Édouard Philippe : « Un homme d’État » mais des « réformes inachevées »

Édouard Philippe : « Un homme d’État » mais des « réformes inachevées »

Remplacé par Jean Castex, Édouard Philippe a quitté Matignon, ce vendredi, après 1145 jours à la tête du gouvernement. Que retenir de son bilan rue de Varenne ? « La casse sociale » ou « un homme d’État » qui a su faire face à des crises successives.
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Après un peu plus de trois ans dans « l’essoreuse » de Matignon, Édouard Philippe quitte le gouvernement sur un paradoxe : une cote de popularité au plus haut, après une lourde défaite électorale de la majorité présidentielle aux élections municipales.

Premier ministre surprise d’un Président « ni de droite ni de gauche », Édouard Philippe, à l’époque député LR et fidèle d’Alain Juppé, avait dû se rendre au QG du candidat En Marche, au lendemain du premier tour de la présidentielle, « allongé dans la voiture avec une couverture ». « J'arrive à l'Élysée. Il me propose. Je dis oui » avait-il relaté.

Dès sa passation de pouvoir avec Bernard Cazeneuve, Édouard Philippe se montre clair sur la manière dont il compte conduire la politique de la Nation. « Vous avez dit que vous étiez un homme de gauche (...) Il se trouve que je suis moi-même un homme de droite » avait-il rappelé. Après un peu plus de trois ans en poste (1145 jours) que retenir de son passage rue de Varenne ? Où il aura duré plus longtemps que Jean-Pierre Raffarin, Édouard Balladur ou encore Michel Rocard, mais moins que François Fillon ou Lionel Jospin.

« Pour quelqu’un qui n’avait jamais été ministre, il a fait un travail exceptionnel » estime le sénateur LREM, André Gattolin qui retient sa connaissance des dossiers, son humour très britannique et son incroyable capacité à répondre aux parlementaires lors des questions d’actualité. « Ce n’est pas votre question mais c’est ma réponse » avait-il l’habitude de rétorquer aux sénateurs d’opposition.

« On ne peut pas juger un Premier ministre sur son look ou sa courtoisie même si ce n’était pas désagréable. Le bilan d’Édouard Philippe est assez clair. Il a aggravé les inégalités en appliquant fidèlement le programme d’Emmanuel Macron sans écouter les propositions alternatives que nous lui faisions » juge la sénatrice communiste, Laurence Cohen. « C’est un bilan sans surprise d’un homme de droite qui applique une politique de droite en baissant les APL en supprimant l’impôt sur la fortune. Sa grande réforme ? C’est la casse sociale » estime le sénateur PS du Val d’Oise, Rachid Temal

« La situation de la France est moins bonne au moment où il part que quand il arrive »

Difficile de retenir des réformes majeures à mettre au crédit d’Édouard Philippe. Mais en même temps, sous la Ve République, hors cohabitation, un Premier ministre n’est-il pas l’exécutant du programme du Président élu ?

Et dans ce domaine, Édouard Philippe n’aura pas forcément été gâté. La réforme institutionnelle, promesse du candidat Macron ? Avortée par l’affaire Benalla. La réforme systémique des retraites ? Repoussée par la crise de la Covid-19. De même, la réforme de l’assurance chômage dont les modalités de calcul ont été changées à l’été 2019 voit ses principales dispositions reportées par l’épidémie. Dans le domaine sociétal, le texte autorisant la PMA pour toutes est encore en discussion au Parlement.

« La situation de la France est moins bonne au moment où il part que quand il arrive. Les déficits et la dette se sont aggravés à cause de la crise. Ce qui aura marqué son bilan, ce sont des réformes inachevées. Après, si on parle de la stature du personnage, on peut dire qu’il aura rempli la fonction » le crédite Philippe Dallier, vice-président LR du Sénat.

Parmi les réformes « achevées » on retiendra le domaine de d’Éducation. Le gouvernement d’Édouard Philippe aura été celui du dédoublement des classes de CP et de CE1 en ZEP (zone d’éducation prioritaire), l’école obligatoire à partir de 3 ans, mise en place d’un dispositif de soutien permettant aux familles les plus en difficultés de payer un euro les repas à la cantine, mais également du nouveau système, contesté lui aussi, d’inscription en ligne pour l’enseignement supérieur, Parcoursup.

Son gouvernement aura également fait passer la réforme de la justice qui instaure une nouvelle échelle des peines, la création d'un parquet antiterroriste, d'un nouveau tribunal criminel et une fusion administrative du tribunal d'instance (TI) et de grande instance (TGI). La loi Schiappa renforce la répression des viols et abus sexuels commis sur les mineurs, allonge le délai de prescription de l'action publique de certains crimes, lorsqu'ils sont commis à l'encontre de mineurs et renforce la répression du harcèlement sexuel ou moral. Pourtant, pendant trois ans, le gouvernement d’Édouard Philippe aura subi les accusations de laxisme en matière de sécurité. Il y a deux semaines encore, le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau ira jusqu’à parler de « d’impunité totalement organisée ». d’une « France désormais livrée au tribalisme ». Le péché originel pour le sénateur de Vendée remonte à l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sur l’écologie, le passage d’Édouard Philippe à Matignon aura été marqué par la démission fracassante de son ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot regrettant la place trop grande fait « aux lobbys ». Son remplaçant, François de Rugy démissionnera aussi dans des conditions plus rocambolesques. La loi anti-gaspillage, portée par la secrétaire d’État, Brune Poirson, qui instaure la mise en place de la consigne pour les bouteilles plastiques, et la fin des emballages plastique à usage unique d’ici à 2040, figure un maigre bilan.

« Il a le défaut de rester droit dans ses bottes »

« En 2017, Édouard Philippe était inconnu du grand public. Au fur et à mesure, il a montré ses qualités d’homme d’État pour faire face aux crises successives, les manifestations des gilets jaunes, contre la réforme des retraites et récemment de la Covid-19 » retient Agnès Canayer, sénatrice LR de Seine-Maritime, proche d’Édouard Philippe. D’autres relèvent que la crise des gilets jaunes est en partie due « au manque de vista » d’Édouard Philippe comme souligne le sénateur socialiste, Rachid Temal. La limitation de vitesse à 80 km/h conjuguée à la hausse de la taxe sur les carburants alors qu’un an plus tôt, lors de l’examen du budget, le Sénat avait alerté le gouvernement sur la perspective de voir un nouveau mouvement de bonnets rouges, avait précipité une partie des Français dans la rue. « Il a le défaut de rester droit dans ses bottes quand une réforme est bien construite juridiquement. Mais ça ne va pas dire qu’elle est viable politiquement » note André Gattolin.

La baisse de 5 euros des APL à la rentrée 2017 en est l’illustration. Le Premier ministre avait reconnu lui-même que la mesure n’était pas « intelligente ». « Cette mesure est contenue dans le budget précédent, que j’exécute » s’était-il justifié.

« Il a cette qualité qui est de savoir écouter et s’adapter en prenant le virage qui s’impose »

Le président du groupe centriste du Sénat, Hervé Marseille « a de la sympathie pour l’homme qui a toujours fait preuve d’un comportement républicain avec le Sénat » mais « déplore certaines orientations politiques et budgétaires notamment sur le plan de la décentralisation et des relations avec élus locaux ».

La mise en œuvre de la suppression de la taxe d’habitation n’aura pas aidé à apaiser les relations, houleuses depuis le début du quinquennat, entre l’exécutif et les élus locaux. « Édouard Philippe a été rapidement confronté à une réalité : les Français ne veulent plus de politique descendante. Il a cette qualité qui est de savoir écouter et s’adapter en prenant le virage qui s’impose » assure Agnès Canayer. Un virage qui conduit l’ancien Premier ministre au Havre, de retour aux côtés des élus locaux avec une mission : « Continuer à travailler politiquement pour réorganiser la majorité présidentielle », a précisé l'entourage d’Emmanuel Macron.

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