Une majorité de jeunes entre 18 et 25 ans n’ira pas voter dimanche aux élections régionales et départementales. Comment s’explique cette abstention des jeunes ?
La palette d’outils dont les jeunes peuvent se saisir pour s’intéresser à la politique s’est élargie. Le vote reste un symbole du bon fonctionnement démocratique, mais les jeunes considèrent aussi qu’il y a d’autres formes d’expression. La manifestation est devenue un mode d’expression politique, chez les jeunes générations, extrêmement familier et banal. Mais il y a aussi d’autres formes, comme les boycotts, des signatures de pétitions, des mobilisations sur Internet, des discussions sur les réseaux sociaux.
La vision du vote comme un devoir civique est en train de se perdre chez les jeunes ?
Chez les jeunes générations, il est clair qu’on observe un affaiblissement de la norme civique. Elles appréhendent le vote comme un droit que l’on peut exercer plutôt que comme un devoir. L’abstention est aussi revendiquée de plus en plus comme un droit, tout comme la reconnaissance du vote blanc qu’ils réclament.
Les jeunes s’abstiennent, mais ils s’intéressent au débat public ?
Oui beaucoup d’études et d’enquêtes montrent que l’engagement des jeunes, y compris l’engagement bénévole, est plutôt en augmentation. On n’est pas du tout dans un cas de figure où les jeunes se replient sur leur petite sphère privée et individualiste. Ils ont un intérêt pour le collectif, pour la société, pour ce qui les entoure, pour des problématiques importantes. Par exemple, les questions environnementales sont aujourd’hui un vecteur de politisation des jeunes. Le réchauffement climatique, l’équilibre entre les activités humaines et les ressources naturelles, ce sont vraiment des sujets qui concernent au premier chef les jeunes. On l’a vu au travers de ces marches pour le climat. Après, il faut que l’offre politique s’adapte à leurs préoccupations.
Est-ce qu’il y a des partis politiques qui attirent vraiment le vote des jeunes ?
Non. Les jeunes se sentent plutôt éloignés des partis politiques traditionnels. Il y a de toute évidence, de la part des jeunes, une grande attente de renouvellement des formations politiques, mais aussi des façons de faire de la politique. Il y a aussi une attente de projets pour le futur qui les concerne, une demande de concret, je crois que ça doit être davantage entendu par les formations politiques.
Parlons de la manière avec laquelle l’exécutif communique avec les jeunes. Quand Emmanuel Macron réalise à l’Elysée une vidéo avec les youtubeurs très populaires McFly et Carlito, où ils font des roulades dans le jardin de l’Elysée, cela peut reconnecter les jeunes à la politique ou c’est juste du marketing ?
Je dirais que c’est un peu les deux. Il est tout à fait légitime pour les politiques de trouver de nouveaux canaux pour atteindre les jeunes générations aujourd’hui. Mais la communication ne suffit pas. Il faut les convaincre. Et pour convaincre un jeune, il faut aussi lui donner des réponses qui lui permettent de trouver une place dans la société. Un métier correspondant à sa formation. Une indépendance financière, une autonomie en matière de logement. La possibilité de se lancer dans la vie de façon autonome.
Pour convaincre les jeunes, les responsables politiques doivent aller sur les plateformes de discussion des jeunes, comme Jean Castex et François Hollande l’ont fait sur Twitch ?
Tout espace qui permet du débat est bienvenu. Les jeunes sont très demandeurs, d’informations, de discussion. Ils ont besoin d’être éclairés. Bien souvent, ils disent qu’ils ont du mal à se repérer dans une offre politique brouillée. Par exemple, les enjeux des élections régionales et départementales ne sont pas très lisibles pour eux.
Lors du 1er tour de ces élections, ce dimanche, environ 60 % des Français devraient s’abstenir. Pour quelles raisons ?
Il y a des causes de long terme qui sont liées à cette fatigue démocratique installée maintenant depuis un certain temps. Une défiance politique très importante que nous mesurons notamment au Cevipof dans le cadre du baromètre de confiance politique. Mais par rapport à ce scrutin, il y a aussi un effet plus conjoncturel. Les Français sortent d’une crise sanitaire qui a profondément bouleversé leur vie, leur travail, leurs activités quotidiennes, les relations avec leurs proches. Ils ont d’autres préoccupations que cet enjeu électoral et ce scrutin qui est mal identifié.
Ce sont des élections locales. On dit souvent que les Français sont assez proches de leurs élus locaux, mais pourtant, ils se désintéressent de ce type de scrutin.
C’est un paradoxe. Il y a une grande défiance à l’égard des responsables au niveau national. Il y a plus de proximité et plus de confiance à l’égard des élus locaux et notamment des maires. Donc, on pourrait penser que des enjeux portés par les pouvoirs au niveau de la région ou au niveau du département, les questions scolaires, les transports régionaux, les aides sociales, les interpellent. Or, ce n’est pas le cas. Ce sont des élections intermédiaires, dont les Français se saisissent souvent assez peu, sauf pour exprimer un mécontentement et un vote sanction. Je ne sais pas si ce sera le cas, nous le verrons dimanche.