercy a sauté » rappelle Nathalie Goulet, mais ici, « le gouvernement ne fait rien, au motif que c’est un pays européen, donc c’est compliqué » regrette Nathalie Goulet. Pour rappel, Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne de 2014 à 2019, a été premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013…

« La prégnance du lobby financier global, qui pèse énormément sur les Etats », peut expliquer cette inertie, selon Eric Bocquet. D’autant que « ce sont les marchés financiers qui les financent ». « Mais ce sont aussi les règles au sein de l’Union européenne. Il faut l’unanimité pour prendre une décision en matière fiscale. Si 26 Etats étaient d’accord, le seul Luxembourg pourrait bloquer. Il faudrait plutôt des coopérations renforcées, sans unanimité, et si des Etats décident d’y aller et de taper du poing sur la table, on y va », imagine le communiste. Pour le sénateur PCF, qui a écrit avec son frère un livre sur la fraude fiscale et les paradis fiscaux, « il faudrait regarder aussi Malte, Chypre et l’Irlande, dont la politique fiscale pose des questions. Ces Etats seront toujours opposés à toute harmonisation et transparence. Il y a les Pays-Bas aussi, dont la spécialité sont les holdings. La holding Renault-Nissan est aux Pays-Bas par exemple ». Et pour là encore, payer moins d’impôts.

« La question des ports francs, un scandale »

Nathalie Goulet pense aussi qu’« on pourrait être plus dirigiste, comme sur la question des ports francs, qui est un scandale ». Ces entrepôts, où on peut trouver des œuvres d’art, sont peu connus du grand public. Au Luxembourg, « ce sont des zones d’échanges de 22.000 m2 totalement hors la vue, dans lesquels se font tout un tas d’échanges commerciaux. Ce sont des zones de non-droit, des extraterritorialités pour notre fiscalité », dénonce Nathalie Goulet. Mais encore une fois, difficile de faire bouger les choses. Surtout quand les responsables sont proches des milieux politiques. Le « Freeport Luxembourg » a eu comme président de son conseil d’administration, de 2015 à 2020, un certain Robert Goebbels. Il avait été « l’un des plus proches ministres de Jean-Claude Juncker » écrivent Les Echos.

« Il m’est arrivé une petite histoire sur les ports francs », raconte Nathalie Goulet : « Lors des débats, j’attaque bille en tête les ports francs, et je reçois ensuite une lettre de leurs avocats à Paris. Ils me disent que tout est transparent et légal. Je réponds que si c’est légal, qu’on organise une visite avec Eric Bocquet. Depuis, je n’ai plus de nouvelles… »

Dans la même thématique

Paris: French Government Weekly Cabinet Meeting
5min

Politique

Pour Bruno Retailleau, les conditions sont réunies pour rester au gouvernement

Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.

Le

OpenLux : « Il faut mettre le Luxembourg sur la liste des paradis fiscaux », demandent des sénateurs
4min

Politique

Retraites : « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », dénonce Ian Brossat

C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».

Le

OpenLux : « Il faut mettre le Luxembourg sur la liste des paradis fiscaux », demandent des sénateurs
4min

Politique

« Consternés », « dépités », « enfumage » : après sa rencontre avec François Bayrou, la gauche menace plus que jamais le Premier ministre de censure

Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.

Le