Après la chute du gouvernement de Michel Barnier, le chef de l’Etat dispose d’une marge de manœuvre aussi réduite qu’au lendemain des législatives anticipées pour trouver un nouveau Premier ministre, dans la mesure où les équilibres politiques restent les mêmes à l’Assemblée nationale, observe le sondeur Stéphane Zumsteeg, invité de Public Sénat ce mercredi 4 décembre. Toutefois, l’échéance budgétaire de la fin d’année devrait pousser Emmanuel Macron à agir rapidement.
La plus longue prolongation de l’état d’urgence arrive au Sénat
Par Public Sénat
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L’état d’urgence pendant une élection présidentielle, du jamais vu sous la Ve République. C’est le scenario qui semble se dessiner, si le Parlement donne son feu vert à la cinquième prorogation de ce dispositif d’exception. Le projet de loi présenté par le gouvernement prévoit une prolongation, plus longue encore que la précédente : jusqu’au 15 juillet 2017. Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale dans la nuit de mardi à mercredi, par 288 voix contre 32, et cinq abstentions. Il doit à présent être adopté dans les mêmes termes au Sénat ce jeudi 15 décembre, pour éviter une interruption de ce régime.
Car la démission de Manuel Valls a eu pour conséquence une fin prématurée de l’état d’urgence, celle-ci est prévue le 22 décembre, soit 15 jours après son départ de Matignon. Initialement, il devait prendre fin automatiquement le 26 janvier 2017.
L'adoption du texte dans les mêmes termes entre les deux composantes du Parlement devrait se réaliser, les sénateurs ayant été associés aux discussions avec l'Assemblée. Le passage à la Haute Assemblée a débuté le 14 décembre avec l'examen en commission des Lois, qui n'a pas apporté de modifications au texte adopté par les députés.
Trois semaines après l’annonce d’un nouvel attentat déjoué, les parlementaires, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, sont nombreux à souligner la menace terroriste persistante. « Le renouvellement pose la difficulté de maintenir un régime d’exception » mais « on le fait en présence d’une situation de risque terroriste », explique le sénateur Alain Richard (PS). « Il faut surmonter cette hésitation et prolonger l’état d’urgence », défend-t-il, craignant que les « moments de mobilisation démocratiques » à venir constituent une cible symbolique pour les terroristes.
« C’est très difficile de mettre fin à l’état d’urgence. D’abord pour des raisons politiques : interrompre l’état d’urgence, c’est comme si on abaissait le plan Vigipirate », estime le sénateur Philippe Bas (LR), rappelant que « la menace terroriste est toujours là ».
Le président de la commission des Lois au Sénat juge d’ailleurs la nouvelle version de l’état d’urgence adoptée en juillet dernier « plus utile » et « plus efficace », grâce aux nouveaux pouvoirs accordés au préfet.
« Assurer la continuité de l’État »
La prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet répond aussi aux conséquences qu’impliquent les élections : un changement de gouvernement et un renouvellement de l’Assemblée nationale, et donc l’arrêt temporaire des travaux parlementaires. Car, en vertu de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, une démission du gouvernement rendrait caduque la prorogation.
Il est « nécessaire de laisser le temps au prochain président et au prochain gouvernement d’apprécier la situation et d’assurer la continuité de l’État », rappelait également le 12 décembre le président de la commission des Lois au Sénat Philippe Bas.
Lors du dernier scrutin, le 21 juillet 2016, la prolongation de l’état d’urgence avait été massivement adoptée par le Sénat, par 315 voix pour (sur 341 suffrages exprimés). Seuls 26 sénateurs avaient voté contre le texte : l’intégralité du groupe communiste, républicain, citoyen, deux RDSE et quatre au sein du groupe écologiste.
« Beaucoup vont le voter parce qu’on ne peut plus faire autrement »
Parmi eux, la sénatrice écologiste du Val-de-Marne Esther Benbassa, qui a voté contre toutes les prolongations en 2016, craint que l’état d’urgence « subisse une banalisation ». « On a quelque part les mains liées par cet état d’urgence, que beaucoup vont voter parce qu’on ne peut plus faire autrement ». Cette membre du comité de suivi de l’état d’urgence ajoute : « les politiciens ont besoin de cet état d’urgence pour se couvrir ».
Car derrière les interrogations sur l’efficacité réelle du régime de l’état d’urgence en termes de sécurité, les opposants à la prolongation s’inquiètent des menaces sur les libertés individuelles. La Ligue des Droits de l’Homme demande ce mardi aux parlementaires dans une lettre ouverte de ne pas « prolonger un dispositif aussi lourd que préoccupant ».
Encadrement de durée pour l’assignation à résidence
Avec la prolongation de l’état d’urgence, la période durant laquelle des personnes sont assignées à résidence se retrouve mécaniquement allongée. Le projet de loi introduit désormais une limite. Dans sa version initiale, il voulait plafonner la durée ininterrompue de l’assignation à résidence chez une même personne à quinze mois, mais ouvrait la possibilité d’une reprise « en cas de faits nouveaux ou d’informations nouvelles ». L'Assemblée nationale a ramené cette durée à douze mois.
Dans son rapport déposé le 14 décembre, le sénateur Michel Mercier a estimé que les conséquences d'une limitation de l'assignation à résidence n'étaient pas « satisfaisantes » :
« Dans la plupart des cas, il n'existera pas d'éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure, alors même que le comportement des intéressés continue à présenter un risque pour la sécurité et l'ordre publics ».
Et de rappeler :
« L'assignation à résidence constitue bien une mesure de police administrative restreignant la liberté d'aller et venir [...] et non une mesure de privation de liberté individuelle qui nécessiterait l'intervention de l'autorité judiciaire ».
Dans son avis rendu le 8 décembre, le Conseil d’État, avait recommandé de fixer la durée maximale d’assignation à résidence à douze mois :
« En conséquence cesseraient, le jour de la publication de la loi, les assignations à résidence des personnes placées sous ce régime depuis plus d’un an, soit une quarantaine de personnes sur les quelque quatre cents qui ont fait l’objet de cette mesure depuis la déclaration de l’état d’urgence ».
Lundi soir, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a, elle, suivi cette préconisation en adoptant un amendement fixant une durée maximale de 12 mois, avec la possibilité d'une prolongation de trois mois, renouvelable sur une décision du juge des référés du Conseil d'État. C'est cette version a qui a été finalement adoptée à l'Assemblée nationale.
Dans un premier temps, les députés étaient revenus, de justesse, à la version gouvernementale fixant une durée maximale de 15 mois, à l'initiative du député Guillaume Larrivé (LR).
Mais le président de la commission des Lois à l'Assemblée nationale Dominique Raimbourg (PS) a demandé un second vote sur cet amendement, expliquant que ce dernier remettait en cause "la ligne de crête entre protection des libertés et efficacité de l'état d'urgence" et que le texte dans son ensemble avait "fait l'objet de discussions avec le Sénat".