« Les terroristes de Daesh sont les plus riches du monde », rappelait ce matin sur France Inter Arnaud Danjean, député européen et ancien membre des services de renseignement français. Le groupe terroriste a amassé un véritable « trésor de guerre » - environ un milliard de dollars par an - et la communauté internationale n’a pas été en capacité de l’en empêcher. Alors que faire ? Dispose-t-on des outils nécessaires pour endiguer le financement du terrorisme ? D’après Laurence Bindner, spécialiste de la propagande djihadiste, « l’État français, l’Union européenne et les instances internationales en ont déjà mis en place un certain nombre ». « Il faut utiliser les outils qu’on a, ils sont très performants », ajoute Nathalie Goulet, sénatrice (Union centriste) de l’Orne, auteure d’un rapport sur le financement du terrorisme en 2015. L’un d’eux, Tracfin (et ses homologues à l’étranger), est par exemple « un excellent outil » permettant de lutter contre le blanchiment d‘argent en vérifiant l’origine de toutes les sommes importantes ou atypiques qui pourrait apparaître sur les comptes des associations ou des particuliers.
« Il n’y a pas d’harmonisation internationale alors que les textes existent »
Il existe également une « base juridique universelle », la Convention internationale des Nations-Unies pour la répression du financement du terrorisme (1999), « sur la base de laquelle les États développent leur propre législation, couplée à la lutte contre le blanchiment des capitaux », précise Marie Christine Dupuis-Danon, spécialiste de la finance criminelle et auteure de "Les guetteurs. Les patrons du renseignement français répondent". Toutefois, « la conjoncture a évolué, tout comme la connaissance des enjeux et des mécanismes de financement des terroristes ». Là est tout l’intérêt de la conférence « No money for terror », organisée à Paris ces mercredi et jeudi à l’initiative d’Emmanuel Macron pour réfléchir aux moyens de lutter contre le financement du terrorisme. 80 ministres de 72 pays et 500 experts ont été réunis pour l’occasion. « Le format de cette conférence est le bon car c’est une conférence internationale », se réjouit Nathalie Goulet, pour qui « une harmonisation des législations des États est nécessaire aux niveaux européen et international ». Une harmonisation pour laquelle plaide également Arnaud Danjean, au micro de France Inter : « Il y a des directives européennes qui ne sont pas encore appliquées de façon uniforme dans tous les pays de l’Union européenne », tout comme c’est le cas pour les conventions internationales : « Il n’y a pas d’harmonisation internationale alors que les textes existent. »
« La difficulté, c’est ce qui échappe au contrôle »
Outre la conjoncture, les moyens de financement du terrorisme ont eux aussi changé. « Aujourd’hui, il y a un terrorisme low cost par rapport à celui du 11 septembre 2001, donc il faut mettre en place des logiciels qui détectent des signaux faibles de changement de comportement », explique Nathalie Goulet. Interrogé ce matin sur France Info, François Molins, procureur de la République de Paris estimait le coût des attentats de 2015 à 25 000 euros, et ceux du 13 novembre à 80 000. Des sommes « modiques » comparés à la fortune sur laquelle est assise Daesh, et qui alimentent le « microfinancement » du terrorisme, s’est alarmé M. Molins. Cet argent circule souvent sous sa forme liquide, d’autant plus difficile à tracer. « Les systèmes de prévention et de détection du blanchiment d’argent sur les secteurs réglementés sont assez classiques. La difficulté, c’est ce qui échappe à ce contrôle : le cash, les économies informelles, les bureaux de change… » s’inquiète Marie-Christine Dupuis-Danon, qui donne pour exemple la hawala, système de transfert de fonds alternatifs, « qui existe dans les zones où la bancarisation de l’économie est très faible et qui très compliqué à réguler ». Les cartes prépayées, les portefeuilles électroniques, les monnaies virtuelles ou encore les plateformes de financement participatif sont d’autres exemples.
« Limiter les transactions en espèces »
Pour Nathalie Goulet, l’interdiction des billets de 500 euros prévue par La Banque centrale européenne (BCE) pour fin 2018 compte parmi les bonnes mesures à mettre en place pour endiguer le « microfinancement ». « Avec des billets de 500 euros on peut avoir des sommes importantes avec peu de volume », ajoute la sénatrice. « Limiter les transactions en espèces » est une autre de ces mesures. En France, le plafond est fixé à 1000 euros depuis 2016, contre 3000 euros auparavant. Nathalie Goulet va jusqu’à prendre en exemple certains pays nordiques où il n’y a quasiment plus d’espèces. Pour Marie-Christine Dupuis-Danon, « arriver à des économies zéro cash c’est la tendance, mais ça n’arrivera pas forcément dans un horizon proche », d’autant que « ce n’est pas pour lutter contre du terrorisme qu’on passera à une économie zéro cash ».
« Une mosquée moyenne en banlieue parisienne peut drainer jusqu’à un million d’euros en espèces »
Autre problématique, les financements liés à l’islam. Ainsi, Nathalie Goulet évoque « une mosquée moyenne en banlieue parisienne peut drainer jusqu’à un million d’euros en espèces pendant le ramadan » via la zakat, une aumône légale et obligatoire. L’Arabie Saoudite a interdit que celle-ci soit versée en liquide. Un exemple à suivre de l’avis de la sénatrice. Marie-Christine Dupuis-Danon, elle, craint qu’on réduise la réflexion sur le financement du terrorisme à l’islam : « Il faut éviter les amalgames », avertit-elle.
Si la conférence internationale « No money for terror » devrait permettre de mener une réflexion globale pour savoir «comment faire en sorte que le renseignement financier puisse être le mieux possible collecté, analysé et exploité » comme le souligne la spécialiste de la finance criminelle, le financement du terrorisme reste « extrêmement difficile à endiguer » et il ne faut pas s’attendre à ce que cette conférence aboutisse à des solutions concrètes. « Il ne faut pas se faire d’illusion sur notre capacité à assécher le financement du terrorisme », explique Arnaud Danjean. Et de conclure : « Souvent je dis qu’on ne pourra pas éradiquer militairement le terrorisme. Je pense qu’il est tout aussi illusoire de penser qu’on va assécher le financement du terrorisme car il est multiforme et utilise les réseaux criminels classiques ». « No money for terror » reste toutefois une réunion « symbolique car c’est un moment où on acte collectivement d’une volonté de s’engager dans cette démarche », reconnaît Marie-Christine Dupuis-Danon.