Emmanuel Macron lance Renaissance et met en garde contre « la division » de son camp
Renaissance, le nouveau parti présidentiel qui rassemble LREM et les satellites Agir et Territoires de progrès, a été lancé samedi soir, à Paris. Mais Horizons, parti d’Edouard Philippe, et le Modem de François Bayrou font bande à part. Bien qu’invité, le centriste a d’ailleurs séché le congrès de lancement et se dit « opposé au passage en force sur les retraites ». « Il nous faut l’unité. Sans l’unité, les extrêmes l’emporteront », a mis en garde Emmanuel Macron.
Le soir du premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron espérait « transcender les différences pour se rassembler en un grand mouvement politique ». Plus de quatre mois après, La République En Marche se mue en Renaissance. LREM est mort, vive Renaissance. Le mouvement devient un parti aux contours plus traditionnels, en fusionnant LREM et deux satellites de la majorité, Agir sur l’aile droite, et Territoires de progrès, sur l’aile gauche, même si la formation du ministre Olivier Dussopt traîne un peu des pieds.
Mais depuis la présidentielle, tout ne s’est pas passé comme espéré par le chef de l’Etat. Les législatives sont passées par là. La majorité présidentielle n’est que relative et le rêve d’un grand parti démocrate a pris l’eau. François Bayrou, avec le Modem, a dit non à la fusion, et Edouard Philippe continue son aventure avec Horizons, une machine électorale en vue de 2027. Si l’ancien premier ministre est présent au Carrousel du Louvre, qui accueille l’événement – clin d’œil au discours de victoire d’Emmanuel Macron en 2017 – le leader du Modem n’a finalement pas fait le déplacement. Une chaise était pourtant prévue à son nom… Une absence plutôt gênante. Elle rappelle les désaccords qui touchent la majorité sur la réforme des retraites. Emmanuel Macron compte finalement remettre le couvert, et vite, peut-être dès l’automne, via le Budget de la Sécu. Alors qu’Edouard Philippe est prêt à suivre, François Bayrou, qui préfère prendre le temps, ne partage pas l’idée. Il fait même la Une du Parisien, ce dimanche, avec un titre choc : « Je suis opposé au passage en force sur les retraites »…
« Mais personne ne veut de passage en force sur les retraites » rétorque Bruno Le Maire à François Bayrou
Le nouveau parti, dont le secrétaire général est Stéphane Séjourné, président du groupe Renew au Parlement européen, accueille dans sa direction deux ministres de poids : Bruno Le Maire et Gérard Darmanin. Eux aussi pourraient caresser quelques ambitions pour l’après. Le ministre de l’Economie défend sa présence au sein du nouvel ensemble : « Depuis le début mon choix est clair : dans la majorité, aux côtés du président de la République […] et dans le parti majoritaire. […] Je pense que c’est toujours un choix payant de faire des choix qui sont le plus clairs possible » (voir vidéo ci-dessous. Images d’Aurélien Romano).
Bruno Le Maire rétorque au passage à l’absent de la soirée, François Bayrou. « Mais personne ne veut de passage en force sur les retraites. […] Nous ne passerons pas en force, dès lors qu’il y aura un débat démocratique, qu’il y aura des explications et un texte de loi. […] Si le projet qu’on nous propose, c’est l’immobilisme, ça ne me paraît pas conforme à ce pour quoi nous avons été élus », lance le ministre de l’Economie.
« Tout le monde peut faire des boutiques, mais si c’est une juxtaposition d’épiceries, ça ne marchera pas »
Dans la course, qui s’annonce déjà, pour 2027, l’heure n’est pas encore – du moins pas ouvertement – aux grandes manœuvres. « Certains auraient pu penser que dans l’optique de la présidentielle, des écuries auraient pu se présenter plutôt à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le fait que ça ne se produise pas est une bonne nouvelle. Mais ça ne veut pas dire que ça ne se produira pas à un moment… » remarque un ministre. « Commencer à préparer l’élection présidentielle maintenant, c’est la meilleure façon de la perdre », confie un autre membre du gouvernement. Certains préfèrent être à l’intérieur quand Edouard Philippe va cultiver sa différence à l’extérieur, à Horizons. « Il y a deux stratégies », constate un membre d’Agir. Mais garde à celui qui tirerait contre son camp. Un parlementaire du nouveau parti résume l’ambiance du moment :
Pour la réussite de chacun, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas casser la porcelaine trop vite.
Edouard Philippe salue Gérald Darmanin, lors du congrès de lancement de Renaissance.
« Tout le monde peut faire des boutiques, mais si c’est une juxtaposition d’épiceries, ça ne marchera pas », raille un marcheur historique et fidèle du chef de l’Etat. « Les petits calculs d’appareil, les Français ne sont pas là-dedans, ce qui compte, ce sont les résultats », met en garde le sénateur et ancien ministre du premier quinquennat, Jean-Baptiste Lemoyne. Regardez :
Emmanuel Macron met en garde contre « la tentation de revenir à un ordre ancien qui paraît plus confortable, en oubliant qu’il s’est affaissé »
Absent physiquement, mais « en pensée avec vous », Emmanuel Macron, président d’honneur du nouveau parti, s’est adressé aux militants dans une vidéo enregistrée. Devant les risques de forces centrifuges, le Président a clairement mis en garde : « Nous n’avons pas le temps de la division. Il faut des controverses, des débats, une maïeutique parfois, mais il nous faut l’unité. Sans l’unité, les extrêmes l’emporteront. Et donc le dépassement et l’unité sont pour moi le cap qu’il faut poursuivre ». « Alors qu’il y a chaque jour de bonnes raisons de nous diviser, en expliquant que l’un viendrait de la gauche, l’autre de la droite », le chef de l’Etat appelle plutôt à « penser toujours à l’intérêt supérieur du pays ». Emmanuel Macron met en garde également contre « la tentation de revenir à un ordre ancien qui paraît plus confortable, en oubliant qu’il s’est affaissé ». Un message qui semble adressé à Edouard Philippe, qui joue la carte du centre droit classique. Il n’a d’ailleurs jamais pris sa carte à En Marche, comme s’il n’y avait pas cru au fond.
Surtout, voir Emmanuel Macron, juste quelques mois après la présidentielle, et le soir de la création d’un nouveau parti censé rassembler, mettre en garde contre les risques de divisions, en dit long en réalité sur l’état d’ébullition – contenu pour l’heure – qui menace la marmite macroniste, échauffée par les ambitions.
« Le parti des solutions »
Alors que la définition du macronisme n’a jamais été claire, et le début du quinquennat s’en ressent, avec un manque de cap, Emmanuel Macron appelle ses partisans à cultiver et faire durer le dépassement. Le chef de l’Etat entend défendre « ce parti du dépassement et de l’unité », et tente de donner la ligne générale : « Cette nouvelle donne fera du parti le parti des solutions, […] qui rassemble les Européens convaincus, les écologistes pragmatiques, les citoyens progressistes, les féministes et ceux qui croient en la réconciliation du modèle productif, éducatif, social et européen ».
Dans cette optique, il est épaulé par sa première ministre, Elisabeth Borne. Elle pointe du doigt « certains qui tentent de faire pencher le dépassement d’un côté ou de l’autre. Nous continuerons à les faire mentir. […] Le dépassement, ce n’est ni la droite, ni la gauche », lance-t-elle, « nous ne demandons jamais si une idée est de gauche ou de droite, seulement si elle est bonne ou mauvaise ». Elle ajoute encore :
La logique de clan mine la politique.
« Le dépassement, et non l’effacement, reste et restera au cœur de notre projet politique. Certains aujourd’hui font semblant de ne pas comprendre de quoi il s’agit », insiste à son jour Stéphane Séjourné, depuis la tribune. Edouard Philippe, au premier rang, écoute sans broncher.
« C’est un passage de l’adolescence à l’âge adulte »
Quel sera l’avenir, et la longévité de Renaissance ? Difficile à dire. Le parti entend travailler son ancrage territorial, qui lui a cruellement manqué jusqu’ici. « Aujourd’hui, en devenant Renaissance, notre mouvement a atteint sa majorité », lance Elisabeth Borne. « C’est un passage de l’adolescence à l’âge adulte », pour le ministre de l’Industrie, Roland Lescure (voir vidéo ci-dessous). Si la crise d’ado a plus ou moins pu être évitée, quelques péripéties attendent probablement le nouveau parti présidentiel.
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.