Gouvernement Borne : un jeu de chaises musicales, quelques nouveautés… pour quelle portée politique ?

Gouvernement Borne : un jeu de chaises musicales, quelques nouveautés… pour quelle portée politique ?

Avec le premier gouvernement Borne, Emmanuel Macron s’appuie sur une équipe aguerrie et loyale, des piliers sur lesquels compter, sans oublier de respecter les équilibres politiques de sa majorité. Un changement dans la continuité, avec quelques entrées remarquées, comme l’intellectuel Pap Ndiaye, un anti-Blanquer à l’Education, ou l’ex-patron des députés LR, Damien Abad. Mais le gain politique semble au final bien maigre.
François Vignal

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Près de quatre semaines. C’est le temps que les Français ont dû attendre pour connaître leur nouveau gouvernement, quatre jours après la nomination d’Elisabeth Borne. Un gouvernement fait de têtes connues, qui joue la continuité avec une dose de renouvellement par quelques nouveaux visages.

En prenant son temps, Emmanuel Macron n’a pas seulement cherché la meilleure équipe. Il a joué la montre pour raccourcir la campagne des législatives, évitant à ses ministres de s’exposer. Une stratégie déjà pratiquée pour sa déclaration de candidature à la présidentielle.

Côté chiffre, avec 14 hommes et 14 femmes, en comptant la première ministre Elisabeth Borne, la parité est respectée. 15 membres du gouvernement sur 28 sont par ailleurs candidats aux législatives, dont la locataire de Matignon, qui n’a jamais été élue.

Si Emmanuel Macron a promis de changer de politique et de pratique, ce ne sera manifestement pas en changeant toutes les personnes. Plutôt que partir d’une feuille blanche, il a semblé avoir élaboré ce gouvernement autour de quelques ministres de poids du gouvernement Castex.

Le changement dans la continuité

Treize de ses membres étaient déjà ministres, comme Bruno Le Maire, qui reste à l’Economie, flanqué en plus de la Souveraineté industrielle, Gérald Darmanin, toujours à l’Intérieur, malgré les critiques lors de la loi sécurité globale. Mais il est apprécié dans les rangs de la police. Eric Dupond-Moretti est encore à la Justice, malgré une mise en examen en juillet dernier dans une enquête où il est soupçonné de prise illégale d’intérêts.

Autres visages déjà présents : Amélie de Montchalin, nommée ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, une promotion, alors qu’Emmanuel Macron avait dit dans l’entre-deux tours, à Marseille, que sa « politique sera écologique ou ne sera pas ». Mais la ministre n’a pas spécialement une image d’écologiste, tout comme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. C’est le même reproche qui est fait à Elisabeth Borne. Mais en nommant en 2017 une figure de l’écologie, avec Nicolas Hulot, Emmanuel Macron, comme le ministre, avaient vu les limites d’une nomination médiatique d’une personnalité de la société civile.

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Sébastien Lecornu remplace lui Florence Parly au ministère des Armées. Brigitte Bourguignon, jusqu’ici ministre déléguée chargée de l’Autonomie, hérite de la Santé. Et Olivier Dussopt, un ancien du PS, passe des Comptes publics au Travail. On peut encore citer chez les « anciens » Marc Fesneau, qui traverse littéralement la rue pour passer à l’Agriculture, et bien sûr Olivier Véran qui, après la Santé, le remplace au Relations avec le Parlement.

Olivier Véran sera le ministre du « avec vous »

Lors de la passation de pouvoir, le ministre que les Français ont découvert grâce au covid-19 a expliqué qu’il aura « à cœur de montrer que le Parlement n’est pas une structure désincarnée, parisienne ». « Je serai le ministre du "avec vous" », qui n’est « pas qu’un slogan politique » mais « une volonté farouche d’associer les Français » sur « la fin de vie », « l’école et la santé », les retraites et « bien sûr, la réforme des institutions ». Il aura donc la charge d’incarner le changement de méthode prôné par le président de la République.

Dans ce jeu de chaises musicales, Gabriel Attal est promu aux Comptes publics après la page du « quoi qu’il en coûte ». Il laisse le poste exposé du porte-parolat à Olivia Grégoire, qui était à Bercy chargée de l’Economie sociale et solidaire. Clément Beaune reste à l’Europe.

Emmanuel Macron peut ainsi s’appuyer sur une équipe aguerrie et loyale, des piliers sur lesquels il sait qu’il peut compter. Mais le gain politique est proche de zéro. Du moins, il ne sautera pas aux yeux des Français. Une certaine forme de stabilité peut cependant avoir l’avantage de rassurer.

Pap Ndiaye à l’Education, une nomination qui parlera à la gauche

Parmi les petits nouveaux, on trouve Damien Abad, transfuge de luxe issu des LR, qui présidait le groupe des députés Les Républicains. Une belle prise de guerre politique qui affaiblit encore la droite.

Ce gouvernement, où il y a peu de surprises, en réserve cependant une belle, avec le nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye. Un anti-Blanquer. Cet historien était à la tête du musée de l’Immigration. Un choix symbolique qui sonne comme un démenti de la ligne Blanquer, qui était sorti de son domaine en oubliant parfois les professeurs pour préférer dénoncer un prétendu « islamo-gauchiste » à l’université ou le « wokisme ». « Le terme « islamo-gauchisme » ne désigne aucune réalité dans l’université. C’est une manière de stigmatiser des courants de recherche » avait dénoncé le nouveau ministre en février 2021. De quoi parler aujourd’hui à la gauche.

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Spécialiste des minorités et de l’histoire des Etats-Unis, Pap Ndiaye aura la lourde tâche de mener l’un projet phare du second quinquennat Macron, à savoir une réforme de l’école qui s’annonce déjà périlleuse, avec l’idée d’augmenter les profs en échange de nouvelles missions, ou l’autonomie des établissements. Un choix non sans risque car Pap Ndiaye, intellectuel reconnu, n’a pas d’expérience politique.

Aux Affaires étrangères, c’est Catherine Colonna qui fait son entrée. Cette chiraquienne rompue aux arcanes de la diplomatie, est l’actuelle ambassadrice de France au Royaume-Uni. Après Michèle Alliot-Marie, c’est la seconde femme à occuper le poste. A la Culture, à noter l’arrivée de Rima Abdul Malak, qui était la conseillère culture et communication d’Emmanuel Macron.

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Des figures du parti présidentiel sont promues

Ce gouvernement Borne I fait aussi preuve d’un certain équilibre, ou du moins d’une représentation des différentes forces politiques de la majorité présidentielle. Plusieurs figures du parti présidentiel sont ainsi promues et font leur entrée au gouvernement, à commencer par Stanislas Guérini, numéro 1 de LREM (rebaptisé Renaissance), qui arrive à la Fonction publique. Il devra être remplacé à la tête du parti. Stéphane Séjourné, président du groupe Renew Europe au Parlement européen, devrait prendre le relais.

La présidente de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, devient elle, ministre des Outre-Mer. Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’Etat chargée du Développement, de la Francophonie et des partenariats internationaux, était députée européenne LREM. En revanche, on remarque l’absence notable de Julien Denormandie. Ce proche du Président, qui était ministre de l’Agriculture, n’est pas sur la liste du gouvernement.

Un proche d’Edouard Philippe aux Collectivités

Le maire d’Angers, Christophe Béchu, arrive aux Collectivités territoriales. Il connaît le sujet, en tant qu’ancien sénateur LR. Il est aujourd’hui surtout l’un des proches d’Edouard Philippe. Il est secrétaire général d’Horizons, le parti que l’ancien premier ministre a créé pour asseoir ses ambitions présidentielles pour… 2027.

Côté Modem, l’allié historique d’Emmanuel Macron, on retrouve Marc Fesneau, qui a participé aux négociations pour la répartition des investitures aux législatives. Justine Bénin, députée apparentée Modem de Guadeloupe, devient de son côté secrétaire d’Etat auprès de la première ministre, chargée de la Mer.

Franck Riester reste au Commerce extérieur. C’est aussi le président d’Agir, parti de centre droit qui est l’une des composantes de la majorité. Il devrait se fondre dans Renaissance. Olivier Dussopt est lui président de Territoires de progrès, qui entend incarner l’aile gauche.

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La limite de ce gouvernement est de ne pas donner au fond de message politique très clair. S’il ne pénalisera pas les candidats de la majorité pour les législatives, pas sûr qu’il leur apporte un bonus dans les urnes. Encore une fois, tout l’édifice de la macronie et sa portée politique tiennent essentiellement sur un seul homme : Emmanuel Macron lui-même.

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