Dix-sept mois et puis s’en va. Mario Draghi, le président du Conseil des ministres d’Italie a remis la démission de son gouvernement jeudi matin. Le président Sergio Mattarella a « pris acte » de sa décision. Mario Draghi et ses ministres devraient toutefois continuer d’expédier les affaires courantes jusqu’à la tenue d’élections anticipées, probablement à l’automne. Le départ de l’ancien banquier scelle le sort de la large coalition gouvernementale mise en place pendant la pandémie, et plonge l’Italie dans une crise politique d’ampleur, qui pourrait aussi avoir de lourdes répercussions sur l’unité européenne. Choisi par le président Mattarella en février 2021 pour succéder à Guiseppe Conte, Mario Drahi s’est révélé être une figure de consensus, capable de rassembler une majorité hétéroclite, allant de la gauche jusqu’à la droite radicale, face à la gravité de la crise du covid-19 dans la péninsule italienne. « Il s’était fixé deux priorités : sortir le pays du covid et gérer le plan de relance de 200 milliards octroyé par Bruxelles, le plus important de l’Union européenne », rappelle auprès de Public Sénat le politologue Marc Lazar, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po et président de la School of government de l’Université de Luiss, à Rome. « Vu le prestige de Mario Draghi, lié au sauvetage de la zone euro en 2011 lorsqu’il était président de la Banque centrale européenne, les partis politiques pouvaient difficilement refuser la main tendue. »
La coalition vole en éclat
Un an et cinq mois plus tard, la fracture est venue du Mouvement 5 étoiles, estimant que la politique sociale du gouvernement n’était pas à la hauteur de ses ambitions. Le 14 juillet, ses élus ont quitté l’hémicycle du Sénat pour boycotter un vote de confiance sur un texte visant à répartir un paquet de 23 milliards d’euros en faveur du pouvoir d’achat. « Ils ont voulu se désolidariser et radicaliser leur opposition, alors qu’ils sont en difficulté dans les sondages à un an des élections générales de 2023 », observe Marc Lazar. Dans la foulée, Mario Draghi, considérant que sa majorité n’existait plus, a présenté une première fois sa démission, refusée par le président de la République. Ce jeudi, devant la chambre des députés, le chef du gouvernement a tenté de sortir de l’impasse : s’il a obtenu le vote de confiance des élus, la brèche ouverte par le Mouvement 5 étoiles la semaine dernière a suffi à raviver les querelles partisanes.
En plus du parti attrape-tout fondé par l’humoriste Beppe Grillo, deux autres formations ont refusé de prendre part au vote, minées depuis plusieurs mois par des divisions internes quant à la participation à la coalition de gouvernement : la droite de Forza Italia, toujours pilotée par l’indéboulonnable Silvio Berlusconi, et la Ligue, le parti d’extrême droite de Matteo Salvini. Mercredi soir, il ne restait plus à Mario Draghi, parmi les principales formations politiques, que l’appui du Parti démocrate. Insuffisant selon le chef de gouvernement pour continuer à piloter les destinées italiennes, et ce malgré le soutien inédit affiché ces derniers jours par une large partie de la société civile et de nombreux élus locaux, illustrée notamment par une tribune de plus de 1 800 maires en faveur du maintien de « super Mario ».
Un boulevard pour l’extrême droite
« On assiste désormais à la recomposition politique des forces de droite en Italie », explique Marc Lazar. « Le centre droit de Berlusconi, la Ligue de Matteo Salvini et le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, dirigé par Giorgia Meloni, qui avait refusé de rallier la coalition de Mario Draghi, vont batailler pour le leadership. » C’est à cette dernière que le contexte paraît le plus favorable. Seul parti d’opposition, Fratelli d’Italia a beaucoup progressé en parvenant à rassembler les déçus de la politique de Mario Draghi. Il devance désormais les autres formations politiques dans les enquêtes d’opinion. Si l’implosion politique des dernières heures ne vient pas bouleverser la donne, Fratelli d’Italia a toutes les chances de s’imposer comme le premier parti d’Italie à l’issue d’élections anticipées, réclamées par Giorgia Meloni qui pourrait ainsi être appelée pour former un nouveau gouvernement. « Fratelli d’Italia est un parti issu de la mouvance fasciste, qui cherche à devenir un parti de droite radicale. De la même manière que Marine Le Pen, Giorgia Meloni essaye de dédiaboliser sa formation en se présentant comme une femme de droite, conservatrice et chrétienne », explique notre politologue. Passée par le Front de la jeunesse du Mouvement social italien (MSI), une organisation néofascisante, Giorgia Meloni « entretient une certaine ambiguïté en refusant explicitement de condamner le fascisme, alors même que gravitent autour d’elle un certain nombre de personnages qui entretiennent une nostalgie pour Mussolini », poursuit Marc Lazar.
La fin de l’axe Paris-Rome ?
Une perspective peu réjouissante pour Bruxelles, qui a accepté de débloquer en faveur de Rome plus d’un quart des fonds de son plan de relance historique. Aux yeux de la Commission, Mario Draghi était le garant d’une gestion rigoureuse, apte à remettre la péninsule sur des rails économiques viables. « Son départ va marquer un affaiblissement de l’Italie au niveau européen. C’était déjà le cas avant la crise du covid-19, mais elle avait reconquis une forme d’influence grâce à la réputation de Mario Draghi qui occupait une place considérable au sein du Conseil européen », observe Marc Lazar. Désormais, les nuages s’amoncellent sur la botte, grevée par la deuxième dette de la zone euro (150,8 % de son PIB, selon les chiffres de la Commission européenne), un risque épidémique toujours présent et une dépendance au gaz russe qui fragilise Rome dans le cadre de la guerre en Ukraine et du front commun mis en place par les Européens contre la Russie.
Mais le départ de Mario Draghi c’est aussi, vu de France, une nouvelle épine dans le pied d’Emmanuel Macron. Déjà miné sur le plan intérieur par une majorité relative, le président de la République perd au niveau européen l’un de ses principaux soutiens. Après une vive crise diplomatique en 2019, les relations entre Rome et Paris se sont considérablement réchauffées en 2020 durant les derniers mois du gouvernement Guiseppe Conte, mais c’est l’arrivée de Mario Draghi à la tête de l'exécutif italien qui a marqué le début d’une nouvelle lune de miel entre les deux pays, scellée en novembre dernier par le traité du Quirinal. Le Français et l’Italien ont affiché des positions communes sur le contrôle des frontières extérieures et des flux migratoires, la nécessité de construire une défense européenne ou encore de faire bouger les critères de Maastricht au niveau budgétaire. Au point de laisser entrevoir un nouvel axe Paris-Rome au sein du jeu européen, susceptible de contrebalancer le binôme franco-allemand après le départ d’Angela Merkel. Cette dynamique nouvelle semble avoir fait long feu ce jeudi, puisque « le départ de Mario Draghi laisse Emmanuel Macron seul face à un Olaf Scholz évanescent », conclut Marc Lazar.