L’examen en première lecture du projet de financement de la Sécurité sociale est à peine achevé au Parlement que l’avenir de la « Sécu » revient à nouveau dans le débat avec un document qui fera parler de lui.
Si le gouvernement n’a pas boudé son plaisir en annonçant le retour à l’équilibre du régime général (une première en 17 ans), la Cour des comptes publie ce mercredi un rapport sur l’avenir de l’Assurance maladie, avec plusieurs pistes pour assurer la pérennité du système. Car avec le vieillissement de la population et la hausse du prix de certains soins, les Sages de la rue Cambon s’inquiètent des perspectives à long terme du système de santé français.
Installation des médecins : la régulation plutôt que l’incitation
Le rapport s’attarde notamment sur la problématique des déserts médicaux. Selon la Cour des comptes, les « déséquilibres dans la répartition de l’offre de soins » sur le territoire pose avant tout des problèmes d’accès pour les patients, mais aussi un surcoût financier pour l’Assurance maladie.
Cartes à l’appui, la Cour des comptes fait le lien entre la concentration de professionnels de la santé par département et le nombre d’actes médicaux réalisés (et donc les dépenses de santé). Les Sages de la rue Cambon, qui s’interrogent sur la pertinence des actes médicaux, estiment qu’une meilleure répartition des médecins libéraux en France pourrait dégager une économie comprise entre un et trois milliards d’euros.
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Considérant que la politique incitative n’a eu que des « résultats modestes », la Cour des comptes préconise de « réguler plus fortement les installations » des médecins, en conditionnant le conventionnement des cabinets aux besoins d’un territoire. En clair : mettre fin à la liberté d’installation.
« Magistrats déconnectés de la réalité »
Le rapport choc de la Cour des comptes a reçu un accueil hostile de la part des médecins. « Même Agnès Buzyn [ministre de la Santé] et Édouard Philippe [Premier ministre] ont bien compris qu’il ne fallait pas mettre de coercition si on ne voulait pas aggraver la désertisation », répond à PublicSenat.fr Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des Médecins de France.
« La Cour des comptes ne prend pas la mesure de l’ampleur de la tâche, ni en matière de démographie, ni en matière de remboursement des tarifs opposables », regrette-t-il. « Ce sont des recettes éculées de magistrats déconnectés de la réalité du terrain. »
Au Sénat, le sénateur (LR) Roger Karoutchi s’est dit sur Twitter « un peu étonné de ce rapport ». « Veut-on une médecine d’Etat fonctionnarisée ? », a-t-il demandé.
Les dépassements d’honoraires pénalisés
Le système de rémunération des médecins libéraux et des établissements de santé est également très critiqué.
Comme pour l’installation des médecins libéraux dans une région déjà sur-dotée, les dépassements d’honoraires pourraient être pénalisés par une exclusion du conventionnement avec l’Assurance maladie.
C’est dans la même logique « d’efficience » que la Cour des comptes encourage la généralisation des ordonnances électroniques. Cette informatisation permettrait de les confronter à un « système d’analyse de la qualité des soins » et des effets des médicaments.
La Cour des comptes considère surtout que la tarification à l’acte a « pu entretenir une course aux volumes ». Contre cette logique « potentiellement inflationniste », elle recommande de développer des rémunérations forfaitaires et une tarification « au parcours de soins », notamment pour les affections de longue durée.
« Il faut supprimer la tarification à l’activité, c’est le seul point sur lequel on est d’accord », déclare Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France.
C’est le modèle allemand qui a inspiré la Cour des comptes. Celle-ci propose d’instaurer des plafonds de rémunération, avec des « enveloppes limitatives » au niveau régional, en fonction « des caractéristiques des patients ».
Dans plusieurs chapitres, l’échelon régional est régulièrement invoqué, qu’il s’agisse de compétences ou d’objectifs budgétaires. « Les moyens d’action des agences régionales de santé doivent être renforcés », insiste la Cour des comptes.
« Désengorger » les urgences à l’hôpital
Autre temps fort du rapport : la Cour des comptes déplore le « recours massif aux urgences » dans les hôpitaux. Pour « désengorger » ces services dont la fréquentation a augmenté de 41% entre 2001 et 2015 (quand la population française n’a augmenté que de 8,6%), les magistrats veulent renforcer la médecine de ville. Une piste est évoquée : conditionner la rémunération des médecins au développement de la permanence des soins, à l’extension des horaires d’ouverture et à la prise en charge des urgences (les « soins non programmés » dans le jargon technique).
Sur le principe, cette meilleure articulation entre la médecine hospitalière et la médecine libérale est plutôt bien vue du côté des représentants des médecins. « Mais pour cela, il faut installer une vraie réforme », tonne Jean-Paul Hamon, qui souhaite que l’on efface les dettes hospitalières, mais aussi que l’on « donne les moyens à la médecine de ville ». Le représentant appelle encore à « éviter les hospitalisations inutiles » tout comme les « sorties précoces ».
Dans un autre registre, la Cour des comptes souligne que la prévention est insuffisante en France, comparée au reste de l’OCDE. Elle appelle notamment à les protéger des coupes budgétaires ».
La Cour des comptes conseille aussi de « saisir les opportunités de la numérisation de la santé, en citant notamment l’exemple de la télémédecine, pouvant « favoriser le maintien à domicile » dans certains cas.
Sur ces derniers points, l’exécutif pourrait donner raison aux Sages. Lors de sa campagne présidentielle (relire notre article), Emmanuel Macron avait justement proposé d’investir dans le numérique pour des consultations à distance, mais aussi de revoir le système de soins pour éviter les recours systématiques à l’hôpital.