Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Législatives : accord entre le PS et LFI, « un événement majeur » qui change la donne
Par Public Sénat
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C’est fait. Et ce n’est pas rien. Le Parti socialiste et La France insoumise sont parvenus à un accord pour les législatives. Pour le PS, c’est une révolution. Ce qui paraissait être une gageure, pour ne pas dire impossible, il y a peu, est désormais une réalité. Non sans mal sur la fin, les deux partis ont réussi à faire, en une petite semaine seulement, un rapprochement programmatique et à s’entendre sur la répartition des candidats. Ce sont les gauches réconciliées. Après l’accord signé dimanche soir avec EELV, et celui avec le PCF, la nouvelle est synonyme d’union de toute la gauche. Un symbole, au lendemain du mardi 3 mai, date anniversaire de la victoire du Front populaire, en 1936. L’ensemble des formations se rassemble sous une nouvelle bannière : la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » (NUPES).
Sur l’Europe, « nous parlons de désobéir pour les uns, de déroger de manière transitoire pour les autres, mais nous visons le même objectif »
Ce matin, c’est d’abord « un accord de principe » qui est annoncé. Les discussions ont duré toute la nuit. Les négociateurs se sont relayés. « Il y a des gens qui dorment un peu et d’autres qui continuent pendant ce temps », raconte l’un des acteurs des « négos ». Résultat : le volet sur les circonscriptions est « finalisé » au bout de la nuit. Le PS obtient 70 circonscriptions, selon nos informations (contre 100 pour EELV et 50 pour le PCF). Mais les échanges ont continué encore ce matin sur quelques points de fonds. « On doit parachever les discussions, sur l’Europe en particulier », explique alors un négociateur PS. Il restait surtout à écrire un communiqué de presse commun qui « attestera » l’accord. Dans l’après-midi, fumée blanche. Le texte commun est publié.
Sur la question sensible de l’Europe, faute d’entente sur l’idée de désobéissance, que LFI défend mais dont le PS ne veut pas, le communiqué en vient à faire… une forme de synthèse, comme aux grandes heures du PS de François Hollande, constatant une divergence de vocabulaire mais une direction commune : « Du fait de nos histoires, nous parlons de désobéir pour les uns, de déroger de manière transitoire pour les autres, mais nous visons le même objectif ». Celui de « mettre fin au cours libéral et productiviste de l’Union européenne et construire un nouveau projet au service de la bifurcation écologique et solidaire » dit le communiqué. Un conseil national du PS devra encore valider cet accord.
« Aspiration très forte du peuple de gauche pour que quelque chose se passe »
Après un premier round de discussion la semaine dernière, où les deux forces en présence ont constaté qu’il n’y avait pas de point de blocage, le PS a envoyé vendredi ses propositions écrites à LFI. Une lettre qui a mis le feu aux poudres au PS, où le rapprochement est contesté en interne. Les présidents des groupes socialistes de l’Assemblée et du Sénat, Valérie Rabault et Patrick Kanner, l’ont même découverte dans la presse. Vendredi midi, le PS suspendait les négociations, avant de reprendre langue dans le week-end, puis de se revoir hier. L’accord passé dimanche soir avec EELV a préparé le terrain et facilité les choses, notamment sur la question sensible de l’Europe. Mais la dernière journée de « négos » a été compliquée, avec des points de blocage sur les circonscriptions, avant que socialistes et insoumis topent au bout de la nuit.
Lundi matin, juste avant la reprise des discussions, au siège de LFI, la volonté était là du côté du PS. « On est dans un esprit d’essayer de conclure », confiait le député PS Laurent Baumel, en charge des relations extérieures du parti et l’un des négociateurs. La veille, pour le défilé traditionnel du 1er mai, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, et Jean-Luc Mélenchon, avaient posé ensemble et affiché leurs sourires, signe du nouveau climat positif. « Cela incarne et symbolise un désir, une aspiration très forte du peuple de gauche pour que quelque chose se passe de ce côté-là. Hier, on a senti une grande attente sur l’aspiration unitaire. On reçoit des centaines de témoignages. Les gens sont vraiment en attente », raconte Laurent Baumel. Mais à la mi-journée, toujours pas de fumée rose. « Ça ne coince pas. Mais tant qu’il n’y a pas un accord et un équilibre, ça continue. C’est work in progress », confie un négociateur PS pendant la pause déjeuner. La question de l’Europe, et bien sûr des circonscriptions, compliquent les choses. « Ça dure car on discute programme, stratégie et circonscriptions. Ça fait 10 ans qu’on ne s’est pas vus, c’est normal que ce soit long », soutient aussi Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis.
Après une soirée de négo tripartite LFI-PS-EELV, complété par le PCF en fin de soirée, les discussions reprennent ce mardi. Mais de l’« optimisme raisonnable », exprimé lundi après-midi par le député LFI Eric Coquerel, on passe mardi midi aux « points de tensions », selon la députée européenne LFI Manon Aubry. Les négos deviennent « difficiles », avec le point dur des candidatures, notamment dans la 15e « circo » de Paris, entre la sortante PS Lamia El Aaraje, contre la LFI Danielle Simonnet. Mais au final, tout ce petit monde arrive non sans mal à « atterrir sur les circonscriptions ».
Pour faciliter l’obtention d’un accord, LFI a dû lâcher un peu de lest et aller au-delà d’une répartition des circonscriptions selon les résultats de la présidentielle, ce qui aurait donné une trentaine de candidats PS seulement. Une proposition qui aurait été inacceptable pour le PS, sachant qu’il faut avoir au moins 50 candidats qui font 1 % pour ouvrir un financement de l’Etat. Les Insoumis sont donc allés « bien au-dessus de la proportionnelle ». « Ce qui compte, c’est que le PS a 50 ans d’histoire et des implantations locales. Donc on en tient compte », explique Eric Coquerel.
Patrick Kanner : « J’espère qu’on ne sera pas humilié »
« J’espère qu’on ne sera pas humilié. Si on se retrouve avec 60 ou 70 circonscriptions réservées, par rapport aux 100 de EELV et au 50 du PCF, je pense qu’il y a un petit blème », lâchait mardi matin Patrick Kanner, qui rappelle qu’en 2017, « on avait eu 360 candidats. C’est des millions de financement en moins ». Au sein du PS, les plus critiques de ce rapprochement, comme François Hollande, Stéphane Le Foll, les sénateurs Patrick Kanner donc, ou encore Rachid Temal, qui y voient une soumission voire la mort du PS, n’auront pas eu gain de cause. Ils ont même pu indirectement aider les négociateurs. « Cela a montré aussi à nos partenaires qu’ils devaient faire des efforts nécessaires pour que le rassemblement puisse permettre de respecter la diversité », souligne Laurent Baumel. L’épisode devrait néanmoins laisser des traces profondes au PS, avec un risque d’implosion à la clef. Dans l’immédiat, les opposants interne veulent un vote. Patrick Kanner demande « au minimum qu’un conseil national valide l’accord. Et nos statuts prévoient que ce soit une convention nationale, que ce soit les militants qui se prononcent ». L’ancien premier ministre, Bernard Cazeneuve, a pour sa part menacé de quitter le PS si l’accord allait au bout…
Le fait que l’accord ne soit pas accepté par certains socialistes n’est pas sans conséquences. Le risque de dissidence pour les législatives est réel. Plus elles seront nombreuses, moins la gauche unie aura de chance de faire élire des députés.
« S’il y a un accord de toute la gauche, ce sera un événement majeur qui reconfigurera les élections législatives »
Cette union de la gauche changera beaucoup de choses pour l’élection des députés. Avant même l’apparition de la fumée blanche, Laurent Baumel s’en réjouissait : « S’il y a un accord de toute la gauche, ce sera un événement majeur qui reconfigurera les élections législatives, ça c’est clair. Pour la première fois depuis longtemps, l’idée qu’il y ait une majorité autour du Président n’est pas acquise ». Après une « présidentielle frustrante », la gauche espère faire des législatives ce troisième tour qui enverrait Jean-Luc Mélenchon, en tant que leader de l’opposition de gauche, à Matignon. Reste qu’avoir une cohabitation, alors que le Président de la République vient d’être élu, serait pour le moins baroque. Sur le papier, les institutions le permettent. Pour la mise en pratique, obtenir une majorité reste incertain pour la gauche.
Mais en jouant l’unité, elle maximise ses chances d’élire des députés. Avec une abstention qui s’annonce encore au sommet, il sera difficile d’atteindre les 12,5 % des inscrits, seuil permettant de se maintenir au second tour des législatives. Il y aura une prime aux gros scores et donc à l’union. Concrètement, si l’abstention est de 50 %, cela veut dire qu’il faut faire 25 % pour se maintenir au second tour…
Pour Macron, faire l’unité dans son camp devient encore plus nécessaire
Ces accords à gauche ne sont pas sans conséquence pour Emmanuel Macron. Il pourrait influencer le choix de son premier ministre, avec une tentation de nommer une personnalité encore plus clairement marquée à gauche ou écologiste, pour attirer les électeurs socio-démocrates ou les écolos non mélenchonistes. Matignon a d’ailleurs été proposé à Valérie Rabault, qui a décliné l’offre à cause de la retraite à 65 ans.
Pour le Président réélu, faire l’unité dans son camp devient par ailleurs encore plus nécessaire. Alors que les discussions sont compliquées sur son aile droite, avec l’allié Edouard Philippe et son parti Horizons, Emmanuel Macron ne peut pas se permettre d’avoir une division au premier tour dans sa majorité, avec un candidat LREM et un candidat Horizons dans certains territoires. Il aura intérêt à entendre les demandes de son ancien premier ministre. C’est peut-être Edouard Philippe qui pourrait indirectement profiter de cette union à gauche.
Pour l’heure, cette unité entre LFI, EELV, le PS et le PCF sonne comme un réveil de la gauche. Profondément divisée pour la présidentielle, ses responsables ont réussi le tour de force de mettre de côté les rancœurs personnelles, ce qui les sépare sur le fond, pour se concentrer sur ce qui les rassemble. Quitte, pour le PS, à faire quelques contorsions idéologiques sur l’Europe. Car ce sont plus les socialistes qui sont allés vers la ligne de LFI, que l’inverse, même si les positions n’étaient pas si éloignées sur de nombreux points. Après les 1,75 % d’Anne Hidalgo à la présidentielle, ils n’avaient guère le choix.