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En plein ralentissement économique, pourquoi la BCE augmente-t-elle ses taux d’intérêt ?
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La Banque Centrale Européenne (BCE) a confirmé hier la nouvelle politique monétaire adoptée depuis juillet dernier avec une première élévation des taux « directeurs » auxquelles la BCE prête aux banques secondaires. Alors que depuis une dizaine d’années la BCE maintient les taux auxquels les banques, puis les Etats, peuvent emprunter extrêmement bas, la reprise économique post-covid, puis l’explosion des prix de l’énergie ont rappelé à la zone euro l’existence de l’inflation. En réponse, la BCE était déjà passée en juillet de taux directeurs parfois négatifs, qui font donc gagner de l’argent aux emprunteurs, à des taux sur les dépôts bancaires à 0 %. Christine Lagarde a annoncé hier que ceux-ci augmenteraient à 0,75 %, une augmentation record depuis les ajustements techniques liés à l’introduction de l’euro en 1999, tandis que l’ensemble des taux pratiqués par la BCE vont être relevés. Un retournement de la politique monétaire européenne face au contexte inflationniste qui fait poindre le spectre d’une récession dans la zone euro pour 2023. Un scénario « pessimiste » que n’ont exclu ni Christine Lagarde hier, surtout en cas d’arrêt des livraisons de gaz russe, ni le gouverneur de la Banque de France aujourd’hui. François Villeroy de Galhau émet l’hypothèse d’une « récession limitée » pour 2023, et annonce pour le moment « un fort ralentissement de la croissance » pour le dernier trimestre 2022, avec 0,3 % de croissance.
« On crie au loup alors qu’on est dans un processus de normalisation »
« Dans ce contexte, l’augmentation des taux directeurs n’a rien d’évident », s’interroge François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « C’est d’autant plus discutable que la BCE elle-même explique que la zone euro est en train de subir un ralentissement et qu’en cas de coupure du gaz russe, ce qui est de plus en plus probable, ce ‘scénario adverse’ conduirait à une baisse de 0,9 % du PIB réel pour la zone euro. Christine Lagarde a elle-même dit que la BCE ne pouvait que peu de choses en ce qui concerne la hausse des prix et que le pouvoir d’achat est déjà fortement entamé par la hausse des prix de l’énergie, qui comprime la demande. Dans ce contexte, ce n’est pas du tout évident que ralentir l’économie soit une urgence », explique-t-il. Anne Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO, se veut un peu plus rassurante : « Pour l’instant, on reste dans les projections sur un fort ralentissement de la croissance avec une inflation haute, ce que l’on appelle une situation de stagflation, pas de récession. La demande est encore assez robuste cette année, mais elle va se tarir l’année prochaine parce que le stimulus budgétaire sera moindre. On risque d’avoir un ralentissement économique dû à un ralentissement de la consommation. »
Mais alors, comment expliquer que la BCE relève ses taux directeurs, ce qui a pour but de faire baisser l’inflation et de ralentir l’activité économique ? Premièrement, pour Anne Sophie Alsif, « l’inflation impacte l’anticipation des agents, ménages comme entreprises, ce qui provoque un faible investissement et une faible consommation. » Pour ne pas rentrer dans « un cercle vicieux », la BCE aurait décidé d’augmenter les taux d’intérêt, en acceptant que « les financements soient plus difficiles à avoir, parce que les marges des entreprises sont encore assez hautes », explique l’économiste. Finalement, la BCE ne ferait d’ailleurs qu’appliquer son mandat, ce pour quoi elle a été créée, qui fixe une cible d’inflation à 2 % : « On crie au loup alors qu’on est dans un processus de normalisation. Cela fait plus d’un an qu’on est au-dessus des 2 % d’inflation, alors ce sont effectivement des hausses historiques, mais ce n’était pas normal d’être resté sur des taux aussi bas, alors même que la cible d’inflation (2 %) était totalement dépassée (9 %). »
« Il n’y a que des raisons de ne pas augmenter les taux et la BCE les augmente quand même »
« Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures », lâche François Geerolf pour essayer d’expliquer cette décision. « Des pays comme l’Allemagne ou les pays du Nord ont eu beau jeu de défendre le mandat de la BCE et de dire qu’il fallait faire revenir l’inflation à la cible. Mais à un moment, Mario Draghi [ancien directeur de la BCE, ndlr] avait décidé de la politique du ‘whatever it takes’ [quoi qu’il en coûte, ndlr] au niveau monétaire, c’est un peu du juridisme excessif de réduire la BCE à cette inflation cible, après un traité définit clairement les missions du gouverneur de la BCE, qui est dans ses prérogatives. » D’après lui, derrière cette décision de la BCE, il y a aussi probablement l’idée que le « quantitative easing », c’est-à-dire l’injection massive, par la BCE, de liquidités dans l’économie par la création monétaire ou le rachat de dette publique, a assez duré : « Ces politiques sont critiqués par les monétaristes depuis longtemps, qui pensent que quand on augmente la quantité de monnaie, cela va tôt ou tard amener à de l’inflation. Du coup, ils ont tendance à dire aujourd’hui ‘on vous l’avait bien dit’. C’est une manière de dire qu’il faut mettre fin au quoiqu’il en coûte monétaire et à l’argent facile. »
En tout état de cause, cette hausse des taux d’intérêt n’aura pas un effet important et immédiat sur l’inflation, explique Anne-Sophie Alsif : « La grande partie de ce qui explique l’inflation en Europe, c’est l’augmentation des prix de l’énergie, qui est le poste qui a le plus augmenté, contrairement aux Etats-Unis, où il y a une hausse générale des prix et des salaires plus ‘classique’. L’inflation est en grande partie importée, donc si ça ne bouge pas de ce côté-là, l’impact de la hausse des taux ne sera pas vu avant 2023. » Pour autant, d’après la cheffe économiste au cabinet BDO, « il fallait le faire », parce qu’à 9 % d’inflation, « on était loin du mandat de la BCE, qui devait intervenir pour rester dans son rôle. » François Geerolf identifie là un « paradoxe » : « Le diagnostic est très consensuel, la BCE le dit elle-même, la cause de l’inflation est bien identifiée en Europe, ce sont les prix de l’énergie, et que le pouvoir d’achat des ménages est déjà bien entamé par cette hausse des prix. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il n’y a donc que des raisons de ne pas augmenter les taux, et que la BCE les augmente quand même. »
« L’augmentation des prix de l’électricité est bien plus grave »
D’après l’économiste à l’OFCE, les Etats-Unis ont pu jouer un rôle pour expliquer le tournant dans la politique monétaire européenne : « Il y a pu avoir du mimétisme par rapport à la Fed [banque centrale américaine, qui a augmenté ses taux à quatre reprises depuis mars, ndlr]. En revenant de Jackson Hall [réunion des banquiers centraux à travers le monde, ndlr], le discours d’Isabelle Schnabel [économiste allemande membre du directoire de la BCE, ndlr] faisait une sorte de mea culpa en disant que les banquiers centraux n’avaient pas voulu voir venir l’inflation. C’est sûr que si les banquiers centraux partagent ce diagnostic, ils vont tous augmenter les taux. » Le problème pour lui, c’est que « la situation est bien différente » en Europe : « Le plan de relance de Biden était beaucoup plus fort et la situation économique bien plus positive, avec un taux de chômage très bas, alors que les Etats-Unis ne subissent pas l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité, mais simplement du pétrole. »
Or, pour François Geerolf, ces différences ont des conséquences en termes de politique à mener : « Aux Etats-Unis, on pourrait s’inquiéter d’une situation de ‘surchauffe’, avec des salaires qui veulent rattraper l’inflation, puis qui font augmenter les prix dans la fameuse ‘boucle prix-salaires’. Donc, que la Fed mette le frein, ça peut se discuter. Mais en Europe, les salaires réels diminuent, ce n’est pas du tout évident de faire la même chose. » L’économiste à l’OFCE tempère tout de même : « Après, ce n’est pas non plus la fin du monde, et cette remontée des taux d’intérêt de la BCE ne va pas déclencher de crise financière. L’augmentation des prix de l’électricité est bien plus grave, elle met l’industrie européenne en grande difficulté. C’est juste que la hausse des taux n’aide pas, ça en rajoute une couche. » Là-dessus, Anne-Sophie Alsif tombe d’accord : « Ce sont les prix de l’énergie qui seront les plus importants et c’est bien une résolution du conflit en Ukraine qui permettrait de juguler l’inflation. » Tout comme « la crise immobilière que connaissent la Chine et les difficultés des Etats-Unis », ajoute la cheffe économiste. Pour le moment, Gapzrom a déjà arrêté ses livraisons de gaz à la France et à certains pays européens.