Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
[Série] Les libertés publiques ont-elles reculé sous Macron ?
Par Public Sénat
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Des manifestants, des policiers, des coups et LBD qui blessent. De la tension et l’odeur de la lacrymo. Le quinquennat d’Emmanuel Macron aura été marqué par des tensions lors des manifestations, des affrontements, des violences policières notamment lors de la crise des Gilets jaunes. La gauche et les défenseurs des libertés publiques pointent du doigt des lois accusées de mettre à mal nos libertés, voire d’être liberticides. Macron, un libéral liberticide ? Un comble. L’accusation est-elle fondée ou exagérée ?
« Conception autoritaire et centralisée du pouvoir »
Chez les opposants, ça ne fait pas de doute. Le député du Val-d’Oise Aurélien Taché a des mots très durs. Elu LREM en 2017, il a depuis quitté le parti avant de devenir aujourd’hui l’un des plus fervents opposants. « Entrave à la liberté de manifester et d’informer, entrave à la liberté associative, à la liberté de culte et d’instruction aussi avec la loi sur le séparatisme. On a vu des entraves à toutes les libertés en fait. C’est spectaculaire. Même la droite sarkozyste n’était pas allée aussi loin. On a vraiment ici un ultraconservateur », dénonce Aurélien Taché.
Il pense qu’Emmanuel Macron « n’a pas d’attachement philosophique, viscéral, aux questions de liberté. Il n’a que très peu confiance dans le peuple et croit que l’Etat doit contrôler tout ça au plus près ». Alors qu’il voyait en lui un libéral au sens plein en 2017, il voit aujourd’hui de « l’opportunisme » tactique, qui n’est pas sans conséquence. Il ajoute : « Parler de dérive autoritariste, c’est un peu fort. Mais il y a clairement une conception autoritaire et centralisée du pouvoir ».
« Savant mélange de conditions qui font qu’on aboutit à une restriction de nos libertés »
Selon Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE (communiste) du Sénat, « c’est un cheminement qui vient de loin ». « Au fil des lois et des années, et pas que sous ce gouvernement, des mauvais coups ont été portés à nos libertés publiques. C’est assez inquiétant pour un état de droit et démocratique comme le nôtre », estime la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis. « Et au-delà du fait que nos libertés sont attaquées, on assiste à des moments violents entre les gens qui revendiquent des droits, et ce qui se passe dans les manifestations. Cela a tendance à laisser penser que le gouvernement crée les conditions pour que l’expression populaire soit un peu éteinte », estime Éliane Assassi, qui y ajoute « les attaques faites aux corps intermédiaires, les syndicats, les associations. Tout ça crée un savant mélange de conditions qui font qu’on aboutit à une restriction de nos libertés ».
Des attaques que balaie François Patriat, président du groupe des sénateurs macronistes. Pour lui, « il y a eu des mesures justes, qui ne sont pas liberticides. En matière de sécurité, Emmanuel Macron a pris les mesures qu’il fallait prendre ».
Plusieurs lois votées au Parlement dénoncées par les défenseurs des libertés
On rembobine. Une série de textes, votés au Parlement, sont notamment à la source de ces interrogations. En 2017, la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme intègre dans le droit commun les dispositions de l’état d’urgence, qui était prolongé, mois après mois, depuis les attentats de 2015. Dans son livre programme « Révolution », publié en novembre 2016, Emmanuel Macron disait pourtant que la « prolongation sans fin (de l’état d’urgence) pose plus de questions qu’elle ne résout de problèmes. Nous ne pouvons pas vivre en permanence dans un régime d’exception ». On n’imaginait pas alors qu’il allait, une fois élu, l’intégrer au droit.
La proposition de loi visant à renforcer et à garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, dite loi anti-casseurs, déposée à l’origine par le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, et reprise à son compte par le gouvernement, est aussi critiquée. Le député centriste Charles de Courson, en général modéré, s’était ému en 2019 des perspectives ouvertes par ce texte : « L’autorité administrative va priver un individu de sa liberté de circulation ou de manifester au motif qu’il y a une présomption, des raisons sérieuses de penser […] que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », alertait l’élu, avant de lancer : « Mais où sommes-nous, mes chers collègues ? C’est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! Réveillez-vous ! […] Par votre attitude, vous êtes présumés résistants, donc on vous met en taule ».
Les forces de l’ordre ont tiré 12.908 LBD
Il y a évidemment la question du maintien de l’ordre. Lors de la crise des Gilets jaunes, les affrontements sont parfois violents. Certains Gilets jaunes cherchent clairement à en découdre ou à casser. En face, les forces de l’ordre vont aussi parfois trop loin. L’Etat détient le monopole de la violence légitime, avait théorisé le sociologue allemand Max Weber, dans le Savant et le politique. Mais pas celui de l’usage disproportionné ou injustifié de la force. En parallèle du travail de la presse, les réseaux sociaux permettent de montrer des cas de violences policières manifestes.
Un an après le mouvement débuté le 17 novembre 2018 sur les ronds-points, le bilan est lourd. 11 personnes ont perdu la vie au cours des manifestations. Beaucoup de personnes mortes ont été tuées lors d’accidents de la route. Zineb Redouane, 80 ans, elle est morte après avoir reçu une grenade lacrymogène au visage dans son appartement, à Marseille. Chez les manifestants, on ne compte pas moins de 4.439 blessés, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Deux fois moins côté forces de l’ordre : 1.944 blessés. Parmi les Gilets jaunes, 24 ont été éborgnés, 5 ont eu la main arrachée, selon le décompte du journaliste David Dufresne. 12.107 personnes ont été interpellées en six mois, dont 10.718 placées en garde à vue. Au final, ce sont 2.000 condamnations (40 % à de la prison ferme, autant d’affaires classées sans suite). Les forces de l’ordre ont tiré 12.908 LBD, dont l’usage est contesté. 313 enquêtes pour des soupçons de violences policières ont été ouvertes. Les deux tiers ont été transmises à la justice.
« Les gens qui arrivent armés aux manifestations, on ne va pas leur dire rentre chez toi, t’es gentil »
« Les gens qui arrivent armés aux manifestations, on ne va pas leur dire rentre chez toi, t’es gentil », recadre François Patriat. « Qu’il y ait eu des excès, des débordements parfois, ça arrivera toujours », reconnaît le sénateur LREM de Côte-d’Or, « mais en manifestant tous les week-ends de façon violente, avec des forces de l’ordre épuisées, il ne pouvait pas en être autrement ».
Après les Gilets jaunes, en septembre 2020, le ministère de l’Intérieur définit une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre. Il en ressort un usage des LBD encadré, le remplacement des grenades de désencerclement, des forces de l’ordre plus mobiles, une modernisation des sommations. Mais aussi le recours à la technique de la nasse et une place particulière réservée aux journalistes et aux associations. Mais en juin dernier, le Conseil d’Etat censure ces deux derniers points. La nasse est « susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir ». Quant aux journalistes, « ils doivent pouvoir continuer d’exercer librement leur mission d’information ».
Liberté de la presse
La question de la liberté de la presse est revenue plusieurs fois au cours du quinquennat. En 2018, la loi sur le secret des affaires, en cherchant à protéger les entreprises contre la divulgation d’informations stratégiques, a pour conséquence de mettre à mal la liberté d’informer.
Puis ce sera évidemment l’article 24 de la loi sur la sécurité globale qui mettra le feu aux poudres en limitant la diffusion d’images de policiers. Les rédactions s’inquiètent de ses conséquences sur la liberté d’informer. L’article est réécrit par le Sénat, en accord avec le gouvernement. Mais il est finalement censuré par le Conseil constitutionnel, un camouflet.
Les sages censurent aussi l’article du texte qui porte sur la légalisation de l’utilisation des drones par les forces de l’ordre, notamment lors des manifestations, mais pas seulement. Ils peuvent être utilisés pour constater des infractions. Un meilleur des mondes qui inquiète, là encore, les défenseurs des libertés publiques.
L’épidémie de covid-19 est venue fracasser nos libertés
Reste que la loi sécurité globale a laissé des traces et mis des milliers de personnes dans la rue. Elle donne lieu à des attaques sur la « dérive liberticide » de l’exécutif. Ce texte, porté par les coups de menton du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a sûrement symbolisé le plus le débat sur l’atteinte aux libertés.
L’épidémie de covid-19, enfin, est aussi venue fracasser nos libertés, à sa manière. Si les décisions étaient justifiées sur le plan sanitaire, afin de limiter les échanges et la propagation du virus, et donc de sauver des vies, il n’empêche : l’état d’urgence sanitaire à répétition est allé très loin. Ce droit d’exception a donné au gouvernement des prérogatives attentatoires aux libertés publiques et individuelles fondamentales, celle d’aller et venir, de se rassembler, de commerce. La France s’est retrouvée sous couvre-feu. Des rues vides, des regards inquiets. Le pays n’avait pas vu ça depuis la guerre. Un débat s’est instauré entre le Sénat et le gouvernement sur la durée de cet état d’urgence, et le rythme de contrôle du Parlement.
Le cas de la free party de Redon durement réprimée
Avec le déconfinement, la vie reprend vite ses droits. Mais les habitudes des forces de l’ordre restent. Le 19 juin, une free party à Redon, en Bretagne, est durement réprimée. La fête est illégale. Mais l’usage de la force est encore une fois disproportionné. Le sénateur EELV Thomas Dossus s’en émet et interpelle le gouvernement, quatre jours après, lors des questions d’actualité au gouvernement. Regardez :
« Ce week-end, un jeune Rennais de 22 ans avait décidé d’aller danser à Redon avec quelques centaines de jeunes pour renouer avec la fête. Il y a perdu une main, victime de la répression phénoménale de cette rave, victime une nouvelle fois d’une grenade tirée de façon indéterminée et de l’escalade de la violence policière », pointe le sénateur du Rhône. « Les forces de l’ordre ont aussi détruit à coups de hache 100.000 euros de matériel musical, en l’absence de toute procédure, et en s’en réjouissant sur les réseaux sociaux. Et le ministère ne réagit pas ! Cela montre son mépris de cette scène et de la jeunesse. Allons-nous passer un été culturel sous le signe de la répression ? » demande Thomas Dossus. L’écologiste, défenseur des musiques électroniques, s’étonne du grand écart, pour ne pas dire de l’hypocrisie, quand deux jours après, le 21 juin, « à l’Elysée, on a dansé à la musique de Jean-Michel Jarre ».
« Il y a un glissement qui s’opère et qui inscrit dans le droit commun des mesures attentatoires à nos libertés »
De quoi alors le macronisme est-il le nom ? Certains sont allés jusqu’à parler d’autoritarisme conservateur. « Je ne supporte pas ces gens qui disent que la France est devenue une dictature, c’est évidemment faux », recadre un député LREM. Mais sous couvert d’anonymat, il s’interroge sur la manière de gouverner du chef de l’Etat : « Il y a une contradiction entre l’horizontalité du début, et la pratique très verticale et personnelle du pouvoir. L’état d’urgence répétitif et le Conseil de défense, avec des décisions prises dans l’entre-soi, ne sont pas des pratiques concevables pour le pays ». Un « hiatus » entre l’élection de 2017 et aujourd’hui, que ce député LREM explique ainsi : « Emmanuel Macron est plus de droite conservatrice qu’il n’a prétendu l’être. Puis l’exercice du pouvoir l’a amené sur ce terrain ».
Pour la communiste Éliane Assassi, « le problème de l’état d’urgence, c’est que les mesures entrent ensuite dans le droit commun. C’est ça qui est grave. On le voit encore avec le dernier texte sur le terrorisme et le renseignement, où on intègre dans le droit des mesures expérimentales. Il y a un glissement qui s’opère, et qui inscrit dans le droit commun des mesures attentatoires à nos libertés ».
« Les gens veulent qu’on ramène l’ordre »
François Patriat s’étonne lui de sentiments contraires. « Les gens veulent qu’on ramène l’ordre. Mais quand on s’en donne les moyens, on n’en veut pas », estime le président du groupe RDPI, pour qui « on ne peut pas exiger toujours plus de répression et plus de liberté. Il faut trouver un équilibre et je pense que le gouvernement l’a trouvé ». Mais à vouloir pratiquer ce « en même temps », le risque est justement de parfois perdre l’équilibre.