Le Sénat a adopté mardi en première lecture, après l'Assemblée nationale, le projet de budget pour 2020, approuvant sa mesure phare, la baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards pour 17 millions de Français, mais rejetant les crédits de cinq "missions" budgétaires importantes.
Au terme de trois semaines de débats, avec plus de 2.500 amendements examinés, le projet de loi de finances revu et corrigé a été voté par 185 voix pour (LR, centristes), 94 voix contre (PS, CRCE à majorité communiste) et 67 abstentions (LREM, Indépendants, RDSE à majorité radicale).
Députés et sénateurs vont maintenant tenter de se mettre d'accord sur un texte commun en commission mixte paritaire. En cas d'échec, probable, une nouvelle lecture sera organisée dans les deux chambres, dans l'objectif d'une adoption définitive avant la fin de l'année, le dernier mot revenant à l'Assemblée.
Le secrétaire d'Etat Olivier Dussopt a "formé le voeu" que les discussions puissent permettre "de trouver un certain nombre de points d'accord".
Le rapporteur général Albéric de Montgolfier (LR) a de nouveau exhorté le gouvernement à "écouter le Sénat", affirmant que "la France s'en porterait mieux".
Les sénateurs ont rejeté les crédits de cinq "missions" budgétaires, "pas à la hauteur des enjeux", selon Philippe Dallier (LR): agriculture, sécurité, justice, immigration et écologie.
La majorité sénatoriale de droite a aussi proposé des mesures d'"économies", comme une augmentation du temps de travail des fonctionnaires d'Etat.
Ce budget "marquera l'acte II du quinquennat, celui du renoncement au retour à l'équilibre de nos comptes publics", a déploré M. Dallier. "Gageons que le train de l'Etat continuera de rouler vers l'abîme de la dette".
"Vous bouchez les trous en recréant d'autres à côté", a critiqué Claude Raynal (PS), empruntant aux "Shadoks" la formule "et plus ils pompaient plus il ne se passait rien".
- "Far West fiscal" -
"L'aspiration à vivre mieux s'exprime avec force dans notre pays depuis plusieurs mois, vous ne voulez pas l'entendre, ce budget ne va en rien améliorer la situation économique et sociale", a déclaré Eric Bocquet (CRCE), évoquant le "singulier télescopage" entre le vote au Sénat et la journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Pour la partie "recettes", le principal point d'achoppement a tourné autour de la suppression de la taxe d'habitation. Pour les sénateurs, il n'est pas question de revenir sur cette mesure qui devrait concerner 80% des ménages en 2020, pour un gain de 3,7 milliards d'euros de pouvoir d'achat. Mais ils se sont opposés au mécanisme de compensation pour les collectivités tel que prévu par le gouvernement.
Fustigeant une "fausse fiscalité écologique", ils ont supprimé purement et simplement la disposition revenant à augmenter de 2 centimes les taxes sur le gazole pour le transport routier, contre laquelle la profession est mobilisée.
Le Sénat s'est opposé à une réduction de l'avantage fiscal lié au mécénat d'entreprise, qui doit générer des économies pour l’État, mais qui inquiète associations et fondations. Il a prolongé jusque fin 2021 le régime de zone de revitalisation rurale (ZRR) pour les communes qui devaient en sortir en 2020.
La chambre haute a encore voté un report d'une année de la taxe de dix euros pour les CDD d'usage, afin de laisser le temps aux entreprises de négocier un accord de branche.
Le Sénat a encadré l'expérimentation de collecte de données sur les réseaux sociaux pour détecter des fraudes fiscales, et adopté un dispositif pour lutter contre la fraude à la TVA sur les plateformes de commerce en ligne. Pour la sénatrice centriste Nathalie Goulet, il est "plus qu’urgent de mettre un terme au Far West fiscal du commerce en ligne".
Le porte-parole du groupe LREM Julien Bargeton a estimé que "les grands équilibres du texte n'ont pas été modifiés", mais a déploré la suppression de cinq missions. "Comment se prononcer sur un budget amputé de cinq missions?", a aussi interrogé Jean-Claude Requier, président du groupe RDSE. Emmanuel Capus (Indépendants) a jugé que le budget "va dans la bonne direction", mais que le Sénat le "prive d'ambition".