Il n’est même pas encore nommé, mais il fait déjà l’objet d’une polémique. Il s’agit du successeur de François Molins au poste de procureur de Paris, fonction éminemment importante et exposée. Celui qui s’est retrouvé sous la lumière après les attentats de Paris sera bientôt nommé procureur général près de la Cour de cassation.
Pour le remplacer, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, comptait proposer le nom de Marc Cimamonti au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais selon Le Figaro, l’Elysée a fait part de ses réticences. Le Canard enchaîné écrit de son côté qu’Emmanuel Macron a même « biffé » les trois noms que sa ministre avait proposés. La chancellerie a finalement dû lancer un nouvel appel à candidature.
Emmanuel Macron est dans son droit. Le gouvernement est tenu de suivre l'avis du CSM pour nommer des juges, mais il peut passer outre pour nommer des procureurs. Reste que l’attitude élyséenne tranche avec la pratique mise en place par son prédécesseur, François Hollande, qui se refusait à intervenir.
« Il va s’occuper de Monsieur Benalla, comme de Madame Nyssen. Il est évident que cette nomination est l’objet de beaucoup d’attentions »
Face à ce qui peut ressembler à une reprise en main, les accusations d’interventionnisme de l’Elysée n’ont pas tardé. Le chef de l’Etat veut « imposer des amis et des hommes de confiance » a affirmé le député LR Eric Ciotti, invité de la matinale de Public Sénat. « On a l’habitude de voir depuis quelque temps que sur un certain nombre de nominations, (Emmanuel Macron) a désigné des personnes proches de lui, comme s’il y avait une nécessité d’avoir des camarades ou des amis très proches. (…) C’est quand même délicat » réagit le vice-président de la commission des lois, le sénateur LR François-Noël Buffet. Il s’étonne d’autant plus que l’Elysée ait rejeté des « propositions venant du ministère de la Justice ». Regardez (sonore de Jérôme Rabier) :
François-Noël Buffet sur la nomination du remplaçant de François Molins
Les questions sont d’autant plus fortes que des dossiers sensibles seront sur le bureau du remplaçant de François Molins. « Compte tenu du nombre d’affaires qui seront jugées par le procureur de Paris, et certaines défraient l’actualité, la personnalité sera importante. Il va s’occuper de Monsieur Benalla, comme de Madame Nyssen. Il est évident que cette nomination est l’objet de beaucoup d’attentions » note un sénateur. Le parquet de Paris a en effet ouvert une enquête pour les violences du 1er mai, pour lesquels Alexandre Benalla est mis en examen. Une enquête préliminaire a également été ouverte sur les travaux des locaux d’agrandissement de la maison d’édition Actes Sud, que la ministre de la Culture a dirigé.
La sénatrice EELV, Esther Benbassa, met les pieds dans le plat et se demande si Emmanuel Macron exige « un procureur de Paris à sa botte ? » « Cet homme veut le pouvoir, tout le pouvoir » affirme la sénatrice de Paris sur Tweeter.
Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur de la commission d’enquête Benalla, ne peut s’empêcher de voir un parallèle avec la récente polémique entre le Sénat et l’Elysée. « Le pouvoir exécutif a beaucoup mis en garde ces dernières semaines le pouvoir législatif quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il serait bon que le pouvoir exécutif veille lui aussi non seulement à l’indépendance du législatif, qui n’a pas besoin d’admonestations, mais aussi à la totale indépendance du pouvoir judiciaire » souligne-t-il. Pour le sénateur PS du Loiret, cet épisode montre l’urgence de la réforme du mode de nomination des magistrats, promise par Emmanuel Macron lui-même. « Dans le projet de réforme de la Constitution qu’il a déposée, il est prévu de garantir l’indépendance du parquet. Et donc de donner, in fine, le pouvoir au CSM de décider des emplois, car il faudra un avis conforme du CSM pour les nominations. Cette réforme est urgente » souligne Jean-Pierre Sueur.
« On voit bien qu’il y a un choix politique derrière cette nomination »
Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (classé à gauche), n’est pas vraiment surprise. « C’est une constante malheureusement. A vrai dire, la droite l’a autant utilisé que le pouvoir macronien. Chaque camp politique a toujours voulu pouvoir nommer ses procureurs » souligne la magistrate. Elle ajoute : « Clairement, on voit bien qu’il y a un choix politique derrière cette nomination ». Pour le SM, « il ne doit pas y avoir de rapport entre l’exécutif et l’autorité judiciaire. Ça s’appelle la séparation des pouvoirs. C’est une question basique ». Regardez :
Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature : « On voit bien qu’il y a un choix politique derrière cette nomination » du remplaçant de François Molins
En janvier dernier, devant la Cour de cassation, Emmanuel Macron avait assuré vouloir, « pour ce qui est de la nomination, (…) apporter des garanties supplémentaires ». Il avait aussi assumé la légitimité du lien hiérarchique entre magistrats du parquet et le gouvernement. « Dans notre démocratie, tout doit procéder quelque part d’une légitimité du peuple. Je crois donc profondément que le parquet à la française se doit d’être rattaché par ses fonctions même au garde des Sceaux, mais que notre travail est d’assurer plus fermement, plus clairement, son indépendance ». Un « en même temps » cher au chef de l’Etat, qui trouve peut-être ses limites ici.